Dossier Beaux livres

Beaux livres : se souvenir des belles choses

Beaux livres : se souvenir des belles choses

Sur un marché qui s’est métamorphosé en dix ans et dont le potentiel est bien moindre depuis quatre ans, les éditeurs de beaux livres proposent un programme automnal resserré (- 3,7 %) qui fait la part belle à la nostalgie, aux archives et aux anniversaires.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 18.10.2013 à 15h01 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

La crise a définitivement enterré le coffee table book, beau livre d’images qui a fait les succès du rayon beaux livres jusqu’au début des années 2000. Le livre illustré côtoie de plus en plus le rayon documents, et le livre tout images, sans point de vue, n’a plus sa place sur ce nouveau marché au potentiel réduit. Le rayon beaux livres a fini l’année 2012 sur une baisse de - 1 % en euros courants par rapport à 2011, moins sensible que celle de l’ensemble du marché (- 1,5 %) d’après nos données Livres Hebdo/I+C. Mais c’est aussi parce que la crise avait débuté plus tôt pour ce secteur qui a encore montré de nouveaux signes de faiblesse au printemps dernier, avec une contraction des ventes de 4 %. Le marché du beau livre a pris de plein fouet la faillite de Virgin, les difficultés de Chapitre, la frilosité de la Fnac ou encore la crise des hypers. Les mises en place sont timides. Au sein de grands groupes, certaines maisons spécialisées admettent des offices à 800 exemplaires sur des titres assez généralistes.

Dans la lignée des stratégies développées l’an passé, les éditeurs continuent de réduire le nombre de titres tout en soignant les livres à paraître. Au total, d’après nos estimations, 1 965 nouveautés et nouvelles éditions sont sorties ou programmées entre août et décembre 2013, contre 2 041 pendant la même période en 2012, soit une contraction de 3,7 %. Certains éditeurs mettent la pédale douce. Thames & Hudson fait « une pause avant d’arrêter, le meilleur moyen de proposer en France [ses] titres actuellement diffusés pour la version anglaise par Interart et pour la française par Volumen », précise l’éditeur Philip Watson, à Londres. Gallimard, qui avait renforcé sa production, reste prudent, ne souhaitant pas « développer excessivement [son] offre sans visibilité, ce qui serait très imprudent compte tenu des difficultés actuelles de la diffusion et du marché global de l’édition dans tous les segments », explique Line Karoubi, qui coordonne les beaux livres.

 

Livres d’exception

On ne peut plus produire aujourd’hui simplement pour remplir une case, occuper une place. « Il faut des livres d’exception, qui demandent du temps et de l’investissement, explique Laurent Beccaria, le directeur des Arènes. L’édition de beaux livres nécessite de gros investissements, c’est de la conduite sur verglas. Quand ça marche, on gagne beaucoup d’argent, mais quand le livre ne trouve pas son public, on en perd beaucoup plus que dans l’édition de textes. » Carola Strang, qui est arrivée il y a cinq ans chez Hors Collection, observe aussi la mutation du secteur. « La fin du coffee table book est actée, mais ce n’est pas pour autant la fin du beau livre, souligne-t-elle. On ne fait plus la même chose : un livre de photo pur à la Anne Geddes [connue pour ses photographies de bébés, NDLR] ne se ferait plus aujourd’hui. Le pur image à vocation grand public n’a plus sa place. »

Pour regarder de belles images, les lecteurs vont plus volontiers sur Internet ou vers la papeterie, l’agenda ou le calendrier. Chaque livre se doit d’être fortement éditorialisé. Ainsi, pour faire un incontournable de la fin d’année, un livre sur les chats, on choisit soit de le faire avec le très branché magazine Brain pour une folle série de Lol chats (J’ai lu), soit avec Alain Vircondelet et la peinture pour Les chats de Balthus (Flammarion), qui accompagne une exposition au Metropolitan Museum of Art. Catalogues d’exposition ou véritables expositions en eux-mêmes avec leurs fac-similés, les livres que l’on trouvera en fin d’année sous les sapins proposent des thèmes originaux comme L’Eloge du lit de Colette Gouvion, au Rouergue ; Surf, skate & snow : contre-culture de Christophe Perez, aux Editions courtes et longues ; Les plus grands films que vous ne verrez jamais de Simon Braund chez Dunod ; ou Le propre et le sale : l’hygiène du corps depuis le Moyen Age de Georges Vigarello au Seuil.

