26 JANVIER - ROMAN Grande-Bretagne

Martin Amis- Photo JACQUES SASSIER/GALLIMARD

Il est enfin de retour. De portrait de Staline (Koba la terreur, L'?uvre, 2009) en sombres ruminations sur le 11-Septembre (Le deuxième avion, Gallimard, 2010), ses lecteurs les plus fidèles pouvaient se demander où était passé son humour, et finalement son talent, tant il est vrai que l'on ne chante jamais plus juste que dans son arbre. Qu'ils se rassurent, humour et talent sont bien au rendez-vous de La veuve enceinte, le douzième roman de Martin Amis.

Italie, 1970. Keith (en qui on s'autorisera à reconnaître le double romanesque de l'auteur) a bien choisi l'endroit où passer l'été de ses 20 ans. Un château loin de tout, et même de la rumeur du monde, à l'exception de celle de la révolution sexuelle naissante. En vertu de quoi Keith, que l'on soupçonne de craindre avant tout de ne pas apparaître moderne, ou pas assez, hésite entre trois jeunes femmes, comme autant de sirènes magnifiques sur le chemin de la damnation. Il y a d'abord sa petite amie, Lily, avec laquelle il entretient des relations où le platonisme n'est pas sans rapport avec l'érotisme. Il y a aussi Shéhérazade, une grande bringue sublime, qui vient de s'apercevoir qu'elle l'est, et achève d'en convaincre chacun en bronzant seins nus au bord de la piscine du domaine. Il y a enfin Gloria, peut-être la plus troublante de toutes, qui érige l'indécision sexuelle au rang des beaux-arts. Et il y a donc la campagne italienne, des play-boys milliardaires et nabots, quelques homos décoratifs, un personnel de maison sarcastique, tous les éléments constitutifs d'une farce un peu triste et sans doute plus romantique qu'elle ne le laisse paraître.

La veuve enceinte (expression métaphorique pour signifier une période de transition entre deux formes d'ordre social) ne peut se comprendre pleinement hors de son acception politique. C'est un roman cruel sur l'hédonisme de la jeunesse et la haine de soi. Un roman à idées où, comme à ses plus beaux moments et dans la grande tradition de Thackeray ou Sterne, Martin Amis démontre avec une maestria retrouvée combien parfois les idées sont sexy...

De retour au roman, il revient donc aussi à son cher sujet. Le sexe ? Il y a de ça. La littérature ? Oui, car Keith ne se laisse distraire de l'impératif sexuel des temps que par la lecture. Mais le vrai sujet de ce livre est tout autre. Comme dans tous les grands livres d'Amis, de L'information (Gallimard, 1997) à Expérience (Gallimard, 2003), c'est le temps qui passe sans y avoir été invité. Dans un magnifique avant-propos, situé vingt-six ans après l'été italien (et cet aller-retour entre passé et présent se poursuivra tout au long du livre), Amis écrit : "Lorsque le cinquantième anniversaire approche, on a le sentiment que la vie s'amenuise [...]. Et on se dit parfois à soi-même : c'est allé un peu vite. C'est allé un peu vite [...]. Comme dans : EH OH !! PUTAIN, C'EST ALLÉ UN PEU TROP VITE !!!... Et puis on a cinquante ans, et puis cinquante et un [...]. Et la vie reprend de l'épaisseur. Parce qu'il y a maintenant une présence énorme et insoupçonnée en vous, tel un continent qui n'a pas encore été découvert. C'est le passé." Martin Amis est un grand mélancolique (d'autres diraient réactionnaire) et c'est ainsi qu'on l'aime.

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