avant-portrait

Ils sont quatre. Deux banderilleros anarchistes, un instituteur qui croit un peu trop au progrès et un poète homosexuel, Federico García Lorca. Quatre rêveurs, quatre combattants, suppliciés et abattus au petit matin du 18 août 1936, quelque part sur les hauteurs de Grenade, en un lieu nommé "Ainadamar", la fontaine aux larmes.

Bien qu’il prétende avoir mis sept ans à l’écrire, la vérité c’est que Serge Mestre aura mis toute sa vie à "accoucher" d’Ainadamar. Ce fils de modestes républicains espagnols (son père, figure tutélaire, fut "résident" du camp d’Argelès…) installés à Castres a rencontré Lorca dès son adolescence. C’était 1968 et la découverte, avec Aragon et Eluard, du risque de sa liberté.

Dès la troisième, le jeune Serge passe le concours de l’école normale. Le voilà à Toulouse où il voisine avec la prison et l’engagement trotskiste, puis instituteur dans un petit village du Tarn sur la montagne Noire. Dès qu’il obtient son CAP, il est à Paris où l’appellent la politique et la littérature, c’est-à-dire la vie. Il écrit à Roland Barthes et à Alain Robbe-Grillet, seul le premier lui répond. En 1980, Bernard Noël le publie dans sa collection "Textes" chez Flammarion. Ce sera Quatre cahiers sur la mort de Lira. C’est bientôt le moment d’une rencontre décisive avec Severo Sarduy, qui se prend d’affection pour lui, partage chaque mercredi un déjeuner au café Le Bonaparte, lui présente (parmi d’autres) l’immense Ernesto Sabato, le fait entrer comme lecteur au Seuil, et lui commande ses premières traductions.

Trente ans après, Serge Mestre est considéré comme l’un de nos grands traducteurs. On lui doit la découverte de Manuel Rivas ou de César Aira, quelques-uns des plus beaux livres de Jorge Semprun ou la redécouverte de textes essentiels de Lorca ou de Josep Pla. Il dit, et cela ne semble pas chez lui être une pose, que "traduire est une école de l’humilité". Assurément, ce n’est pas la vertu dont cet homme discret, ami proche de Christian Thorel ou de Jean Echenoz, est le plus dépourvu. A tel point que, requis par son travail de traducteur et celui d’enseignant à l’IUFM de Paris, il arrêtera d’écrire pendant quinze ans.

De Grenade à Sète

Il faudra là aussi deux rencontres, celles d’Olivier Rubinstein, alors chargé de Denoël, et de Sabine Wespieser pour que la "machine romanesque" redémarre. Avec quel panache si l’on en juge par cet Ainadamar, fraternel et empathique, qui offre un Lorca politique et combattant, loin de la caricature gay dans laquelle on a trop souvent voulu enfermer ce Pasolini avant la lettre. En attendant la sortie de son livre, Serge Mestre est parti à Grenade, pour la première fois, sur les traces de son héros ; et pêcher en Méditerranée au large de Sète où il a pour partie élu domicile.

Olivier Mony

Serge Mestre, Ainadamar, la fontaine aux larmes, Sabine Wespieser. Prix : 21 €, 290 p. Sortie : 3 mars. ISBN : 978-2-84805-202-1

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