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« Weekly Shōnen Jump », la source aux mangas

« Weekly Shōnen Jump », la source aux mangas

Lancé en 1968, ce magazine japonais de prépublication, est estampillé faiseur de hits. Dragon Ball, Naruto ou One Piece, les éditeurs français y puisent leurs séries à succès, se livrant à une concurrence acharnée, alors que la version numérique du titre apporte un nouveau souffle à la galaxie Jump.

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Par Dahlia Girgis,
Créé le 04.05.2023 à 12h54 ,
Mis à jour le 04.05.2023 à 15h41

Ils l'appellent le « hitmaker japonais », « l'incontournable » ou tout simplement « le Jump ». Après 55 ans d'existence, le Weekly Shōnen Jump reste une référence pour les éditeurs français. Dragon Ball, Naruto, One Piece, Demon Slayer, Assassination Classroom... depuis des générations, les récits parus dans ce magazine de prépublication de l'éditeur japonais Shueisha campent dans les meilleures ventes. La réputation de l'hebdomadaire bien connu des fans de mangas n'est plus à faire auprès des éditeurs qui s'arrachent ses licences. Et aujourd'hui, poussés par une concurrence impitoyable, ils n'ont d'autres choix que de prendre des risques ou de trouver des alternatives en ligne.

En 1968, à sa création, le périodique se trouve face à de nombreux magazines concurrents, comme le Weekly Shōnen Magazine édité par Kodansha. Pour se démarquer, l'équipe du Jump mise sur la découverte de nouveaux talents. Ils sont dénichés à travers des concours qui perdurent aujourd'hui. Parmi eux se trouvent le prix Tezuka en l'honneur d'Osamu Tezuka, le père d'Astro Boy. Le mangaka de Cobra, Buichi Terasawa ou encore Yoshihiro Togashi, auteur de Hunter x Hunter font partie des lauréats de ce prix. « Le Jump a réussi à créer un cercle vertueux : rentrer et rester dans le Jump est une gageure en raison de la compétition entre mangakas », affirme Timothée Guédon, éditeur chez Kana. Un avis partagé par Satoko Inaba, directrice éditoriale de Glénat : « Les places dans un magazine à la pagination limitée sont rares et très convoitées, donc on peut espérer une certaine qualité. » Les premiers juges de cette excellence sont les lecteurs japonais. Leurs goûts lui ont donné dès le départ son orientation éditoriale : le triptyque amitié, effort et victoire.

Des prises de risques aux séries avortées

Le mangaka, accompagné de son éditeur attitré, le « tantô », veille à séduire ce lectorat et à garder ses faveurs. À chaque numéro, le public est interrogé sur ses histoires préférées. Dans les premiers numéros de 2023, on retrouve dans les favoris l'inénarrable One Piece, mais aussi Jujutsu Kaisen, Sakamoto Days, Blue Box ou Me and Roboco. Si une série ne rencontre pas l'adhésion des lecteurs, la publication s'arrête. Une politique défendue par l'ancien rédacteur en chef du magazine Hiroki Gotô. L'éditeur a travaillé dans le magazine dès 1970 et a suivi pendant une vingtaine d'années l'éclosion des premiers triomphes tels qu'Olive et Tom et Les chevaliers du Zodiaque. Dans son livre témoignage Jump : l'âge d'or du manga, traduit par Julie Seta (Kurokawa, 2019), il écrit : « On peut dire que les combattants se battent à armes égales sur le ring de la popularité. Nous ne sommes pas là dans un combat qui se base sur la renommée des participants, mais bien sûr leur force brute de raconteurs ! » Ainsi, même un mangaka connu comme Masashi Kishimoto, se plie aux règles. En 2019, le célèbre auteur de Naruto revient avec Samouraï 8. L'histoire suit Hachimaru, un jeune apprenti samouraï qui doit sauver le monde. Au bout de 43 chapitres, soit cinq tomes, la série est arrêtée en raison de son mauvais classement. En France, Kana est obligé de suivre la décision éditoriale du Japon.

Parfois, le pari est remporté. En 2019, Yoshifumi Tozuka propose au Jump le « one shot » Undead Unluck. Un récit centré sur un duo doté de pouvoirs convoité par une mystérieuse organisation. Un succès validé auprès des lecteurs qui amène un an plus tard le mangaka à sérialiser leurs aventures. Les droits de la licence sont remportés en France par Kana. Traduite par Rodolphe Gicquel, l'œuvre est proposée en septembre 2021 dans les librairies de l'Hexagone. Le premier volume s'est écoulé à près de 27 000 exemplaires. L'aventure continue avec la sortie des tomes 11 et 12, respectivement en mai et juin, et une adaptation en anime est prévue cette année.

Un regard attentif vers le numérique

Les prises de risque deviennent la règle. L'achat d'un titre ne se fait plus avant la publication d'un ou plusieurs tomes reliés au Japon, mais dès l'apparition du premier chapitre. « Nous devons "sniffer" les succès de demain » explique Grégoire Hellot, directeur éditorial de Kurokawa. Les professionnels ont chacun leur technique secrète. Mais tous s'accordent sur l'importance du graphisme, d'éléments de narration qui créent l'attachement aux personnages, et la compatibilité avec les goûts du lecteur français. Bien que la popularité du titre au Japon reste centrale.

Le bonheur se trouve parmi la vingtaine de séries réparties en chapitres sur 350 pages. Toutefois, les nouveautés sérialisées n'y sont pas nombreuses. « La fascination pour le Jump est indéniable, mais il faut prendre en compte ses limites physiques : une pagination fixe et peu de nouvelles séries », précise Grégoire Hellot. À l'inverse du Shōnen Jump +, version en ligne du magazine proposée par Shueisha. Le marché du numérique progresse rapidement au Japon où la plupart des éditeurs proposent leurs magazines en ligne. Le Shōnen Jump + a été un des pionniers. « Shueisha a réussi à prendre un coup d'avance et montre une volonté de sortir du seul marché japonais pour s'adresser aux autres lectorats », estime Timothée Guédon.

Les éditeurs découvrent les chapitres dès leur publication et là encore, la concurrence s'intensifie, poursuit-il : « Tout le monde est dessus, la compétition est devenue plus intense et peut faire monter les enchères. » D'autant que les séries de la version en ligne se révèlent novatrices. « Les plateformes en ligne n'ont pas ce souci de place, et peuvent proposer des titres plus expérimentaux », explique Satoko Inaba. C'est le cas de Spy x Family signé Tatsuya Endō et prépublié bi-mensuellement depuis mars 2019 sur le Shōnen Jump +. La version française traduite par Satoko Fujimoto est éditée par Kurokawa depuis septembre 2020. Devenant le deuxième manga le plus vendu en France en 2022. Du magazine papier à la plateforme en ligne, les séries ne manquent pas. Encore faut-il trouver la perle rare. « Tout le monde a peur de rater le prochain Naruto, résume Grégoire Hellot, nous assistons aujourd'hui à une véritable guerre des éditeurs ».

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