Glénat propose un coffret, La croisière jaune sur la route de la soie, dans lequel Ariane Audouin-Dubreuil retrace l’expédition Citroën Centre-Asie avec moult fac-similés et reproductions de comptes rendus secrets. Certains éditeurs feront preuve d’audace comme Place des Victoires, qui finit enfin la publication monumentale de L’art de France en trois volumes de Jean-Marie Pérouse de Montclos ; Citadelles & Mazenod, qui retrace toute l’histoire du Louvre avec Geneviève Bresc-Bautier dans un luxueux coffret à 350 euros ; ou Diane de Selliers qui, pour son traditionnel titre de fin d’année, a opté pour L’éloge de la folie illustrée par les peintres de la Renaissance du Nord. L’originalité peut aussi venir de l’innovation technique, et plusieurs beaux livres offrent un pont vers des sites Internet pour enrichir la lecture grâce à des QR codes imprimés sur leurs pages. Les flashcodes de L’odyssée du rock présentée par Gilles Verlant (Hors Collection) permettent d’écouter un extrait de chaque titre cité ; ceux de Paris fait son cinéma, au Chêne, de voir les bandes-annonces de films cultes parisiens ; et ceux des Pacifistes chez La Martinière, sur les chantres de la paix dans le monde de Gandhi à Martin Luther King, offrent la possibilité de retrouver leurs discours. Bourgois va plus loin avec Le monde avant, où Claude Eveno entraîne le lecteur dans son voyage intérieur à travers l’histoire de l’art : l’ouvrage ne contient que 160 pages de textes, et les 600 images sont stockées sur un site, accessibles grâce aux flashcodes, « une innovation et peut-être une voie pour dépasser les conflits inhérents à l’apparition de toute nouvelle technologie », explique l’auteur.

 

Retour en enfance

 

La tendance nostalgique reste très forte en cette fin d’année. On pourra retourner sur les bancs de l’école avec Les lycéens (Les Arènes), La cour de récré que vous ne verrez plus jamais (Hugo Image), Les livres de nos cartables (Gilletta), Objets de l’école (De Borée), La France au temps des pensionnats (Larousse) ou encore L’école des filles, l’école des garçons concocté par Daniel Picouly (Hoëbeke). Pour se plonger plus précisément dans une matière, Le Layeur propose Les livres de géographie de nos cartables ; Arthaud un Atlas des lieux maudits d’Olivier le Carrer, présentant 60 cartes scolaires anciennes sur les lieux les plus terrifiants de la planète ; et, dans l’univers des sciences naturelles, Hors Collection édite Nos belles leçons de choses, et Ouest-France Sciences naturelles curieuses et insolites.

Plus généralement, la production de beaux livres glorifie le siècle dernier, à l’instar de C’était comme ça la France (1945-1975) chez Gründ, Réclames : l’art publicitaire dans la presse des années 1950-1970 d’Alain Lachartre chez Hoëbeke, ou de La route, autrefois… (Ouest-France). Anna Gavalda préface Images d’Epinal (La Martinière), Dimitri Casali évoque Napoléon, le grand album de notre enfance (Gründ) et Nicole Masson dévoile Les secrets des jeux de notre enfance (Le Chêne). Enfin, pour la génération des trentenaires, Flammarion propose Nos années Récré A2, Hors Collection exhume Les trésors de Bruce Lee, et Ariel Wizman présente, chez Michel Lafon, Ces objets (insolites ou obsolètes) que vous pensiez avoir oubliés.

