Littérature britannique

Susanna Clarke, « Piranèse » (Robert Laffont) :Voyage au cœur du labyrinthe

Susanna Clarke - Photo © Sarah Lee

Susanna Clarke, « Piranèse » (Robert Laffont) :Voyage au cœur du labyrinthe

Dans son deuxième roman, Susanna Clarke raconte les pérégrinations d'un scientifique perdu dans un immense palais. Une rêverie poétique teintée de surréalisme, au charme irrésistible. Tirage à 10000 exemplaires.

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Par Cédric Fabre,
Créé le 08.10.2021 à 17h23

C'est le récit d'une inlassable exploration, celle que mène un homme solitaire qui vit dans un palais au nombre incalculable de pièces, occupées par de gigantesques statues. Chaque jour, il s'aventure plus loin, traverse couloirs et vestibules et inventorie ces statues qui représentent des faunes, des gorilles, des rois... Il ne craint que les marées, qui parfois envahissent certaines salles. L'homme a déjà visité des centaines de pièces sans jamais parvenir à localiser les limites du bâtiment, ni à apercevoir l'étendue de l'océan qui pénètre par vagues jusque dans les entrailles du palais. Il se considère comme un scientifique et il estime qu'il a existé quinze êtres humains depuis le commencement du monde, dont la majorité est à l'état de squelettes reposant dans les recoins de certaines pièces. « Je n'ai jamais vu le moindre signe que le monde avait une fin », note-t-il, persuadé que hors du palais, il n'existe que le soleil, la lune et les étoiles.

Certes, il y a celui qu'il appelle l'Autre, vêtu d'un costume et qui possède un ordinateur ; quand ils se rencontrent, l'Autre pose des questions à l'homme, qu'il a baptisé Piranèse, pour connaître ses nouvelles découvertes. L'Autre est à la recherche d'un grand savoir secret qui lui permettrait de converser avec le monde, voire de devenir immortel. En échange de son aide, il fait des cadeaux à Piranèse : une canne à pêche, un sandwich, une couverture, et surtout des multivitamines...

On s'attache vite au personnage de Piranèse, qui nous paraît aussi vulnérable qu'il est confiant et enthousiaste, à la curiosité insatiable mais dont la mémoire semble défaillante. Et l'on est happé par l'absurdité de sa condition, parce qu'il bâtit obsessionnellement une méthodologie pour comprendre son monde, mais sans jamais s'interroger sur son origine ni sur celle de certaines de ses aptitudes, comme l'écriture. Il ne fait pas la différence entre ce qui serait inné ou acquis mais se montre maniaque quant au référencement de ses notes dans ses carnets. Est-il un imposteur ? Est-il manipulé ? Tout bascule lorsqu'il rencontre deux visiteurs des lieux, un mystérieux prophète et le fameux « numéro 16 », dont l'Autre lui a conseillé de se méfier. Il va alors découvrir l'histoire d'un professeur d'université de Manchester qui, dans les années 1990, aurait tenté de prouver que la magie était une science et que le monde possédait des lieux cachés. Un homme fou et possiblement nuisible, auteur de ces mots : « Finalement, les Anciens cessèrent de parler au Monde et de l'écouter. Quand cela était arrivé, le Monde ne s'était pas simplement tu ; il avait changé. »

Au-delà de ses rebondissements inattendus, Piranèse, qui vient de recevoir le Women's Prize for Fiction 2021, est un bijou de construction, un roman onirique d'une grande intelligence sur la capacité d'apprentissage et la définition d'une identité. Une épopée magistrale qui dit notre besoin irrépressible de nous inscrire dans une Histoire collective, de réévaluer constamment notre place dans le monde tout en mesurant ce que nous sommes en train de perdre.

Susanna Clarke
Piranèse Traduit de l’anglais par Isabelle D. Philippe
Robert Laffont
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 306 p.
ISBN: 9782221250242

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