CULTURE

Aurélie Filippetti : une ministre, des dossiers

Matthieu de Montchalin, président du SLF, en grande discussion avec Aurélie Filippetti au dernier Salon du livre de Paris. - Photo O. DION

Aurélie Filippetti : une ministre, des dossiers

Aurélie Filippetti a confirmé le retour prochain de la TVA à 5,5 % sur le livre. Avec sa directrice de cabinet, Laurence Engel, et son directeur adjoint, Gilles Le Blanc, la nouvelle ministre de la Culture devra s'atteler à la défense du prix unique et du droit d'auteur, au soutien à la librairie et à la place des bibliothèques dans l'économie numérique.

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Par Catherine Andreucci
Créé le 03.10.2014 à 14h05 ,
Mis à jour le 04.10.2014 à 20h26

Depuis sa prise de fonctions, le 17 mai, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication n'a pas chômé. Actualité oblige, Aurélie Filippetti a réservé un de ses premiers déplacements officiels au Festival de Cannes. Dès lundi 21 mai, intervenant sur France Inter depuis la Croisette, elle a annoncé le rétablissement de la TVA à 5,5 % pour le livre et sa volonté d'"organiser une concertation pour définir les modalités" de cette baisse (voir p. 15). Sa déclaration a eu de quoi satisfaire les libraires, qui comptaient fortement sur cette promesse de campagne de François Hollande.

Aurélie Filippetti au Forum Livres Hebdo du 16 février 2012 à Paris.- Photo O. DION

A peine installée rue de Valois, Aurélie Filippetti est en train de constituer l'équipe avec laquelle elle va travailler. Donnant une première tonalité au nouveau ministère, Laurence Engel sera sa directrice de cabinet, et Gilles Le Blanc son directeur adjoint de cabinet. La première, conseiller maître à la Cour des comptes et directrice des affaires culturelles de la Ville de Paris depuis 2008, connaît bien le ministère de la Culture puisqu'elle a fait partie du cabinet de Catherine Tasca entre 2000 et 2002, comme conseillère technique chargée de l'audiovisuel, puis conseillère chargée de l'audiovisuel et du cinéma. Avec le second, Aurélie Filippetti peut s'appuyer sur un spécialiste de l'économie numérique. Ce polytechnicien, docteur en économie, a dirigé le Cerna (laboratoire d'économie industrielle et de finance de l'Ecole des mines de Paris) de 2003 à 2007. Aujourd'hui professeur d'économie à l'école Mines Paris Tech et à l'université Paris-1, Gilles Le Blanc est aussi l'auteur de Modem le maudit : économie de la distribution numérique des contenus, avec Olivier Bomsel et Anne-Gaëlle Geffroy (Presses de l'Ecole des mines, 2006), et d'Economie et politique : le grand malentendu (Ellipses, 2011).

Il est encore trop tôt pour connaître les noms des personnes qui suivront plus spécifiquement le livre, et même pour savoir quelle place lui sera réservée au sein du ministère. Mais dans le monde du livre, la nomination d'Aurélie Filippetti est vue d'un très bon oeil. Cette normalienne qui fêtera ses 39 ans en juin, agrégée de lettres classiques, est aussi connue comme romancière. Son premier roman, Les derniers jours de la classe ouvrière (Stock), dans laquelle elle rendait hommage à ses origines ouvrières, a reçu un bel accueil tant de la presse que des libraires et du public. Elle a depuis publié une deuxième fiction, Un homme dans la poche (toujours chez Stock). Par la suite, la femme de lettres n'a pas disparu derrière la femme politique (d'abord chez Les Verts puis au Parti socialiste). Chargée de la culture dans l'équipe de campagne de Ségolène Royal en 2007 avant d'être élue députée de Moselle, Aurélie Filippetti a été, en 2012, responsable du secteur culturel dans l'équipe de François Hollande. Pendant la campagne électorale, elle a pris soin de nouer avec les différents interlocuteurs du monde du livre des contacts qui ont été appréciés. «Nous l'avons beaucoup vue, elle a fait un travail de fond. Elle s'est montrée très ouverte à la discussion. Elle s'intéresse énormément au livre, c'est une bonne nouvelle", souligne Christine de Mazières, déléguée générale du Syndicat national de l'édition (SNE), qui s'est réjouie de la visite de François Hollande au Salon du livre

