7 FÉVRIER - ROMAN France

Vivant en Allemagne depuis plus de trente ans, Hélène Lenoir construit aux éditions de Minuit, en toute discrétion, une oeuvre remarquable de cohérence et d'intensité souterraine, qui s'attache à rendre audible la langue des passions de l'âme. Dans La crue de juillet, dixième livre, toujours aussi troublant, l'écrivaine repart étudier la tectonique de l'intime, laissant cette fois de côté les huis clos familiaux et les univers bourgeois du Magot de Momm (2001) ou de Pièce rapportée (2011) pour se recentrer, comme dans Son nom d'avant (2008, disponible en collection de poche "Double"), sur les ondes intérieures déclenchées par une banale rencontre de hasard.

Thérèse, une Française dans la trentaine, atterrit pour le week-end dans une ville où l'on parle allemand, langue qu'elle maîtrise plutôt bien mais que l'accent local rend plus difficile à comprendre. Elle vient interviewer ""le grand", "l'immense"" Will Jung (un artiste peintre, apprend-on plus tard). Mais à son arrivée, l'amie sur place qui a organisé le rendez-vous et qui l'héberge se révèle injoignable... A la terrasse d'un restaurant où elle se rend seule le premier soir, la femme croise >le regard insistant de Karl Ritter, un quinquagénaire "solitaire, grincheux et fatigué", qu'elle finit par aborder. Voilà pour le point de départ : une femme un peu stressée fait la connaissance d'un homme énigmatiquement réticent, un soir d'été dans une ville traversée par un fleuve rendu furieux par des pluies exceptionnelles. En outre, l'étrangère est obsédée par un fait divers tragique dont tous les journaux parlent, la noyade d'une jeune mère de famille, réfugiée tchétchène, qui a sauté quelques jours plus tôt dans le fleuve en crue pour tenter de sauver, en vain, son bébé tombé à l'eau accidentellement.

Bien malin à ce stade-là qui peut prévoir la suite. On dira seulement que s'installe, et jusqu'aux toutes dernières lignes, une tension qui tient du suspense, la romancière filant ses deux personnages, sans les lâcher des yeux, au rythme de l'évolution de leur relation, dans une unité resserrée de temps et de lieu. La réalité du dehors - décor, ambiance, attributs sociaux... -, est comme toujours précisément transcrite. Mais ce qui, de livre en livre, reste le plus impressionnant chez Hélène Lenoir, c'est sa façon de servir d'interprète à la langue du dedans, du dessous, celle de la conscience soliloquante où guerroient sans cesse élan et procrastination, impulsion et retranchement. Comme dans une traduction simultanée, le flux est haché, souvent interrompu par des points de suspension. Charriés par le flot des phrases à l'enchaînement chaotique, discontinues, parfois hagardes, les acteurs de l'histoire, et le lecteur à leur suite, se retrouvent au coeur d'un "branle-bas" avec toutes les émotions en désordre de bataille. Rares sont les écrivains qui parviennent aussi justement à donner des mots aux remous dans lesquels sont brassés le vertige, l'égarement et le désir.

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