Je voulais être en première ligne afin d'assister au grand spectacle de l'ascension chinoise, vue de l'intérieur", explique Chan Koonchung. Aussi, en 2000, décide-t-il de quitter la douillette Hongkong, où avait émigré sa famille dès 1956, pour s'installer à Pékin. Démarche peu commune en Chine, où les intellectuels et les artistes, s'ils veulent s'exprimer librement, ont plutôt tendance à s'expatrier. "Naturellement, je savais que ma vie serait différente, poursuit l'écrivain. En Chine, je ne peux pas dire tout ce que je veux. C'est pourquoi j'ai mis toutes mes idées dans mon roman, sans m'autocensurer. Jusqu'à présent, les autorités n'ont pas réagi officiellement, et je n'ai pas eu d'ennuis. Mais le Parti communiste chinois est imprévisible, délibérément !" Son roman, Shengshi : Zhongguo 2013 (devenu en français : Les années fastes), est paru à Hongkong en 2009. Pas en Chine, où "toute l'édition est, directement ou non, aux mains de l'Etat".

Sous les apparences d'une fiction légèrement décalée dans le temps, il s'agit d'un tableau satirique de la Chine d'aujourd'hui, emportée dans un tourbillon infernal. Alors que le reste du monde est en proie à un véritable tsunami économique, l'ancien empire du Milieu vit dans une incroyable euphorie. Les Chinois consomment, s'empiffrent et s'amusent. Jusqu'au jour où certains se rendent compte qu'ils sont sous surveillance d'un Big Brother rouge, lequel élimine tout ce qui dérange : les dissidents, les pauvres et même un mois du calendrier ! Et c'est un écrivain, élevé entre Hongkong et Taïwan, qui va dévoiler le vrai visage de son pays...

Transparente, la fable a remporté un beau succès, à Hongkong et à Taïwan, justement. Salué par la presse anglo-saxonne, Shengshi : Zhongguo 2013 est en cours de traduction dans une douzaine de pays. Quant à la Chine, quelques exemplaires y sont d'abord passés en contrebande. Le roman s'est retrouvé piraté sur Internet, suscitant de nombreuses réactions de blogueurs. Face à quoi Chan Koonchung s'est réapproprié son texte, corrigeant les fautes qui y avaient été insérées, mais ne maîtrisant absolument pas le phénomène : "J'ignore combien d'exemplaires de mon livre circulent actuellement en Chine, dit-il, et je ne toucherai évidemment pas de royalties !" Peu lui chaut. Tout en gardant sa nationalité hongkongaise, laquelle peut constituer un bouclier en cas de problèmes avec la censure d'Etat, il savait qu'il prenait des risques.

Chine des villes et Chine des champs

Né à Shanghai en 1952, M. Chan appartient à la génération de la Révolution culturelle. "Si j'avais vécu en Chine, je serais devenu Garde rouge", plaisante-t-il à moitié. Heureusement pour lui, ses parents, importateurs de vêtements, ont choisi Hongkong. Où Koonchung a grandi, sans jamais se désintéresser de ce qui se passait dans sa patrie, ni dans le reste du monde. Journaliste, il a travaillé pour la presse anglaise, a fondé le magazine City en 1986, qu'il a revendu en 1999. Ensuite, il a créé une ONG écologiste, a été membre de l'état-major de Greenpeace jusqu'en 2011. Il a beaucoup voyagé, publié des essais et des recueils de nouvelles. Et puis ce roman, son premier. "Jusqu'à présent, dit-il, toujours pince-sans-rire, j'étais un auteur pour happy few." Son statut est peut-être en train de changer, de se "mondialiser". A l'image de la Chine elle-même. Ou plutôt des Chines. "Car il y a beaucoup de Chines en Chine, explique M. Chan, même si on exagère le fossé entre la Chine des villes et celle des champs : avec 800 millions de portables, même les paysans en possèdent. Les internautes chinois sont 500 millions, dont de nombreux jeunes de la campagne."

Chinois bien particulier, dont ses concitoyens, avant même qu'il ouvre la bouche, devinent à son accent qu'il n'est pas "de chez eux" - il parle le shanghaïen, le cantonais, le mandarin et l'anglais, a écrit son livre dans un "chinois standard" -, on sent Chan Koonchung fasciné par son pays, dont il a fait en quelque sorte le laboratoire de sa création : il travaille actuellement à un autre roman sur la Chine d'aujourd'hui, même s'il confie qu'il n'est pas "sûr de le terminer". Mais quel écrivain est-il jamais certain d'achever le livre en chantier ?

Les années fastes, Chan Koonchung, traduit du chinois par Denis Bénéjam, Grasset, 384 p., 20 euros, mise en vente le 11 janvier.

05.03 2015

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