23 FÉVRIER - ESSAI France

Margaret Thatcher, Premier ministre britannique de 1979 à 1990, est l'une des figures de la droite européenne les plus conservatrices de la fin du XXe siècle.- Photo CAMERAPRESS/GAMMA

"La société, ça n'existe pas", avait déclaré Margaret Thatcher au cours d'un entretien où elle expliquait qu'il n'y avait que des individus, hommes et femmes, qui devaient trouver eux-mêmes ou au sein de leur famille les solutions à leurs problèmes. Les propos de l'ancien Premier ministre britannique résument bien la philosophie conservatrice et auraient pu figurer en exergue du dernier essai d'Emmanuel Terray, Penser à droite. L'anthropologue africaniste et penseur tout-terrain mais dont les thèmes de prédilection demeurent la politique, la liberté, la démocratie, la violence, entreprend ici de retracer la généalogie de cette pensée qui tend à préférer la réalité à l'idéal, l'ordre au changement et l'autorité à la persuasion. L'auteur est certes bien trop fin pour n'avoir pas manqué d'observer que la droite revêt non pas un seul mais plusieurs visages. Ainsi sont convoqués dans cette fascinante anatomie de la droite des théoriciens allant du libéral Montesquieu, favorable à la séparation des pouvoirs, au réactionnaire Joseph de Maistre, champion de la monarchie de droit divin, en passant par l'historien conservateur Hippolyte Taine, le philosophe positiviste Auguste Comte ou le fondateur de l'Action française, Charles Maurras, ou encore, plus contemporaine, l'auteure d'Eloge de la singularité, Chantal Delsol. L'idée est pour Terray non pas de dégager un système à partir de courants disparates, mais de dépeindre une tournure d'esprit, une espèce de tempérament idéologique. Première remarque : "La pensée de droite est d'abord un réalisme." Penser à droite, c'est avoir les pieds sur terre, c'est être comme l'arbre bien enraciné dans ce qui est, cette réalité si imparfaite soit-elle mais qu'on connaît déjà. "Le réel nous déborde : le penseur de droite convient avec Hamlet qu'"il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie"." Bouleverser l'ordre des choses, validé par des siècles de tradition, est-ce bien raisonnable ? Et pour quoi faire ? Troquer une existence même miséreuse contre d'improbables châteaux en Espagne, ou des utopies qui, une fois réalisées, se révéleraient meurtrières ? La Révolution française et la Terreur qui s'ensuivit sont passées par là, qui ont frappé les esprits tels les antirévolutionnaires Edmund Burke ou Antoine de Rivarol. "Le mieux est l'ennemi mortel du bien", confessait déjà Montesquieu. Car, au fond, comme le suggère Hobbes, philosophe de l'absolutisme avec son Léviathan, l'homme est mauvais, un motif théologique de la chute d'Adam qu'on devine même chez les incroyants conservateurs.

Aussi, pour la pensée de droite, nul n'est-il besoin de progrès, ne pas lâcher la proie d'un quotidien palpable pour l'ombre d'un avenir incertain. Cette détestation des abstractions et de l'idéalisme se traduit par le peu de foi dans l'action politique. Pourquoi une correction ? Puisqu'il n'y a que des individus, dixit la Dame de fer, le reste n'est que parlote, seule compte l'efficace de l'action : "la préférence du penseur de droite va très majoritairement à l'exécutif", d'où un goût prononcé pour l'ordre et la hiérarchie, et la rhétorique du devoir. Mais dans ce "penser à droite", comme le montre bien l'auteur de Combats avec Méduse (Galilée, 2011), gît pourtant une forme de contradiction sinon de tension : si l'on pleure chaque jour le déclin des valeurs et l'oubli des règles entre les personnes, on ne trouve souvent rien à redire au laisser-faire amoral des marchés.

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