7 janvier > Roman France

Sur la photo : lui et ses trois potes, 35 ans, "quatre garçons dans le brouillard mais minces, pleins de cheveux, les yeux vifs et le sourire dépourvu d’amertume". Lui, c’est Vernon Subutex, le légendaire disquaire de Revolver au-dessus de République. Les autres, comme lui dans la musique, la dope, les filles, frères d’armes d’une résistance contre l’endormissement bourgeois de la capitale. La vie s’écoulait au rythme des riffs et des spliffs, des bières et des lignes de coke qui vous mènent jusqu’au petit matin. Dix ans après, que sont les enfants du rock devenus ? Bertrand, Jean-No, Pedro morts. Cancer, overdose, la Faucheuse n’est pas regardante. Vernon a depuis mis la clé sous la porte de sa boutique. Alex Bleach, la star dont il a fait toute l’éducation musicale grâce à ses vinyles, lui avait été éternellement reconnaissant et payait son loyer, mais le Lenny Kravitz français décède d’une OD. Vernon est expulsé. Le voilà à la rue, ou du moins en recherche d’endroits où squatter. Il poste sur Facebook que, revenu du Canada et provisoirement sans toit, il souhaiterait être dépanné d’une nuit ou deux. On lui répond. La maîtresse de Jean-No, Emilie, ancienne bassiste "qui a troqué son iroquoise pour un carré strict", l’accueille mais pas longtemps, lorsqu’elle comprend qu’il est vraiment dans la dèche. A la suite de sa thérapie, elle n’accepte plus d’aider "les poètes à la con". Il a quand même obtenu d’elle qu’elle lui prête son MacBook contre caution de cassettes inédites d’Alex Bleach, des rushs d’une autoconfession hallucinée. Il atterrit chez Xavier, scénariste raté et viré complètement réac, marié à une héritière qui le méprise ; il lui a proposé un "dog-sitting" le temps de son week-end à Rome avec sa femme. A son retour, Vernon devra partir.

Après Apocalypse bébé (Grasset, 2010), où une détective privée et une mercenaire lesbienne spécialiste des disparitions, la Hyène, étaient aux trousses d’une ado disparue, Virginie Despentes nous embarque dans la galère de son héros SDF. La précarité du protagoniste instille une tension permanente et fait rebondir le récit d’appartements en tranches de vie : Sylvie la féminité bafouée et vengeresse, Patrice le cogneur impénitent, le trader Kiko requin narcissique, l’envoûtante Marcia, un transsexuel brésilien… Chaque nouveau personnage chez qui Vernon Subutex squatte ou qu’il croise est l’occasion pour l’auteure de King Kong théorie de dresser une sidérante topographie de l’intime. Et on ne peut s’empêcher d’admirer cette façon qu’a Despentes de s’immiscer dans les âmes de chacun pour en tirer la substantifique moelle tragique. Mais dans ce chaos urbain où le cynisme actif le dispute à l’indifférence généralisée, la romancière nous gratifie en plus d’une intrigue : un producteur très intéressé par les rushs d’Alex Bleach a recours aux services de la Hyène, l’ex-limier lesbienne aujourd’hui reconvertie au lynchage médiatique. A l’angoisse de la survie s’ajoute un suspense de polar. Et ce n’est pas terminé, suite en mars avec le volume 2 de Vernon Subutex. Sean J. Rose

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