A L'ÉCOUTE DE LA PROFESSION

Les libraires ont eux aussi rencontré Aurélie Filippetti "à plusieurs reprises pendant la campagne, avec François Hollande, rappelle Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF). Nous avons trouvé une grande sensibilité et une grande écoute sur l'économie des librairies, la régulation du secteur et les questions liées au numérique." Bonne première impression également du côté des bibliothécaires. Le 7 mars, Aurélie Filippetti a reçu à sa demande, pendant une heure et demie à l'Assemblée nationale, une délégation de dix personnes représentant les principales associations de bibliothèques, documentation et archives. "Cela a été un échange approfondi avec beaucoup d'écoute de part et d'autre. Ont été abordés la situation générale des bibliothèques comme lieu de sociabilité et d'accès à la connaissance et à la culture, l'état des politiques publiques en la matière, à commencer par celle de l'Etat, le numérique, l'organisation territoriale des compétences", détaille Dominique Lahary, vice-président de l'Association des bibliothécaires de France (ABF). Elle a aussi rencontré les auteurs et les membres du Conseil permanent des écrivains à la Société des gens de lettres (SGDL).

Si la nouvelle ministre de la Culture bénéficie d'une image favorable, elle est attendue sur de nombreux dossiers. Pour les libraires, "s'il y a une seule priorité, c'est l'action à mener pour fortifier l'économie de la librairie", résume Guillaume Husson au SLF, qui espère que le rapport de la mission sur l'avenir de la librairie, remis en mars au précédent ministre de la Culture, ne sera pas relégué au fond d'un tiroir. Au-delà du rétablissement de la TVA à 5,5 %, les libraires comptent sur la création d'un fonds de soutien à la librairie et sur une aide accrue du Centre national du livre. Le SLF attend aussi "le renforcement global de la loi de 1981 avec un dispositif de médiation, de conciliation, pour mieux la faire respecter", et un travail avec la ministre sur "Internet et le numérique, pour voir, au-delà de 1001Libraires.com, comment assurer une présence plus massive des libraires sur Internet".

Pour le SNE, il y a trois urgences : la défense, au niveau européen, de la loi sur le prix unique du livre numérique et de la TVA réduite sur le numérique, deux mesures contestées à Bruxelles ; et la consolidation de la récente loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles du XXe siècle. "J'imagine qu'Aurélie Filippetti sera très sensible à la question de la préservation d'un mode de régulation respectueux des éditeurs, des libraires et des auteurs", avance Christine de Mazières. "L'offensive internationale sur les questions de régulation des prix est très forte aux Etats-Unis, et maintenant en Europe. La loi sur le prix unique du livre numérique est très clairement dans le collimateur, mais derrière, c'est la loi sur le prix unique du livre, en général, qui est visée. Et cela implique toute la chaîne du livre", ajoute-t-elle, plaidant pour une campagne qui fasse connaître le prix unique du livre au grand public.

REMPLACER HADOPI

Sur le dossier de l'harmonisation des taux de TVA entre le papier et le numérique, le SNE attend un travail commun des ministres de la Culture et des Finances auprès des Etats membres de l'Union européenne. Il souhaite que Jacques Toubon poursuive sa mission d'ambassadeur auprès de la Commission européenne et des pays membres. Mardi 29 mai, le président du SNE, Antoine Gallimard, se rendra d'ailleurs à Berlin pour tenter de convaincre ses partenaires allemands. Jacques Toubon y sera aussi.

Les bibliothécaires, eux, sont attentifs à l'engagement de François Hollande de remplacer la loi Hadopi "par une grande loi signant l'acte 2 de l'exception culturelle française qui conciliera les droits des créateurs et un accès aux oeuvres par Internet facilité et sécurisé". "Nous voulons d'abord tout simplement participer à la consultation promise dès juillet, indique Dominique Lahary. Dans le montage juridico-fiscal qui réglera le régime de l'offre légale, il faut inclure spécifiquement les bibliothèques et non les considérer comme des clients identiques aux particuliers. L'Etat doit créer les conditions d'une coexistence entre offre commerciale et offre par les bibliothèques."

Enfin, les auteurs attendent en priorité "la réaffirmation du droit d'auteur à la française, comme moteur de la création et de la circulation des oeuvres, et non comme frein. Et ce à tous les niveaux, français, européen et même mondial", rappelle Geoffroy Pelletier, directeur général de la SGDL, qui ajoute qu'Aurélie Filippetti devra aussi rendre "des arbitrages dans la répartition de la valeur dans la chaîne du livre, et en particulier dans le numérique. Pour l'instant, ce sont essentiellement les auteurs qui sont pénalisés. Il faut un rééquilibrage par rapport aux éditeurs".

