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Bob Dylan, Montaigne et le dépôt légal

Bob Dylan, Montaigne et le dépôt légal

On produit de plus en plus de livres. Et les capacités d'archivages sont déjà saturées. Le numérique pourrait être une solution à cette équation.

En janvier 1885, un incendie détruit le château dans lequel Michel de Montaigne avait vécu, et était mort, le 13 septembre 1592. L’incendie n’épargne que la « Tour de la librairie », depuis classée monument historique, et dans laquelle Montaigne rédigea, de 1571 à 1592, les Essais. Dans cette « librairie », que nous appellerions aujourd’hui bibliothèque, figurait, d’après l’auteur lui-même, environ « un millier » de livres[1].

Montaigne serait (peut-être) étonné d’apprendre que, si on en croit le dernier rapport (données 2018) de l’Observatoire du dépôt légal[2], à raison de 225 livres publiés en moyenne par jour, il ne faut guère que 4,5 jours pour parvenir au « millier ». 82 213 ouvrages exactement ont fait l’objet d’un dépôt légal en 2018, soit une hausse de 1,3 % par rapport à 2017. En 2009, « seulement » 66 586 ouvrages avaient été déposés – presqu’un quart en plus en dix ans.

Saturation

Quand François Mitterrand lança, le 14 juillet 1988, la construction d’une « bibliothèque d’un genre entièrement nouveau », la doxa était plutôt à anticiper une baisse du nombre de parutions imprimées. On construisit, certes, en plus du bâtiment bien connu du site Tolbiac, un centre technique à Bussy-Saint-Georges, avec des magasins de grande hauteur, mais, près de 25 ans après sa construction, ce site, comme l’ensemble des sites de la Bibliothèque nationale de France, est proche de la saturation. Le rapport d’activités 2018 de la BnF[3] détaille les mesures qui sont prises pour y faire face, mais il est clair que, hors la construction d’un nouvel espace de stockage (espéré pour 2023), il s’agit là de mesures à court terme, et basées sur des estimations d’accroissement qui peuvent être sujettes à caution.

Dans ce contexte, et au 21e siècle « tout numérique », il semble paradoxal que, pour des raisons juridiques et législatives qui, au moins à l’auteur de ces lignes, restent obscures, on ne mette pas en œuvre rapidement une mesure technique simple à laquelle, on n’en doute pas, les équipes de la BnF pourraient rapidement s’adapter : la substitution, au dépôt d’un exemplaire papier du dépôt légal, d’un exemplaire électronique, d’un « ebook », au moins pour les éditeurs, de plus en plus nombreux, qui en disposent.

Numérique

La situation actuelle est pour le moins ambiguë, comme le prouve le paragraphe consacré au sujet sur le site officiel du dépôt légal[4]. En bref, les ebooks sont obtenus par le biais du dépôt légal de l’internet, effectué par moissonnage directement par la BnF, mais qui n’offre aucune garantie d’exhaustivité. La mise en œuvre d’un cadre légal clair, et basé, comme le système actuel, sur le volontarisme (obligatoire il est vrai) des éditeurs, assurerait cette exhaustivité. Certes, on déporterait le problème de stockage de rayonnages physiques vers les capacités informatiques[5], et on augmenterait la facture d’électricité, déjà conséquente, de la BnF, mais, cela faisant, on faciliterait, entre autres, la recherche fouillée de textes, ou l’alimentation de la plateforme PLATON[6], installée dans le cadre de l’exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées. Appliquerait-on pour part la même démarche aux périodiques imprimés (219 766 déposés fascicules en 2018), que les économies seraient plus grandes encore.

On ne saurait négliger l’impact culturel d’une telle mesure. Si les auteurs sont encore si attachés, au moins pour certains, au support papier, c’est vrai aussi des lecteurs[7]. Mais les lecteurs du dépôt légal, dûment accrédités, ne sont pas des « lecteurs comme les autres », et gagneraient sans doute à cette transformation. A cet égard, et quelque attachement qu’on puisse à voir pour le lieu de la « librairie » de Montaigne, le travail virtuel mené sur sa bibliothèque, dans le cadre de qu’on appelle les « humanités numériques »[8], témoigne de ce que la conjugaison heureuse de l’ancien et du moderne est possible. Il n’est pas sûr que Montaigne, qui ne prisait guère la « nouvelleté », aurait apprécié. Mais, comme on dit, The Times they are a-Changin'.

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