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Tribune : Merci Copé !

Tribune : Merci Copé !

Editrice aux éditions du Rouergue et responsable de la collection "La brune" et des collections de romans pour la jeunesse, Sylvie Gracia* réagit aux violentes attaques que portent les extrémistes à la littérature pour la jeunesse.

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Par Sylvie Gracia,
Créé le 13.02.2014 à 22h38 ,
Mis à jour le 14.02.2014 à 10h19

"Merci, Jean-François Copé. Oui, je remercie le président de l’UMP d’avoir désigné à la vindicte un album pour enfants, dans une émission politique. Le remercier, car ainsi il révèle au grand jour le combat, plus souterrain, mené en ce moment contre la littérature jeunesse, dans un contexte politique inquiétant, une "guerre idéologique" revendiquée par certains contre l’école et la supposée théorie du genre qui y serait enseignée - notamment par le biais de livres pour la jeunesse.

Entrons dans le détail. En deux semaines, deux ouvrages publiés par les éditions du Rouergue ont été pris pour cibles. Dimanche dernier, donc, Tous à poil !, de Claire Franek et Marc Daniau, a été instrumentalisé dans un beau numéro de tartufferie. Mais la semaine précédente, de façon beaucoup plus sournoise, un roman d’Anne Percin et Thomas Gornet, Le jour du slip/je porte la culotte, a été visé par des attaques multiples et concertées sur des blogs et des sites, des appels à boycott sur Twitter… Les termes utilisés à l’encontre des auteurs ont été d’une violence inouïe. Quel est donc ce pays où des écrivains sont menacés sur les réseaux - de lynchage, par exemple ? Où l’on constitue des listes de livres pour enfants à proscrire, où l’on peut télécharger des formulaires de dénonciation sous format PDF. Ecrivez au directeur de l’école. Ecrivez au maire. Dans ce pays, on appellerait à contrôler les rayonnages des bibliothèques. La littérature jeunesse de ce pays est-elle vraiment si dangereuse ? Aucun autre danger ne menacerait ses enfants que celui de tourner les pages d’un livre, même publié par le Rouergue ?

Nous aimerions nous rassurer, bien sûr, nous dire que ces mises à l’index, ces appels à censure, ces propos injurieux ne sont que des mots, simplement des mots, prononcés par des mouvements extrêmes… parfois récupérés par des chefs de parti. Mais, si nous, professionnels du livre, ne croyons pas en la force des mots, et au danger d’en prononcer certains, qui le fera ?

Sous ces coups de boutoir répétés, parfois orchestrés, dans cette culture de la désespérance économique et politique, le premier risque pour nous, auteurs, illustrateurs et éditeurs, c’est celui, insidieux, de l’autocensure. C’est pourtant en misant sur la plus grande inventivité et non sur le "risque zéro" que l’on gagne toujours. Par la joyeuse, émouvante, liberté du livre. Pour les enfants et les adolescents de ce pays."

* Sylvie Gracia est par ailleurs écrivaine. Dernier livre publié : Le livre des visages, éditions Jacqueline Chambon, 2012.

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