ÉGYPTE

Agnès Debiage : "Je ne sais pas comment on va s'en sortir"

Agnès Debiage : "Je ne sais pas comment on va s'en sortir"

Au Caire, Agnès Debiage tient la librairie francophone Oum el Dounia, spécialisée dans le monde arabe et située à deux pas de la place Tahrir.

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avec Créé le 23.02.2015 à 17h06 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Livres Hebdo - Dans quelle situation économique vous trouvez-vous ?

"Nous avons perdu 53 % de notre chiffre d'affaires. C'est colossal." AGNÈS DEBIAGE- Photo OLIVIER DION

Agnès Debiage - Nous sommes situés en bordure de la place Tahrir, où ont lieu les manifestations et les affrontements. Nous avons dû fermer 13 jours pendant la révolution, 9 jours en novembre et 2 jours en décembre. Les habitants du Caire appréhendent de venir car on ne sait jamais ce qui peut se passer. Les touristes ne viennent plus au Musée égyptien situé sur la place. Or le tourisme représente 40 % de notre chiffre d'affaires. Il y a aussi une baisse générale de revenus. Chez les résidents étrangers, notamment français, seul le mari est resté travailler, la famille est rentrée. En 2011, nous avons perdu 53 % de notre chiffre d'affaires. C'est colossal.

Cela met-il en péril la librairie ?

Nous avons tenu un an, mais nous n'y arriverons pas éternellement. Avec nos horaires de 10 h à 21 h, nous ne pouvons pas supprimer de personnel. Nous maintenons les salaires, contrairement à d'autres entreprises. Mais mon mari et moi, nous ne nous versons plus de salaire depuis un an. Notre trésorerie est catastrophique et nous avons des retards dans nos paiements en dépit de nos efforts. Je ne sais pas comment on va s'en sortir.

Y a-t-il des signaux de reprise ?

Nous avons eu un peu de monde avant les fêtes. Mais décembre, qui est traditionnellement notre plus gros mois, est à - 70 %. Notre situation est le reflet de la situation économique du pays. Je voudrais un retour de la confiance envers l'Egypte. La première session du nouveau parlement à majorité islamiste doit avoir lieu avant le premier anniversaire de la révolution le 25 janvier, mais tant qu'on ne sait pas vraiment vers quoi on va, plus personne n'a confiance.

Avez-vous une marge de manoeuvre ?

Nous essayons de continuer à faire notre travail. Nous avons fait beaucoup plus de retours cette année. Nous réduisons nos commandes et attendons d'être en rupture pour faire des réassorts. En décembre, nous avons organisé deux conférences, au lycée français et au centre culturel français du Caire, avec des ventes à la clé. A cause de notre situation géographique, nous hésitons à faire des événements chez nous. En février, nous organiserons quelque chose pour la sortie du dernier livre d'Alaa el Aswany.

Vos partenaires français vous soutiennent-ils ?

Oui. Sur les échéances, les distributeurs ont très bien compris la situation, d'autant plus qu'on n'avait pas eu de problèmes de paiement avant. Le CNL nous a aidés à nous mettre un peu à jour dans nos paiements. Le problème reste l'absence de reprise de l'activité économique. De plus, les banques égyptiennes ont eu des directives pour resserrer les contrôles et limiter la sortie de devises depuis le 1er janvier. Elles deviennent draconiennes sur les virements, nous devons fournir un tas de justificatifs que l'on ne nous demandait pas auparavant.

La censure continue-t-elle ?

Elle est toujours aussi active, mais pas forcément sur les mêmes sujets. Depuis plus de deux mois, un livre est bloqué, Les Frères musulmans de Xavier Ternisien chez Pluriel, alors qu'il n'est pas de parti pris. Je pense qu'il y a une frilosité de la censure qui, ne sachant pas quelles sont les directives, bloque les livres. C'est une période de flottement, tout le monde attend de voir ce qui va se passer. Il est hors de question d'entreprendre des projets ou des investissements, c'est très déstabilisant.

23.02 2015

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