Récit

Zoé Valdés, «Les muses ne dorment pas» (Stock) : Sortilèges madrilènes

Zoé Valdés - Photo © Stock

Zoé Valdés, «Les muses ne dorment pas» (Stock) : Sortilèges madrilènes

Au musée Thyssen-Bornemisza à Madrid, Balthus et Bonnard inspirent Zoé Valdés qui dédie à chacun un récit sur leur muse. Tirage à 5000 exemplaires.

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Par Sean J. Rose,
Créé le 29.05.2021 à 13h32

Les Victoriens, paraît-il, couvraient par pudibonderie les pieds des pianos. Il s'agit en vérité d'une légende urbaine. Parfois l'Histoire colporte des images d'Épinal afin de mieux faire comprendre l'esprit d'une époque, en l'espèce le puritanisme chez les gens de la fin du XIXe siècle. En matière de moralisme, ceux du début du XXIe siècle n'ont pas grand-chose à envier aux contemporains de la reine Victoria. S'il n'est pas question de nier aux victimes d'abus bien réels justice et réparation, avouons que le manichéisme nécessaire à la fixation de la règle de droit a envahi le domaine de la création. Il est à craindre cependant qu'en art tout ne soit ni tout blanc ni tout noir, que dans un tableau, un livre ou un film soit explorée la zone grise du doute et du désir. L'exposition Balthus au musée Thyssen-Bornemisza souleva la polémique : l'auteur de cette peinture à l'érotisme diffus n'avait-il pas employé des modèles trop jeunes ?

L'ambiguïté n'est pas pour déplaire à Zoé Valdés qui, invitée par l'institution madrilène dans le cadre de la collection « Ma nuit au musée » (Stock), s'est inspirée d'une de ces très jeunes filles qui posaient pour Balthus. Dans Les muses ne dorment pas, l'auteure cubaine exilée à Paris depuis 1995 ourdit un jeu du chat et de la souris entre le mystérieux personnage masculin du Passage du Commerce-Saint-André, l'homme à la baguette, vu de dos - l'autoportrait du peintre - et la fille, au premier plan, qui toise le spectateur. Mêlant des thèmes de prédilection (Cuba, l'exil, la sensualité...), Zoé Valdés enroule sa fiction autour du motif du créateur fasciné et de sa juvénile égérie, entre pouvoir et soumission. Les frontières entre réalité et fantasme, présent et passé se dissolvent ; les toiles - couleurs et vie capturées par le pinceau - s'animent comme par magie grâce au génie de l'artiste et par l'œil imaginatif de la visiteuse. Les souvenirs ricochent vers une mémoire de plus en plus ancienne : au Thyssen elle voit un Canaletto, et c'est la cité des Doges qui lui revient en tête, puis enfin tout l'art sur les cimaises qu'elle avait admiré, enfant, avec sa grand-mère sous la dictature castriste... Aujourd'hui c'est sa propre fille Attys Luna, jeune adulte, qu'elle convoque à travers le portrait de Misia Godebska par Pierre Bonnard. Mais c'est Renée Montchaty, autre modèle de Bonnard, qui fait l'objet d'un second récit de vie fantasmagorique s'enlaçant à celui dédié à Balthus. Dépitée, la jeune amante sublimée par le peintre dans Femme à la toilette, se suicida à cause de lui.

Zoé Valdés
Les muses ne dorment pas Traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan
Stock
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 224 p.
ISBN: 9782234088405

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