 

Des bougies en série

 

L’anniversaire qui polarise toute la production de fin d’année est celui du début de la Première Guerre mondiale. Le centenaire de la Grande Guerre suscite une trentaine de publications (voir l’encadré p. 57 dans notre bibliographie). Mais l’édition célèbre aussi le centenaire de la naissance de Charles Trenet avec un livre préfacé par Benjamin Biolay chez Flammarion, et celui d’Albert Camus avec Albert Camus, citoyen du monde, le catalogue de l’exposition présentée à Aix-en-Provence (Gallimard), Le monde en partage, itinéraires d’Albert Camus (Gallimard) de sa fille Catherine, ainsi que la réédition de celui qu’elle avait commis chez Michel Lafon, Camus : solitaire et solidaire. Les 50 ans de la disparition d’Edith Piaf sont marqués par des ouvrages de Marc Lemonier (Hors Collection), Pierre Pernez (City), Pierre Hiégel (Sélection du Reader’s Digest) ou Charles Dumont (Flammarion), et ceux de la mort de Jean Cocteau par la publication de ses dessins chez Stock ou le catalogue de l’exposition au musée des Lettres et Manuscrits, Cocteau et le merveilleux (Gallimard). Les 40 ans de la mort de Picasso sont accompagnés d’un Picasso, portrait intime par Olivier Widmaier Picasso (Albin Michel), qui sera aussi un document diffusé sur Arte, mais aussi par Picasso et les écrivains (Citadelles & Mazenod), La petite galerie de Picasso de Patricia Geis, pour les plus jeunes chez Palette, et un Eloge de Picasso chez Art Lys. Enfin le 400e anniversaire de la naissance de Le Nôtre donne l’occasion à l’Imprimerie nationale de mettre en avant toutes ses réalisations, de Versailles à Vaux-le-Vicomte.

 

Bons textes

 

L’attention du lecteur se posant de plus en plus sur le texte, plusieurs éditeurs suivent la voie ouverte par le succès des versions illustrées de best-sellers comme Le métronome de Lorànt Deutsch. Flammarion et Plon s’associent pour lancer une déclinaison illustrée du « Dictionnaire amoureux » (le vin par Bernard Pivot et les chats par Frédéric Vitoux). Après son succès chez Guérin, Immortelle randonnée, sur le chemin de Compostelle avec Jean-Christophe Rufin, s’ornera d’images chez Gallimard, tandis que Femmes de dictateur, dont les textes en deux volumes de Diane Ducret ont été un gros succès pour Perrin, arrive en version illustrée chez ce même éditeur. Les spécialistes et belles plumes sont donc mis à contribution. Bartabas signera Académie du spectacle équestre (Actes Sud), Titouan Lamazou Touaregs (Gallimard) et Laure Adler une biographie illustrée de Marguerite Duras (Flammarion). Très sollicitée, la spécialiste de la danse Rosita Boisseau signe deux livres chez Textuel, une monographie consacrée à Sidi Larbi Cherkaoui et Chefs-d’œuvre de la danse ainsi que Photographier la danse aux Nouvelles éditions Scala. Michel Pastoureau se démultiplie également avec trois ouvrages en fin d’année : Vert : histoire d’une couleur (Seuil), Le secret de la licorne (RMN-GP), ainsi qu’un volume de la nouvelle collection adaptée de « Découvertes Gallimard », Le cochon, avec une préface de Jean-Claude Dreyfus.

Chez Gallimard, Stéphane Audeguy signe une Histoire des monstres introduite par Joann Sfar, et Camille Laurens préface La beauté. Alors que cette série consacrée aux femmes dans l’histoire de l’art a été publiée par Flammarion, Gründ récupère un titre de Stefan Bollmann, Les femmes qui pensent sont dangereuses, qui sera préfacé par Christine Ockrent. Les éditeurs mettent donc en avant les auteurs en tant que spécialistes mais aussi en tant que personnalités médiatiques. Au programme de fin d’année, Florence Foresti parlera d’art avec Edwart Vignot (L’art d’en rire, Place des victoires). L’humoriste fera un petit texte sur Sophie la Girafe dans Objets manufacturés de France (La Martinière), qui associe le texte d’une personnalité à un objet, comme Arnaud Montebourg pour la marinière Armor Lux ou Nolwenn Leroy pour le bol de Quimper. Chez Michel Lafon, Jean-Pierre Foucault évoque les voitures des années 1960, Didier van Cauwelaert fait partager sa passion des abeilles et Jean-Pierre Pernaut raconte Manufrance : tout ce que vous désirez. L’oscarisé Michel Hazanavicius préface Il était une fois Hollywood. Les présentateurs télé seront aussi à l’honneur avec le livre « Des racines et des ailes » sur Le Mont-Saint-Michel ou « D’art d’art » avec une version jeunesse au Chêne, ainsi que Rendez-vous en terres inconnues tome 2 de Frédéric Lopez, ou encore C à vous chez La Martinière.

