19 octobre > Histoire France > Pierre Fournié

Les femmes face à leurs juges, masculins bien sûr. C’est le sujet de ce livre qui fait bien plus qu’accompagner la grande exposition qui se tiendra du 29 novembre au 27 mars prochains aux Archives nationales. De la fin du Moyen Age au XXe siècle, nous cheminons, documents exceptionnels à l’appui, dans les procès des sorcières, empoisonneuses, infanticides, pétroleuses sous la Commune ou femmes tondues à la Libération pour "collaboration horizontale". Ce carnaval moche qui théâtralise l’humiliation des corps concerna environ 20 000 femmes. Parmi elle, Simone Touseau, immortalisée par Robert Capa comme la fameuse "tondue de Chartres".

En lisant les extraits de ces procès-verbaux des interrogatoires ou ce que l’on nomme les "auditions de bouche", on constate la partialité sexiste des procédures judiciaires. Dans sa préface, Elisabeth Badinter élargit cette notion de culpabilité. "La présumée coupable est celle dont on parle, non seulement dans les archives judiciaires, mais aussi dans les pamphlets, les salons ou le village, parce que d’une façon ou d’une autre elle a défié la norme. D’aucuns diront la loi divine."

Jeanne d’Arc, Louise Michel ou Léonie Bathiat, plus connue sous le nom d’Arletty, ont un point commun. Elles ont transgressé la règle, comme Eve fut accusée d’avoir tenté Adam ou Pandore d’avoir ouvert la boîte qui contenait tous les fléaux du monde. Non sans ironie, Hésiode la gratifiait d’un "si beau mal".

La médiéviste Claude Gauvard résume le fond du problème. "La femme est d’autant plus coupable qu’elle ne devrait pas l’être." Mais que voulez-vous, elle est si faible face au démon… C’est le cas de Médarde Léger à la fin du XVIIe siècle. Elle avait 14 ans lorsqu’elle empoisonna son mari sur les conseils du curé du village dont elle était la maîtresse…

L’imaginaire puissant de la criminelle, de l’empoisonneuse ou de la terroriste fantasme en quelque sorte la réalité du délit. Violette Nozière passe du stade de parricide à celui de symbole. Les surréalistes, Breton en tête, en font une héroïne, comme Duras qualifiera Christine Villemin de "forcément sublime" pour de très mauvaises raisons. Comme quoi la bêtise n’est pas une spécialité des hommes. Mais au sortir de ce livre passionnant et magnifiquement illustré, la justice masculine ne sort pas grandie. Laurent Lemire

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