"Un des derniers esprits encyclopédistes"

"Foucault invente un nouveau plaisir qui ne relève ni de l’érudition ni de la spéculation : le plaisir de se laisser traverser par une histoire qui nous adresse quelque chose." Frédéric Gros - Photo Olivier Dion

"Un des derniers esprits encyclopédistes"

Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, Frédéric Gros, qui a dirigé l’édition des œuvres de Foucault en "Pléiade", salue sa rigueur et son érudition.

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Par Laurent Lemire,
avec Créé le 30.10.2015 à 01h05

Frédéric Gros - Une extrême érudition et une pensée qui se caractérise par sa non-spécialisation. Michel Foucault est un des derniers esprits encyclopédiques. En cela, dans sa manière de poser l’interrogation sur ce qui fait notre différence, il est un héritier des Lumières. En même temps, ce champ de la connaissance est étendu chez lui dans des proportions gigantesques. A partir de ces archives, il y a de quoi construire des fictions historiques. C’est ce qu’il faut entendre quand Foucault prétend n’avoir écrit que des fictions. D’ailleurs il écrit des histoires, de la folie, de la sexualité, de l’enfermement, etc. D’habitude, la vérité est là pour conforter les choses. Or Foucault nous rend plus étrangers à nous-mêmes. Il n’est jamais à l’aise avec ses propres évidences. Cette attitude n’est pas celle d’un historien, mais d’un philosophe qui retrouve l’interrogation socratique. Dans sa manière de poser les problèmes, il a eu le rôle d’un inquiéteur public.

Sans conteste, le travail de vérification des sources qui sont considérables. Certains ont reproché à Foucault son approximation. C’est tout le contraire qui est montré. Chacun pourra constater l’ampleur de l’érudition et la rigueur impressionnante de son système de classification des archives. On se dit qu’il faut avoir vécu plusieurs vies pour lire ce qu’il a lu. Désormais, cette exigence documentaire apparaît dans toute son envergure.

C’est une reconnaissance de la valeur littéraire et philosophique de son œuvre. Il y a aussi chez lui une dimension monumentale qu’il faut accepter. Au milieu des années 1980, à l’époque de mes études de philosophie à Normale sup, Foucault n’était pas un auteur considéré. On disait : "ça va passer, c’est une mode". C’était quelqu’un qui ne faisait pas autorité auprès des autorités. Depuis, on a vu combien cette œuvre n’a cessé de s’imposer bien au-delà du champ des sciences humaines.

Foucault écrivait traversé par les livres des autres. Son œuvre est aussi une expérience du langage et de l’écriture. On le voit à l’attention qu’il porte au style. C’est toujours très maîtrisé, quelquefois baroque dans Histoire de la folie, ou plus abstrait dans Les mots et les choses. Foucault invente un nouveau plaisir qui ne relève ni de l’érudition ni de la spéculation : le plaisir de se laisser traverser par une histoire qui nous adresse quelque chose. Il met en synergie les trois dimensions de l’histoire : ce qu’on fait, la discipline qui l’étudie et le récit que l’on en fait. C’est ce croisement qui en fait une pensée philosophique pour comprendre la manière dont on construit des vérités pour se soutenir. L. L.

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