 

Beaux et pratiques

 

Enfin, une nouvelle catégorie d’ouvrages, à la frontière entre le beau livre et le pratique, commence à compter. Il s’agit des petits guides d’auteurs illustrés, qui se sont multipliés dans la foulée du succès de La Parisienne, chez Flammarion, My little Paris au Chêne ou You’re so french, qui dépasse les 100 000 exemplaires chez La Martinière. L’éditeur décline ce dernier titre en You’re so French, men ! Le Chêne poursuit sa collection « Les petits guides », qui compte une quinzaine de titres, en s’associant généralement à un blog prescripteur - l’éditeur est d’ailleurs partenaire des Golden Blog Awards. Il prévoit trois nouveautés en fin d’année : Comme un camion.com : le guide pratique de la mode masculine de Serge Massignan, Toutelaculture.com : toute la culture à Paris de Bérénice Clerc et Yaël Hirsch ainsi que Radin chic de François Simon et Alexandra de Lassus. Enfin Tana propose Le Paris criminel, un parcours dans le Paris de la pègre et du fait divers.

 

Les beaux livres en chiffres

20 grandes expositions de la fin d’année

Alors que le musée Galliera, dédié à la mode, fête la fin de ses travaux en célébrant le couturier Azzedine Alaïa, et en attendant pour l’an prochain la réouverture du musée Picasso avec une surface triplée et l’inauguration de la fondation Louis-Vuitton pour la Création au Jardin d’Acclimatation, voici une sélection de vingt expositions à voir cet automne.

Roy Lichtenstein, Centre Pompidou, Paris, jusqu’au 4 novembre.

Masculin, l’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours, musée d’Orsay, Paris, jusqu’au 2 janvier 2014.

Georges Braque, Grand Palais, Paris, jusqu’au 6 janvier 2014.

Le printemps de la Renaissance. La sculpture et les arts à Florence, 1400-1460, musée du Louvre, Paris, jusqu’au 6 janvier 2014.

Pasolini Roma, Cinémathèque française, Paris, du 16 octobre au 26 janvier 2014.

Le goût de Diderot : Greuze, Chardin, Falconet, David, musée Fabre, Montpellier, jusqu’au 12 janvier 2014 ; puis fondation l’Hermitage, Lausanne.

Frida Kahlo et Diego Rivera, musée de l’Orangerie, Paris, jusqu’au 13 janvier 2014.

Félix Vallotton. Le feu sous la glace, Grand Palais, Paris, jusqu’au 20 janvier 2014.

La Renaissance et le rêve. Bosch, Véronèse, Greco, musée du Luxembourg, Paris, jusqu’au 26 janvier 2014.

Astérix de A à Z, Bibliothèque nationale de France, Paris, du 16 octobre au 19 janvier 2014.

Kanak, l’art est une parole, musée du quai Branly, Paris, du 15 octobre au 26 janvier 2014.

Angkor, naissance d’un mythe, musée Guimet, Paris, du 16 octobre au 13 janvier 2014.

Les origines de l’estampe en Europe du Nord (1400-1470), musée du Louvre, Paris, du 17 octobre au 13 janvier 2014.

Le siècle d’or de la peinture danoise, La Piscine, Roubaix, du 12 octobre au 12 janvier 2014 ; puis musée d’Art moderne André-Malraux, Le Havre.

Allegro barbaro : Béla Bartok et la modernité hongroise, 1905-1920, musée d’Orsay, Paris, du 15 octobre au 5 janvier 2014.

