Roman/France 21 août Jean-Luc Coatalem

Voici un livre qui n'a pas dû être évident à écrire pour Jean-Luc Coatalem, bel écrivain-voyageur qui nous avait habitués soit à des récits de périples plus ou moins farfelus traités avec détachement et humour à froid (comme ses fameuses Nouilles froides à Pyongyang, Grasset 2013), ou à des romans hauturiers inspirés d'aventures ou d'aventuriers, et qui faisaient rêver son lecteur à des paradis perdus ou des terres inconnues. Rien de semblable ici.

Même s'il revendique son livre comme une reconstitution historique avec sa part de fiction, Jean-Luc Coatalem a entrepris de raconter les vies - deux tragiques et l'une pas très gaie, marquée à jamais par ces mêmes tragédies - des hommes de sa famille : Paol, son grand-père, né en 1894, qui avait fait une Première Guerre exemplaire, s'est, lors de la Seconde, engagé dans la Résistance, a été arrêté par la Gestapo (sur dénonciation), puis torturé, déporté à Buchenwald-Dora, où il a fini dans les tunnels de construction des V2 le 14 décembre 1943.

Son premier fils, Ronan, a rallié tout jeune les FFL, puis s'est engagé dans la Légion où il a mené une vie aussi aventureuse que mystérieuse. Ensuite, en Algérie, il avait rejoint l'OAS. Il est mort en 1980, sans jamais avoir voulu raconter son histoire. Quant à l'autre fils, Pierre, le père du narrateur, à qui le livre est dédié, élevé par sa mère seule, Jeanne (personnage un peu effacé dans cette histoire), lui aussi, après avoir étudié à Saint-Cyr, a fait la guerre, puis carrière dans l'administration coloniale, notamment en Polynésie ou à Madagascar. D'où, sans doute, cette tentation « exotique » de son fils écrivain qui dit de lui, joliment : « Je ne l'ai pas connu. » Car Pierre, toujours en vie, est lui aussi, comme nombre d'hommes de ces générations qui ont combattu, un taiseux pudique, breton de surcroît, renfermé sur ses souffrances intimes.

Coatalem, lui, qui est aussi journaliste, s'est fait archéologue de sa propre famille, de son héros Paol, du plus contestable Ronan, et aussi de Pierre, qui finira quand même, afin de faciliter son enquête, par lui confier les documents en sa possession. En revanche, quand Jean-Luc décide de partir sur place, à Dora, voir de ses yeux où Paol est mort dans des circonstances précisément décrites par l'un de ses camarades, Louboutin, rescapé, qui en a fait le récit, il craque, pleure « invisiblement » sans doute pour la première fois de sa vie, et confie : « J'aurais dû y aller. » Mais il n'a pas pu, et personne ne saurait l'en blâmer. Le petit-fils accomplit donc seul son terrible pèlerinage, et découvre même, à la fin, quel salaud a dénoncé Paol, et pour quel motif sordide.

Cette Part du fils, lourde à porter certainement depuis toutes ces années, Jean-Luc Coatalem s'en est acquitté superbement, dans un livre complexe, où les hommes et les destins se mêlent. Parfois, on se perd un peu, comme « l'archéologue » lui-même, mais sa maîtrise littéraire reprend le dessus, et le lecteur se retrouve à la fois impressionné, ému, presque envieux d'une famille si romanesque.

Jean-Luc Coatalem
La part du fils
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Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19 euros ; 272 p.
ISBN: 9782234077195

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