3 mars > Roman France

Lucile Bordes aime réanimer les mondes perdus : le théâtre de marionnettes itinérant d’un ancêtre (Je suis la marquise de Carabas, 2012), l’esprit des lieux d’une ville de bord de mer en déclin (Décorama, 2014). Dans 86, année blanche, son troisième roman, elle travaille à nouveau ses propres souvenirs pour évoquer un mois de mai, il y a trente ans. Un mois de "fin du monde". Quelques jours mortels après un accident nucléaire "majeur", à la centrale nucléaire Vladimir-Ilitch-Lénine, en Ukraine.

Lucile Bordes avait 15 ans et vivait à 2 000 km de là, dans le sud-est de la France, à la Seyne-sur-Mer, comme l’une des trois narratrices de ce roman choral, Lucie, lycéenne de seconde. C’est terrifiée que l’adolescente observe sur les cartes, au journal télévisé, le nuage radioactif "effleurer" les frontières de la France, tandis que son père, qui vient d’apprendre l’annonce du dépôt de bilan des chantiers de La Navale où il est ouvrier, décide de rester au lit. Pour "les Russes", comme on les appelle alors, la catastrophe est au-dessus des têtes et la menace aussi silencieuse : Ludmila, 25 ans, et sa fille de 5 ans sont évacuées de Pripiat, ville modèle construite dix ans plus tôt pour loger les personnels de Tchernobyl, pendant que son mari, Vassyl, ingénieur chimiste, est mobilisé pour tenter d’éteindre l’incendie des réacteurs. A Kiev, à 130 km du site, Ioulia, bibliothécaire, apprend à son mari sa liaison avec un jeune étudiant français, rapatrié trois jours après l’accident.

"Mal des rayons", chagrin d’amour, licenciement, fin de l’enfance…, Lucile Bordes enchâsse "les petits désastres dans les grands", toutes ces liquidations alors sans mots et sans images. Rendant hommage à toutes ces femmes qui se demandaient, ces jours de mai 1986, pourquoi personne ne leur disait rien. Pourquoi trente ans plus tard, tout a changé, tout est pareil. V. R.

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