27 OCTOBRE - ESSAI Allemagne

Hans Magnus Enzensberger- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Le chou de Bruxelles est une plante dont les bourgeons forment de multiples petites têtes comestibles. A l'instar de ce légume vert, l'administration de l'Union européenne, sise dans la capitale belge, connaît une prolifération d'organismes, mais ceux-ci produisent des fruits proprement indigestes - les directives qui s'immiscent dans les moindres aspects de la vie du citoyen. Citons, pour rester dans le domaine potager, le règlement communautaire 1677/88 sur le concombre, qui, pour être qualifié d'"extra", doit présenter une courbure n'excédant pas une "hauteur maximale de l'arc : de 10 mm pour 10 cm de longueur". Il a fallu vingt ans pour abroger une telle règle, mais bien d'autres non moins absurdes relatives à la lampe à usage domestique ou à la taille du préservatif sont toujours en vigueur.

Hans Magnus Enzensberger jette un pavé dans la mare de la bien-pensance euro-enthousiaste. Non pas que l'écrivain et poète allemand né en 1929 en Bavière soit anti-européen. Au contraire ! Cet honnête homme iconoclaste dont on se souvient de l'essai sur le fanatisme musulman, Le perdant radical (Gallimard, 2006), a connu, comme nombre d'Européens de sa génération, la dictature et n'est pas prêt à abandonner ce pour quoi le Vieux Continent s'est déchiré et a combattu au siècle dernier : la démocratie. A savoir, le droit du peuple de décider par lui-même et pour lui-même. Or c'est là que le bât blesse, et ce malgré "les public relations gesticulatoires » du corps des fonctionnaires de l'UE. Tout le monde, même les plus fervents champions de la construction européenne, s'accorde à le dire : l'Europe souffre d'un "déficit démocratique". Euphémisme s'il en est. La Commission (composée de commissaires non élus) d'où proviennent ses contraignantes directives ne cesse de faire enfler son "monstrueux recueil de normes que jamais personne n'a lu", le fameux "acquis communautaire" : en 2004, déjà 85 000 pages ; aujourd'hui, plus de 150 000 pages. Dès l'année 2005, le Journal officiel del'Union européenne pèse plus d'une tonne, "autant qu'un jeune rhinocéros". Et notre Cassandre de noter : "Plus de 80 % des lois n'émanent plus des Parlements [nationaux] mais de Bruxelles." Non contente de légiférer à tour de bras, l'hydre bruxelloise n'hésite pas à forcer sa conception de l'intégration en faisant entrer l'Italie et la Belgique dans la zone euro alors qu'en 1997, l'année de référence, leurs dettes s'élevaient à plus de 120 % du PIB ! Le pacte de stabilité et de croissance stipule qu'elle ne doit pas dépasser 60 %... L'Union fait la farce. Triste plaisanterie, car cette fuite en avant (toujours plus d'intégration alors que les économies connaissent des disparités croissantes ; neuf référendums se sont soldés par un rejet de la politique menée) augure l'avènement de "l'ère postdémocratique". Jean Monnet, père de l'Europe, avait peu de goût pour "la démocratie classique", rappelle Enzensberger. Le pire, c'est que l'Union européenne, dirigée par des clercs paternalistes, n'exerce pas avec violence mais insidieusement son emprise : c'est le Léviathan à visage humain.

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