Bibliothèques

Bibliothèques : à Paris, le coup d'accélérateur

La bibliothèque Assia Djebar (Paris 20e) a été inaugurée en 2018. - Photo Olivier Dion

Bibliothèques : à Paris, le coup d'accélérateur

Au cours du mandat d'Anne Hidalgo, le réseau de lecture publique a été modernisé mais les bibliothécaires parisiens déplorent la dégradation de leurs conditions de travail. Après Marseille et Lyon, troisième volet de notre enquête pré-municipales._

J’achète l’article 1.5 €

Créé le 11.03.2020 à 18h55

Ville privilégiée du livre, Paris ne compte plus les chantiers engagés depuis 2014 pour son important réseau de lecture publique, composé de 58 bibliothèques ou médiathèques de prêt et de 15 établissements patrimoniaux ou spécialisés. En cinq ans, la municipalité a donné un coup d'accélérateur pour poursuivre le maillage du territoire de la capitale et moderniser son offre.

Quatre nouveaux établissements ont ouvert leurs portes : les médiathèques Françoise Sagan (Paris 10e) en 2015 et Canopée La Fontaine (1er) en 2016, et les bibliothèques Assia Djebar (20e) en 2018 et Benoîte Groult (14e) en 2019. L'ouverture des médiathèques a toutefois entraîné la fermeture en 2016 des bibliothèques Château d'eau (Paris 10e) et Louvre (Paris 1er). Deux nouveaux équipements sont prévus dans les années à venir : l'ouverture en 2023 d'une médiathèque écologique de 2 600 m2 sur la place Jean-Quarré (Paris 19e), pour un budget de 17 millions d'euros, et un autre établissement dans le 13e.

La bibliothèque Vaclav Havel (Paris 18e) a fait l'objet d'actes d'incivilité de certains usagers.- Photo OLIVIER DION

Prêt numérique

En parallèle, des travaux de rénovation ont été engagés sur 18 sites, soit 26 % des bibliothèques du réseau, pour entretenir et aménager les locaux, répondre à l'évolution des pratiques des usagers ou s'adapter au changement climatique. C'est presque autant que sur la période 2001-2003 pendant laquelle des travaux avaient été réalisés sur 21 sites. Les fermetures engendrées par ces nombreux chantiers ont fait chuter les indicateurs de fréquentation : - 28,8 % de visiteurs depuis 2013, - 7 % d'inscrits et - 14,2 % de prêts. Ces chiffres tiennent compte des perturbations liées aux manifestations des Gilets jaunes qui ont entraîné une baisse d'activité de 35 % selon le bilan 2019 publié par la Ville de Paris.

Pour sa part, le prêt numérique en bibliothèque (PNB), mis en place fin 2015 pour un coût d'un million d'euros comprenant l'achat de liseuses, séduit un nombre croissant d'usagers, dont 27 % sont des emprunteurs strictement numériques. Rien qu'en 2019, le nombre d'emprunteurs a bondi de 43 % pour s'établir à 16 469 personnes et le nombre de prêts a augmenté de 25 % par rapport à l'année précédente.

« Bibliothèque numérique de référence »

Outre son abonnement au PNB, la Ville a largement misé sur le développement numérique du réseau. Un nouveau portail plus interactif, enrichi et bénéficiant d'une refonte éditoriale et graphique, a été mis en ligne en 2016. Depuis, son activité est en croissance (+ 9,3 % en trois ans). Il totalise plus de 4 millions de visites et 8,5 millions de recherches bibliographiques par an.

Par ailleurs, le réseau a créé l'an dernier plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, en plus de ceux ouverts par certains établissements dès 2010, pour valoriser l'ensemble de son activité. Ces investissements ont permis à la Ville de recevoir en 2017, du ministère de la Culture, le label « Bibliothèque numérique de référence ».

