Spotify et Audible ont chacun organisé des conférences destinées aux professionnels de l’édition lors de la Foire de Francfort 2025, notamment pour afficher leur impact dans ce marché en forte accélération partout dans le monde. L’occasion de percevoir les différences de fond et de forme entre les deux géants de la diffusion audio.
Sur la forme déjà, Spotify partage quelques données utilisateurs lorsqu’Audible s’appuie sur des études de consommation, marque de fabrique du partage d’information d’Amazon, la société mère du géant de l’audio. Sur le fond également, les approches divergent pour conquérir les nouveaux audiolecteurs.
Spotify mise sur la flexibilité horaire
Duncan Bruce, directeur des audiolivres chez Spotify, a détaillé les résultats des deux premières années d'exploitation : le catalogue anglophone a presque triplé, passant de 150 000 à 500 000 titres, tandis que le nombre d'auditeurs individuels a progressé de 36 % en un an. Les heures d'écoute suivent la même trajectoire (+ 37 %).
« Contrairement à d'autres plateformes où les clients peuvent avoir un crédit audiobook par mois, nous pensons que notre forfait horaire offre un peu plus de flexibilité », a souligné Duncan Bruce, référence directe au modèle dominant d'Audible (un crédit mensuel par abonnement). Le système Spotify Premium octroie 15 heures d'écoute mensuelles, complété depuis juillet par une offre « Audiobooks Plus » pour les gros consommateurs.
La plateforme revendique plus de 50 % d'utilisateurs Premium ayant essayé un audiobook sur les marchés anglophones. En Allemagne, Autriche et Suisse, lancés en avril 2024, la croissance atteint 10 % mois après mois.
Audible cartographie les habitudes européennes
Quelque temps plus tard, sur la même scène du Frankfurt Studio de la Foire, Barbara Knabe, responsable des acquisitions Européenne et Amérique latine chez Audible, a présenté les résultats d'Audible Compass, enquête menée cet été auprès de 9 000 personnes (18-65 ans) dans neuf pays européens. L'étude révèle des spécificités nationales marquées.
En Allemagne, premier marché du continent, 50 % des auditeurs écoutent en situation de mobilité et 70 % à domicile pour se détendre. « Les Allemands consomment plus que d’autres citoyens européens au moment de s'endormir », a noté Barbara Knabe, pointant 30 % d'écoute nocturne, contre 9 % en Italie.
Les genres plébiscités varient : polar-thriller en Allemagne et France, fiction littéraire en Italie, avec une forte augmentation de la romance (+ 50 % en un an sur l'ensemble des marchés). « Il y a une interaction et une relation positives entre lecture et écoute », constate la responsable qui assure que l’audiolivre « n'est vraiment pas une substitution » au papier.
Audible n'a pas communiqué de chiffres d'audience, mais a rappelé avoir signé en 2023-2024 un volume record de contrats avec des narrateurs professionnels.
Démographie : Spotify capte les moins de 35 ans
Principal différenciateur entre les deux acteurs : l'âge du public. Spotify comptabilise plus de 50 % d'auditeurs de moins de 35 ans à l'échelle mondiale, contre une audience plus mature chez Audible. « Encourager les jeunes à tomber amoureux des livres n'est pas seulement un défi permanent », a commenté Duncan Bruce.
Mary Beth Roche, éditrice chez Macmillan Audio (États-Unis) et invité par Spotify, a contextualisé qu’« en 2023, seulement 46 % des Américains ont lu un livre », citant une baisse de 40 % de la lecture plaisir sur vingt ans. Elle voit dans l'audio « un outil très utile » pour le marché, Spotify permettant selon elle de « faire du marketing auprès des gens quand ils conduisent, quand ils font de l'artisanat, quand ils courent »...
L'IA, nouveau terrain d'affrontement
Les deux plateformes abordent différemment l'intelligence artificielle. Audible expérimente la narration automatisée sur certains marchés. « Moins de 3 % des ebooks sont disponibles en audiobooks », constate Barbara Knabe, qui privilégie encore « la narration humaine » à l’utilisation de voix générées par l’IA, grand enjeu de l’audiobook à Francfort cette année. « La transparence est essentielle, a-t-elle martelé, nous devons afficher très clairement » l’origine de la voix.
Du côté éditeurs, les positions restent prudentes. Invité sur le panel d’Audible, Anke Hoffman (Penguin Random House Allemagne) estime que « l'édition a toujours été une activité centrée sur l'humain et je crois qu'elle le restera à l'avenir, avec ou sans IA », voyant l'IA comme outil d'optimisation pré/post-production. « Nous serons tous affectés par les nombreux éditeurs indépendants qui vont soudainement commencer à utiliser les outils IA », anticipe sur le même panel Colin Hauer (Hamburg Hörbuch) qui défend un positionnement de « productions premium » des grands groupes. Spotify, de son côté, n'a pas évoqué de projet IA lors de sa présentation.
Les podcasts, porte d'entrée vers l'audiobook
Les deux acteurs convergent sur un point : le podcast constitue une passerelle vers le livre audio. « En Allemagne, le true crime domine en podcast et en fiction audio », a illustré Barbara Knabe.
Reste à convertir, selon Mary Beth Roche, « ces 48 % qui n'ont pas encore essayé un audiobook » aux États-Unis. Un potentiel que Spotify et Audible comptent bien se disputer, chacun avec ses armes.