Le rouleau original de Sur la route de Jack Kerouac.- Photo CHRISTIES, NEW YORK

S'il faut croire la légende, Sur la route est, avec la Bible, un des livres les plus volés en librairie", raconte Penny Vlagopoulos dans la préface de Sur la route, le rouleau original (Gallimard, 2010). Il est aussi énormément piraté. Sur des sites comme Team Alexandriz, c'est l'un des rares textes "littéraires" de fond dont on s'échange illégalement la version ebook scannée à partir du volume de Gallimard. Plus que quinquagénaire, l'ouvrage séduit les adolescents et les jeunes gens, de génération en génération. Depuis la publication du rouleau original en 2010, Gallimard en a écoulé 50 000 exemplaires en France. L'année dernière, l'éditeur a vendu 40 000 volumes de Jack Kerouac dont 25 000 exemplaires de Sur la route. Son adaptation au cinéma par Walter Salles (voir ci-contre), avec la crème des jeunes acteurs admirés de la jeunesse, va renforcer encore sa dimension de livre culte. Mais le roman n'a pas toujours été si vénéré.

RÉDIGÉ EN TROIS SEMAINES

En 1951, Jack Kerouac peine à trouver un éditeur pour son rouleau de 36 mètres sans chapitre ni paragraphe, rédigé fiévreusement en trois semaines. Mais la parution aux Etats-Unis de Sur la route, le 5 septembre 1957, dans une version remaniée par Viking Press (et celle que l'on lira jusqu'en 2010), vaut à son auteur une gloire immédiate, un succès autant sociologique que littéraire, qui lui donne un statut de véritable rock star. L'ouvrage est réimprimé trois fois, traduit dans le monde entier. Il paraît le 25 février 1960 en France chez Gallimard. "Lorsqu'elle est traduite en français, l'oeuvre de Kerouac appartient déjà un peu au passé. On la juge mineure", explique Jean-Francois Duval, spécialiste de la Beat generation, qui vient de publier aux Puf un ouvrage passionnant (1), faisant sentir de l'intérieur ce qu'est ce mouvement, avec des entretiens inédits avec Allen Ginsberg, Carolyn Cassady, Joyce Johnson... « Le nom de Kerouac était connu de certains lecteurs de Salut les copains, mais très peu de monde l'avait réellement lu. On lisait plutôt Le loup des steppes ou Siddhartha de Hermann Hesse. »

OUBLIÉ

Jusqu'aux années 1970, les lecteurs boudent Kerouac. "Au milieu des années 1960, on ne trouvait plus aucun de ses livres en librairie, ni en France ni dans les pays anglo-saxons, poursuit-il. Nouveau revers dans les années 1980 : Sur la route est complètement oublié car les nouveaux "héros", dans l'imaginaire public, sont dé-sormais les managers, les chefs d'entreprise."

Il faut donc attendre les années 1990 et un "Beat revival" pour que l'on recommence à lire Kerouac. "Des artistes comme Kurt Cobain, Johnny Depp (qui acheta pour 50 000 dollars le manteau de Kerouac), dirent toute leur dette à l'égard de Kerouac et des Beats, >précise Jean-François Duval. Kurt Cobain a même enregistré des morceaux comme The Priest They Called Him avec William Burroughs."

Selon le spécialiste du mouvement Beat, l'engouement passe un nouveau cap ces dernières années. "Pour employer un langage au goût du jour, on pourrait dire, toutes proportions gardées, que Kerouac et les Beats étaient les premiers Indignés, insatisfaits du monde et des voies trop conformes que la société leur proposait, et c'est littéralement pourquoi ils se sont lancés sur d'autres routes."

Le propos de Jack Kerouac entre ainsi de nouveau en résonance avec les préoccupations de la jeunesse du XXIe siècle, un intérêt qui rejoint l'engouement il y a quelques années pour Into the Wild de Jon Krakauer qui avait aussi été adapté au cinéma. N'est-ce pas le propre d'un livre culte ?

(1) Kerouac et la Beat Generation : une enquête, de Jean-François Duval, publié le 2 mai par les Presses universitaires de France.

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