Manifestations culturelles

Présenté en mai 2018 par Bruno Julliard, adjoint à la maire de Paris chargé de la culture de 2012 à 2018, le plan « Lire à Paris » avait pour buts de « confirmer la place centrale des bibliothèques en matière de pluralité culturelle », de « rendre les bibliothèques plus accessibles » et de « diversifier les publics ». Moins de deux années plus tard, de nombreuses propositions ont été appliquées avec la mise en place d'une carte unique pour accéder aux bibliothèques de prêt et aux établissements patrimoniaux et spécialisés, ou encore l'adhésion au réseau Eurêkoi (un service de questions-réponses en ligne animé par des bibliothécaires). L'organisation d'actions culturelles portées par les établissements de lecture publique pour promouvoir le livre et attirer de nouveaux publics est aussi en hausse constante. Entre 2017 et 2019, le nombre de manifestations culturelles a augmenté de 33 % pour atteindre 4 672 événements l'année dernière ; ils ont réuni plus de 173 000 personnes.

Malgré son dynamisme le réseau, parisien a rencontré plusieurs problèmes au quotidien. Les bibliothèques Vaclav Havel (Paris 18e) et Assia Djebar (Paris 20e) ont ainsi fait remonter des actes d'incivilité et des comportements violents de la part d'usagers. Ils demandent des moyens adaptés pour pouvoir ouvrir dans des conditions acceptables. Depuis, quelques médiateurs ont été affectés à l'ensemble du réseau pour tenter de prévenir ce genre de situations.

Une dégradation du service

Fin 2018, une femme de ménage a été retrouvée morte dans les locaux vides de la bibliothèque Couronnes-Naguib-Mahfouz (Paris 20e). Suite à ce fait divers, les personnels relevant de la Ville de Paris ont reçu pour consigne de travailler en binôme dans un espace ouvert. Mais « ce plan de prévention n'a pas été adopté pour les employés relevant d'une société de prestation », relève Bertrand Pieri, délégué du syndicat CGT-Culture de la Direction des affaires culturelles (Dac) de Paris. Par ailleurs, certains établissements parisiens restent confrontés à des problèmes de pollution de l'air, à cause de systèmes d'aération ou de ventilation défaillants, ou encore à des problèmes thermiques. 

Surtout, les bibliothécaires continuent de déplorer la dégradation de leurs conditions de travail. Déjà en 2014, les agents du réseau parisien de lecture publique avaient interpellé Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet, alors candidates aux élections municipales, sur leur situation. Ils dénonçaient une diminution du personnel et des moyens budgétaires, la dégradation du service avec notamment une réduction des horaires d'ouverture, et exprimaient leur inquiétude liée à « 80 postes laissés vacants ». (1)

« Le métier a changé »

Selon la municipalité, ce nombre de postes vacants tournerait en réalité autour de la « cinquantaine », représentant « 4 % de l'effectif global », composé de 1 300 agents. En cause, un « cadre qui contraint Paris à avoir cette vacance de postes pour pallier certains aléas comme les départs ou les concours, sans toutefois pouvoir anticiper tous les mouvements ». Affirmant être « très attentifs sur le sujet », les services de la Ville assurent « essayer de limiter les vacances de postes ».

Plusieurs épisodes de grève, cristallisés autour de l'ouverture le dimanche (voir encadré ci-contre), ont été menés par les bibliothécaires entre 2014 et 2018 pour tenter d'obtenir une amélioration de leurs conditions de travail. Au terme du mandat d'Anne Hidalgo à la mairie de Paris, la situation aurait « empiré » à en croire Bertrand Pieri. « Le métier a changé. Entre les actions culturelles, les liseuses ou les réservations en ligne, on nous en demande toujours plus. Mécaniquement, cela augmente notre charge de travail. Mais nous faisons face à une diminution du nombre de postes dans tous les établissements et à une réduction des horaires d'ouverture », explique Bertrand Pieri pour qui la municipalité fait face à deux choix : « Soit la mairie veut garder le réseau tel qu'il existe et devra recruter 60 agents par un vrai concours, soit elle le réorganise en supprimant des établissements ».

En attendant, les agents du réseau comptent poursuivre leurs efforts pour essayer de faire entendre leur voix.

(1) « Hidalgo et NKM interpellées par les bibliothécaires parisiens », Livreshebdo.fr, 13.3.2014.

Le réseau à Paris

73 bibliothèques (58 de prêt et 15 spécialisées ou patrimoniales).

12 064 710 prêts par an.

5 700 000 visiteurs par an.

