Avant-critique Science-fiction

Audrey Pleynet, "Sintonia" (Le Bélial)

Audrey Pleynet - Photo © Pierre Constantin

Audrey Pleynet, "Sintonia" (Le Bélial)

Rentrée littéraire

Dans une Venise futuriste, quatre sœurs rescapées d'un massacre tentent de protéger le secret de leur pouvoir télépathique : c'est le premier roman étourdissant d'Audrey Pleynet.

Parution 28 août

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Par Cédric Fabre
Créé le 27.08.2025 à 09h00

Mort à Venise. La scène de tuerie collective qui ouvre ce roman aussi poisseux que fascinant nous plonge sans ménagement dans l'atmosphère glauque des intrigues de palais d'une Venise des années 2350. Les femmes de la grande famille des Sintonia, enfants inclus, envahissent le palais de la guilde des Cattaneo pour assassiner ses membres. Le cerveau et la volonté des tueuses sont soumis au « Diapason », une force télépathique contrôlée par la « capa » Mayelen Sintonia, la grand-mère, qui pousse au crime ses filles et petites-filles avant que celles-ci ne tombent dans un piège et ne soient assassinées. Pour les quatre sœurs Sintonia, rescapées mais séparées les unes des autres, une nouvelle existence clandestine commence. Ces puissantes premières pages, tenues par des scènes éclatées et quasi muettes comme autant d'instantanés sanglants et terrifiants, suffisent à poser ce qui fera l'essence de ce roman, la résilience mais aussi la vengeance. Les survivantes sont encombrées par le secret de ce sang familial mystérieux qui permet le contrôle des esprits, aussi précieux qu'il est toxique, et qui suscite bien des convoitises. La sœur aînée, Talia, se réfugie à Paris, une ville sous cloche où, à cause de l'air vicié, les confinements sont fréquents. À Venise, la « ville-tige » dont les plateformes habitées sont étagées à la verticale, Azzura, la sœur cadette, s'échine à devenir la nouvelle reine de la confection et une bienfaitrice publique. Elle retrouvera sa sœur Reyna, prise dans la violence d'un sous-monde interlope, où elle est utilisée comme tueuse... Dans ce futur postétatique, fait de microsociétés dispersées, où l'on se distingue en arborant un tatouage mouvant ou un message cutané programmable, les nanosciences ont pris une place essentielle et les autorités veillent à ce que ne soit pas transgressé le tabou ultime, la fusion homme-machine... La menace existe, et elle alimente une série d'intrigues croisées au fil d'un récit initiatique qui lorgne vers le polar et l'espionnage. Toute la tension de ce grand roman de l'éclatement familial et social réside dans la force et le courage de personnages déterminés à retrouver leur voix et leur individualité dans une société cacophonique où l'on ne jure que par la mise en réseaux des citoyens, où les supertechnologies mettent à l'épreuve les mœurs et les modèles traditionnels archaïques. Agnese, la dernière des sœurs, le formule ainsi : « Ce monde était trop mouvant, trop intense. Je sentais les informations qui circulaient, qui s'échangeaient, les programmations, les connexions, la mort et le remplacement incessant des machines. »

Audrey Pleynet s'affirme comme un nouveau talent de l'imaginaire français, déjà lauréate du prix Rosny aîné pour des nouvelles en 2020 et 2023, et du prix Utopiales en 2023 pour une novella, Rossignol (Le Bélial). Sintonia possède tout le charme et l'audace créatrice de cette nouvelle vague de science-fiction française qui mêle un certain classicisme à un futurisme original, dans le sillon d'autrices telles que Floriane Soulas ou Émilie Querbalec.

Audrey Pleynet
Sintonia
le Bélial
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 420 p.
ISBN: 9782381631899

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