Jeu vidéo, Cité des sciences et de l’industrie, Paris, du 22 octobre au 14 août 2014.

Le surréalisme et l’objet, Centre Pompidou, Paris, du 30 octobre au 3 mars 2014.

Raymond Depardon. Un moment si doux, Grand Palais, Paris, du 14 novembre au 10 février 2014.

America latina, 1960-2013, fondation Cartier, Paris, du 19 novembre au 6 avril 2014.

Cartier. Le style et l’histoire, Grand Palais, Paris, du 4 décembre 2013 au 16 février 2014. <

La Martinière en reconstruction

Après le plan social et la réorganisation du groupe, marqués au printemps par une vague de départs volontaires, on préfère, chez La Martinière, tout en réaménageant les espaces pour éviter l’impression de bureaux vides, se concentrer sur les ouvrages qui sortent de l’imprimerie et fêter leur parution. Ce qui redonne du baume au cœur des équipes, c’est bien la qualité de la production, annoncée avec moins de titres (150 en 2013 contre 197 l’année précédente, et cette inflexion se poursuivra en 2014), une clarification du catalogue et une montée en gamme des ouvrages. « Chaque titre a son identité travaillée par notre directrice artistique Valérie Gautier, précise Jocelyn Rigault, directeur des éditions La Martinière. Nous mettons l’accent sur la Foire de Francfort pour en vendre les droits, notre programmation se veut aujourd’hui beaucoup plus sélective, en harmonie avec une ligne éditoriale définie. » En fin d’année, Les plus beaux opéras du monde est déjà prévu en six langues, Croisières : désirs d’ailleurs, en cinq.

Les trois pôles des éditions sont conservés : « L’art de vivre » dirigé par Florence Lécuyer ; « Style beaux livres » piloté pour le style par Anne Serroy et pour le beau livre par Jocelyn Rigault ; « Livres d’art » avec trois sous-parties consacrées à la mode et au luxe, aux musées ainsi qu’à la photographie, ADN de la maison. D’un tour des musées, Jocelyn Rigault a rapporté des coéditions avec le musée Hergé, le Moma (sur Magritte), ou les musées de Bordeaux pour Mémoires vives : une histoire de l’art aborigène australien. Pour soutenir le livre de photographie, le directeur des éditions a regroupé les parutions sur deux offices en octobre, avec de grands noms (Thomas Jorion pour les espaces abandonnés, Adrien Golinelli en Corée du Nord, ou Bruno Mouron et Pascal Rostain qui fouillent les poubelles) pour pouvoir faire une opération en librairie avec vitrophanies, kit contenant des reproductions d’images, des systèmes d’accrochage… 200 libraires y participent. Il explore aussi les circuits parallèles, concept stores et galeries, en passant un partenariat avec Daniel Templon pour une monographie de Gregory Crewdson.

Du document à l’image

 

Les palmarès de meilleures ventes de beaux livres s’ouvrent depuis une petite dizaine d’années à la production d’éditeurs nouveaux sur le créneau. Ils ont un point commun : ce sont avant tout des éditeurs de textes.

 

Le Métronome illustré de Lorànt Deutsch caracole depuis trois ans en tête des meilleures ventes de beaux livres. Et pourtant son éditeur, Michel Lafon, n’est pas spécialisé dans l’image. Il détient un catalogue avant tout axé sur le texte, même s’il développe aussi depuis quelques années une petite production illustrée. « C’est Alain Kouck, P-DG de notre diffuseur-distributeur Interforum, qui, pour combler le vide laissé par le départ d’Hervé de La Martinière, m’avait encouragé à publier des beaux livres, se souvient Michel Lafon. J’en avais l’envie depuis quelque temps déjà, et cette proposition a achevé de me décider. » Aujourd’hui ce département, composé de trois éditeurs qui réalisent toute leur production en interne, concocte 25 titres environ par an. « Ils représentent 20 % à 25 % de notre chiffre d’affaires, avec une progression constante au fil des années », précise-t-il. La ligne est calquée sur celle du texte, privilégiant les signatures grand public (Johnny Hallyday, Jean-Pierre Pernaut, Jean-Pierre Foucault) ou les témoignages des proches de grands personnages comme les membres de leur famille : De Gaulle par son fils, Proust par sa petite-nièce, et prochainement Eiffel par son descendant direct.

