3 janvier > Roman France > Serge Toubiana

Il en va des écrivains comme des autres, certains départs laissent plus étourdis que d’autres. Ce n’est pas une question de chagrin. De manque, plutôt. En ce sens, depuis le 10 mai dernier, c’est fou comme Emmanuèle Bernheim manque. A ses amis, de la littérature, du cinéma, de partout, qui furent si nombreux à le dire, à l’écrire parfois dès qu’ils la surent partie. Aux siens et à cet homme qui partageait sa vie depuis vingt-huit ans, sa vie et ses passions, entre Paris et l’Ile-aux-Moines, Serge Toubiana.

C’est cette vie, cette mort aussi, qu’il offre aux lecteurs dans un geste de générosité, à l’image de celle qui l’a inspiré, avec ce si beau tombeau qu’est Les bouées jaunes. Toubiana y décline la carte du Tendre de son histoire. La rencontre au début des années 1980 aux Cahiers du cinéma, dont il était alors le directeur et dont elle fut la responsable des archives photo. La naissance progressive du sentiment amoureux. La découverte radieuse de la vie de couple, d’un quotidien comme transfiguré par la grâce qu’elle imposait à toute chose. Les rencontres (pages magnifiques comme extraites de la tristesse, sur Olivier Assayas, François Ozon…), les livres d’Emmanuèle comme autant de dévoilements progressifs d’elle-même, les films qui sont autant de territoires que chacun s’offre. Les blessures de l’enfance de la jeunesse et les rapports avec un père excessif qui sera comme le totem ambigu de l’ultime œuvre, Tout s’est bien passé (Gallimard, 2013). La maladie enfin et la lente, douloureuse et magnifique cérémonie des adieux qu’elle impose, jusqu’aux derniers jours à l’hôpital Bichat.

Le prix de ces Bouées jaunes est toutefois moins dans cette relation circonstanciée d’un amour, et de l’épreuve ultime qu’il traverse, que dans ce que Serge Toubiana exprime depuis chez lui. Celui qui fut, notamment auprès de Serge Daney, l’un des critiques les plus essentiels de ce temps, y retrouve la femme qu’il aime là où elle est désormais, dans ses livres. Ce rendez-vous est si joliment honoré. Et comme John Mohune le dit à Jeremy Fox à la fin des Contrebandiers de Moonfleet : sans conteste, "l’exercice a été profitable". O. M.

Les dernières
actualités