23 août > BD France > Emil Ferris

Sous sa couverture inquiétante et son titre explicite, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres s’annonce comme la sensation graphique de la rentrée. Conçu à la manière d’un journal, celui d’une fillette de 10 ans, et d’ailleurs écrit et dessiné comme sur les pages d’un gros carnet, ce pavé de plus de 400 pages est la première œuvre d’une illustratrice également dessinatrice de jouets pour McDonald’s, née en 1962 à Chicago. Travaillé pendant six ans, il porte la marque des traumatismes vécus par son auteure. En 2002, Emil Ferris contracte à la suite d’une piqûre de moustique une forme grave du virus du Nil occidental qui la laisse sur une chaise roulante. Incapable de tenir un stylo, elle le scotche à sa main droite, qui lui sert à dessiner. Elle reprend des études qui débouchent sur un diplôme supérieur du Art Institute of Chicago et contribuent progressivement à son rétablissement.

Dans le Chicago de la fin des années 1960, Karen Reyes, 10 ans donc, qui se représente elle-même comme un petit loup-garou, est passionnée par les magazines d’horreur dont l’alimente son frère aîné, un grand tatoué travaillé par ses hormones, qui l’encourage à dessiner et l’emmène au musée. Elle adore les fantômes et les vampires, qu’elle voit un peu partout sous les traits de ses voisins ou des personnes qu’elle rencontre. Elle les dessine avec des canines proéminentes, des poils à l’envi ou des allures de squelette. Sauf Anka Silverberg, la voisine du dessus: "C’était la plus jolie femme que j’aie jamais vue."

Chaque matin ou presque, depuis la maternelle, celle-ci glissait discrètement à Karen deux tranches de pain de seigle avant de la regarder partir pour l’école. Or, le 14 février 1968, elle est abattue dans son salon d’une balle en plein cœur. Passé le choc, la fillette se lance dans une époustouflante enquête, des proches de la voisine à sa propre famille. Elle fait ressurgir, dans l’Allemagne nazie, le passé de cette survivante de la Shoah et une multitude de personnages monstrueux et banals dans un ouvrage extrêmement sophistiqué, qui progresse au rythme du cancer de sa mère et d’une réfléxion sur sa propre identité. Cette traque aux multiples facettes est restituée par des dessins d’une force impressionnante, réalisés au stylo-bille ou au feutre dans leurs couleurs les plus basiques. Le découpage, la structure narrative du livre, sans cesse en mouvement, sont d’une virtuosité rares.                   Fabrice Piault

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