 

 

Documents illustrés.

Dans un marché du beau livre dégradé depuis plusieurs années consécutives, où le paysage éditorial s’est redessiné, les acteurs qui sont apparus récemment et ont réussi à percer, à l’instar de Michel Lafon, incarnent bien l’évolution de la demande du public vers des documents illustrés plutôt que vers de beaux livres d’images au sens strict. La plupart de ces éditeurs ont pour ADN l’édition de documents. Ainsi Les Arènes connaissent une impressionnante progression dans le beau livre. « Nous ne sommes pas une maison spécialisée en beaux livres comme les historiques, qui ont une culture de l’image très forte, mais aujourd’hui 50 % de notre production a trait à de l’illustration, confirme le directeur de la maison, Laurent Beccaria. Nous faisons des docs illustrés, du journalisme illustré… notre force est de travailler le texte et l’image. » Depuis dix ans, une part croissante du chiffre d’affaires de l’éditeur provient de l’illustré. Les Arènes ont connu de beaux succès avec la revue 6 mois et avec la collection « L’histoire dans nos mains », dont les titres se vendent de 18 000 à 70 000 exemplaires, mais aussi, sous la marque L’Iconoclaste, avec des livres d’archives qui tournent de 15 000 à 30 000 exemplaires vendus, pour des titres à 69 euros. « Nous avons pour cette fin d’année trois mises en place à 30 000 exemplaires, se réjouit Laurent Beccaria. Nous touchons une clientèle nouvelle de moins de 40 ans, habituée à ce rapport texte-image, un public nouveau pas forcément avec une grande culture picturale et artistique, mais qui aime avoir un beau livre de photos historiques ou de dessins. »

 

Cette articulation texte-image, un langage connu de la presse magazine, donne un avantage aux éditions Prisma qui, depuis trois ans, connaissent aussi de belles progressions. « Notre chiffre d’affaires beaux livres augmente chaque année de 20 % à 25 %, constate Pierre-Olivier Bonfillon, qui dirige cette structure. Nous avons un peu réorienté notre ligne, réduit à un tiers les titres portant la marque d’un de nos magazines ; nous misons moins sur le tourisme, plus sur l’art et les grandes expositions », précise-t-il.

 

 

Livres animés.

Traditionnellement dans le secteur de la référence et de l’histoire, Larousse a fait aussi en 2009 le choix de l’illustré, et concentré ses efforts sur le rayon beau livre (1) avec des livres animés (avec des fac-similés dans des pochettes). L’éditeur publie le 19e volume de la collection « Les documents de l’histoire » - 300 000 exemplaires vendus sur l’ensemble des titres à ce jour - sur La France au temps des pensionnats. Les éditrices sont même allées frapper à la porte du voisin, le collège Stanislas, pour récupérer des archives.

 

« Aujourd’hui, il ne peut plus y avoir de livres substituables », observe Nicolas de Cointet, recruté il y a cinq ans chez Albin Michel pour monter un département beau livre. « Il faut cinq ans pour disposer réellement du programme que vous souhaitez présenter, explique-t-il. Car par votre expérience, les résultats des premiers titres, les liens que vous nouez avec les partenaires, les auteurs, vous pouvez enfin concevoir le livre que vos concurrents ne réussiront pas à faire. C’est la seule solution. Il n’y a plus de marché pour le millième livre sur un sujet maintes fois traité. » Pour cette fin d’année, l’éditeur a eu accès aux intérieurs privés des créateurs de mode autour du monde grâce à Ivan Terestchenko, avec lequel il avait fait un ouvrage en 2009 sur Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Albin Michel publie aussi une surprenante série de photographies de Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky, Voyage dans l’ancienne Russie, qui a réussi par un procédé superposant trois clichés à photographier en couleur le pays dès 1909.

(1) Voir LH 930, du 16.11.2012, p. 44.

 


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