299 960 inscrits, soit 13,7 % de la population.

4 nouvelles bibliothèques ouvertes depuis 2014.

18 chantiers de rénovation engagés depuis 2014.

« Il faut veiller à garder le maillage assez délicat du réseau »

Livres Hebdo : Quel bilan tirez-vous de l'application du plan « Lire à Paris » présenté par Bruno Julliard en 2018 ?

Christophe Girard, 1er adjoint à la Maire de Paris pour la Culture.- Photo OLIVIER DION

Christophe Girard : Incontestablement, un plan de la lecture à Paris permet d'avoir une veille et de s'assurer que les moyens ont augmenté. C'est le cas : nous avons une augmentation de quasiment 2 % des moyens budgétaires. Le nombre de travaux a explosé. Nous avons ouvert quatre bibliothèques ou médiathèques et deux autres projets sont prévus dans les 13e et 19e arrondissements de Paris. Le bilan est positif. Mais notre grand défaut est que nous n'arrivons pas, pour l'instant, à ouvrir nos bibliothèques le dimanche. Je veux avoir une discussion de fond avec l'intersyndicale et faire bouger les lignes avant la fin de la mandature.

Les délégués syndicaux dénoncent notamment le manque de moyens humains pour pouvoir ouvrir le dimanche dans de bonnes conditions...

C. G. : Nous ne pouvons ouvrir les bibliothèques le dimanche qu'avec des moyens ajustés mais proportionnés. Quand nous ouvrons un lieu, nous mettons les moyens humains. Quand on sait qu'il peut y avoir une extension des horaires d'ouverture, il faut en effet qu'il y ait plus de personnes. Mais nous sommes pour une certaine mobilité et une certaine souplesse, notamment avec la mise en place d'une équipe volante de bibliothécaires. Et puis, beaucoup de membres du personnel sont volontaires pour faire des heures supplémentaires. Nous ne devons pas non plus priver les agents d'une possibilité d'améliorer leurs revenus.

Indépendamment des résultats des élections, quels défis attendent la prochaine minicipalité ?

C. G. : L'ouverture des bibliothèques le dimanche sera un grand chantier. D'autre part, à moins d'un quart d'heure de chez soi, on a la possibilité d'aller en bibliothèque. Il faut donc aussi veiller à garder le maillage assez délicat du réseau, sans pour autant croire que seules les grandes médiathèques seraient attrayantes pour les nouveaux publics. L'un des défis sera de faire attention à ce que l'ouverture de médiathèques n'encourage pas la fermeture de petites bibliothèques, à la manière des grandes surfaces vis-à-vis des commerces de proximité. Mais aussi de savoir ouvrir et préserver ces petites bibliothèques qui sont complémentaires des grandes médiathèques.

Ouverture dominicale : le bras de fer continue

Médiathèque Jean-Pierre Melville (Paris 13e).- Photo OLIVIER DION

Christophe Girard l'admet sans détour : « L'ouverture des bibliothèques le dimanche reste un gros point noir. » Depuis le 19 janvier, les huit établissements concernés par l'ouverture dominicale restent portes closes. La réouverture de Jean-Pierre Merville (Paris 13e) a cristallisé le mécontentement des bibliothécaires. Ils demandent la création de cinq postes pour l'établissement et la revalorisation de leur prime dominicale. « Il nous faut des moyens et des embauches supplémentaires, assure Bertrand Pieri, délégué CGT de la Direction des affaires culturelles de la Ville. Trois postes ont été créés mais le recrutement n'aura pas lieu avant le mois de mai. » Selon lui, ces postes visent à renforcer l'équipe volante mais ne seraient affectés à Jean-Pierre Merville que le dimanche. Pour la première fois depuis le début de la grève, Christophe Girard a reçu l'intersyndicale (CGT, FO, SUPAP-FSU, UCP) vendredi 18 février. Les représentants du personnel sont ressortis déçus de la réunion. « La Ville ne peut pas augmenter la prime dominicale et refuse de reporter l'ouverture le dimanche de Jean-Pierre Merville, le temps que les trois agents soient recrutés », regrette Bertrand Pieri. Un nouveau préavis de grève a été déposé pour le dimanche 8 mars.

Les dernières
actualités