Les propositions contenues dans le programme de François Hollande pour le livre et la lecture sont plutôt bien accueillies. L'organisation d'états généraux, qui doit encore être précisée par la ministre, est perçue comme un moyen de favoriser le dialogue interprofessionnel et de faire front commun contre les opérateurs extérieurs. En revanche, l'idée de nommer un médiateur du livre - présente dans le rapport de la mission sur l'avenir de la librairie et reprise par le candidat Hollande - ne fait pas l'unanimité. Si les libraires l'appellent de leurs voeux, les éditeurs estiment que le ministère assume déjà ce rôle de médiation.

Tous ces dossiers brûlants et épineux sont déjà sur le bureau de la nouvelle ministre. Celle-ci doit toutefois encore franchir le cap des élections législatives pour se maintenir à son poste. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, l'a annoncé : les ministres battus dans leur circonscription en juin devront rendre leur portefeuille.

La TVA à 5,5 % pour plus de marge

Près des caisses, des affichettes d'information sur la hausse de la TVA (librairie Decitre-Confluences).- Photo O. DION

Le retour de la TVA à 5,5 % sur le livre ne fait plus aucun doute... si la gauche remporte les élections législatives de juin. Affirmé par François Hollande pendant sa campagne électorale, l'engagement a été répété par Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication du nouveau gouvernement, lors d'une de ses toutes premières interventions publiques, le 21 mai sur France Inter. Mais la décision doit encore être approuvée par un vote du Parlement. Si le Sénat, majoritaire à gauche, est acquis à la cause, l'Assemblée nationale, qui aura le dernier mot, reste à élire.

Ce retour à 5,5 % pourrait passer par un projet de loi de finances rectificative dont l'examen devrait être programmé en juillet prochain. La loi ajouterait le livre, ainsi que les services culturels (spectacles, cinéma, concerts, etc.), à la liste des produits soumis au taux de 5,5 %. Si l'initiative est prise par le gouvernement, celui-ci n'aura pas l'obligation de prévoir une hausse d'impôt sur d'autres produits pour combler cette réduction des recettes de l'Etat, évaluée à une soixantaine de millions d'euros. En revanche si la modification vient d'une initiative parlementaire, elle devrait être assortie d'une compensation sur un autre impôt. Dans la proposition qu'ils ont déposée dès le 9 mai, les sénateurs communistes ont classiquement ajouté un relèvement de la taxe sur les alcools et les tabacs.

HAUSSES DES MARGES OU MASOCHISME

Il serait illusoire de croire que, porté par un élan fougueux, le livre passe au taux "super réduit" (aujourd'hui de 2,1 %), même si le Syndicat de la librairie française a pris soin de ne pas exclure cette formulation dans la première de ses douze propositions adressées aux candidats. Il s'agit surtout de s'assurer que le livre bénéficiera du taux le plus bas possible dans le cadre fiscal actuel ou à venir, car l'application du taux super réduit serait contraire aux règles de l'Union européenne, rappelle Guillaume Husson, secrétaire général du SLF.

Sur le plan technique, le retour à 5,5 % pourra être presque aussi complexe à gérer que la hausse à 7 %, si les éditeurs décident aussi d'un rétablissement complet des anciens prix et réduisent ceux des nouveautés publiées depuis le 1er avril. Pour les gestionnaires de bases de données (Electre, Dilicom...), il faudrait à nouveau modifier plusieurs centaines de milliers de notices, à intégrer par les SSII dans les systèmes de gestion des librairies, où l'on devra décoller les étiquettes sur les livres du fonds, et réétiqueter les nouveaux titres, ce qui serait un travail proprement masochiste. Alors que changer simplement le taux dans les systèmes de gestion sans toucher au prix final rapporterait 0,5 % de résultat aux libraires, en fonction d'une marge moyenne de 33 %, a calculé le SLF. Bien consciente de la situation, Aurélie Filippetti a d'ailleurs estimé que le retour à l'ancien taux ne doit pas entraîner de frais supplémentaires pour les libraires. Il faut au contraire qu'il "puisse leur permettre de retrouver précisément les marges qu'ils ont perdues au cours des dernières années".


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