Cession de l’Écume des pages à Vivendi : « L’indépendance de la librairie sera assurée »
Le rachat de la librairie L’Écume des pages par le groupe Vivendi, annoncé en juillet dernier, est effectif depuis ce vendredi 8 septembre.
Par
Marie Fouquet Créé le
08.09.2023
à 10h05, Mis à jour le 18.09.2023 à 09h14
Le 4 juillet dernier, les libraires de L’Écume des pages et leur clientèle apprenaient le rachat de la librairie par le groupe Vivendi. Ces libraires ont exprimé leur inquiétude à l’égard du choix de la famille Besançon, qui possédait jusqu’à ce vendredi 8 septembre la librairie. Loïc Ducroquet, directeur de L'Écume des pages, et Félicité Herzog, directrice de la stratégie et de l'innovation chez Vivendi – également présidente de la société détentrice de la librairie –, nous éclairent sur l’avenir souhaité pour cette librairie emblématique de Saint-Germain-des-Prés.
Livres Hebdo : Les réactions ont été vives à l’annonce du rachat de L’Écume des pages par le groupe Vivendi. Que ce soit de la part des libraires, d’une partie de la clientèle ou de la mairie de Paris…
Loïc Ducroquet: Nous avons d’abord été très surpris car nous avons appris le nom de l’acquéreur alors que le processus de vente de la librairie était engagé depuis plusieurs mois avec un autre candidat, un entrepreneur. Nous étions étonnés qu’un groupe comme Vivendi s’intéresse à nous. Nous avons compris, aujourd’hui, que ce groupe permettait de pérenniser la librairie. Et l’équipe est aujourd’hui complètement rassurée.
Félicité Herzog: Nous n’avons pas désiré cet effet de surprise, l’annonce de notre intérêt pour la librairie ne pouvait s’exprimer pour des questions légales, car ce candidat avait déposé une offre exclusive. Le temps de cette exclusivité, personne ne pouvait déposer d’offre ou en parler. Nous n’avions simplement pas le droit de prendre contact avec la librairie. La mairie de Paris a réagi de manière plus émotionnelle que rationnelle.
L’Écume des pages n’était pas en danger et d’autres offres ont été proposées, qui avaient a priori davantage séduit les libraires. Qu’est-ce qui a fait privilégier l’offre de Vivendi, à terme ?
LD : Vivendi a le même but qu’avait notamment le candidat acquéreur en discussion, celui de pérenniser la librairie et de la développer. Nous avons reçu des garanties car une charte (voir l'encadré après l'interview) va être signée en faveur de notre indépendance. Elle sera très prochainement mise en ligne sur notre site. Nous allons travailler comme nous avons toujours travaillé, nous restons maîtres des personnes que nous recevons en signatures, de nos vitrines, de nos articles, de nos achats, de nos retours… Le travail au quotidien de nos libraires et le mien ne changeront pas. Cette charte nous rassure complètement.
FH : À notre sens, ces offres n’assuraient pas pleinement la pérennité de la librairie. S’adosser à un grand groupe, positionné sur tous les territoires de la créativité et qui peut accompagner la librairie au jour le jour, assurer sa pérennité et son développement, est un choix très solide. Le projet est de faire en sorte que la librairie perdure et reste identique à ce qu’elle est aujourd’hui, fidèle à ses valeurs. Yannick Bolloré et la direction de Vivendi sont convaincus que c’est la meilleure solution. L’indépendance de la librairie sera donc assurée.
Pourquoi le groupe Vivendi s’intéresse-t-il à une librairie ?
FH : Pour nous, L’Écume des pages, c’est d’abord et avant tout un coup de cœur. Nous sommes en ce moment dans une période de transition entre la cession d’un groupe d’édition et l’intégration d’un autre. Vivendi s’est engagé dans le secteur de l’édition. Comme pour beaucoup de groupes d’édition, il est intéressant pour nous d’avoir une librairie ou un réseau de librairies, et peut-être que nous ferons d’autres acquisitions dans ce domaine, mais pas question pour L’Écume des pages de devenir la librairie exclusive d’une maison d’édition. Nous cherchons à faire grandir cette très belle marque qu’est L’Écume des pages, toutes les ressources du groupe vont être employées pour la mettre en valeur, la faire rayonner. Peut-être qu’il y aura un relais par les médias du groupe (Vivendi possède notamment Canal+ et CNews, ndlr), comme par exemple autour des auteurs qui passeront en signatures à la librairie. Nous aimerions lui donner plus d’envergure car elle a actuellement peu de ressources pour se développer. Pour Vivendi, il s’agit d’une forme de mécénat actif, comme ce fut le cas avec le rachat du théâtre de l’Œuvre et celui de l’Olympia, et, parallèlement, de lancer un projet de développement dans le secteur de la librairie.
Quelles évolutions souhaitez-vous mettre en place ?
LD : Nous en discuterons tous ensemble, avec les libraires. C’est en cours de préparation, mais nous souhaiterions, par exemple, faire des captations vidéo des rencontres. Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens de de le faire.
FH : Sans compter que l’on a des relais de diffusion très importants. Pour la littérature, les sciences humaines et la littérature jeunesse, c’est fondamental.
Comment comprenez-vous les craintes qui ont pu s’exprimer sur une éventuelle mainmise idéologique du groupe Vivendi sur certains médias et autres acteurs culturels ?
LD : Il y a eu une crainte, en effet, liée à l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef du JDD(qui appartient au groupe Lagardère, ndlr), car cette actualité s’est retrouvée au cœur de l’actualité au moment même de l’annonce du rachat de L’Écume des pages. Nous avons été rassurés quant à la neutralité dont faisait preuve Editis au quotidien avec ses auteurs.
FH : C’est un procès d’intention. Le JDD n’appartient pas à ce jour au groupe Vivendi. La presse et l’édition sont, par ailleurs, des secteurs différents. Dans l’édition, vous pouvez le constater, nous avons publié des auteurs représentant toutes les sensibilités et de tous bords. Lorsque l’on observe par exemple la programmation des films de Canal+ (Validé, Bac Nord, Novembre),on voit bien qu’il y a un respect de la diversité, des metteurs en scène, des scénarios qui suivent tout l’arc possible d’opinions et de sensibilité.
Félicité Herzog, vous êtes vous-même autrice. J’imagine que vous êtes particulièrement attachée à la littérature, à l’édition et aux livres ?
FH : Oui, et j’ai d’ailleurs fait une signature à L’Écume des pages il y a quelques années pour mon deuxième roman (Gratis, Gallimard, 2015). Comme autrice et comme lectrice, je trouve que le rachat de cette librairie, qui va permettre de mettre mieux en valeur les livres et les auteurs, est une chance extraordinaire pour mieux diffuser et mieux distribuer la littérature et les sciences humaines. Pour mon dernier livre (Une brève libération, Stock, 2022), j’ai fait le tour des librairies de France, comme tous les auteurs. Je me rends compte à quel point la librairie joue un rôle fondamental dans le lien culturel, social de chaque ville de chaque région. Et rappelons également que Vivendi est partenaire de longue date de la Foire du livre de Brive.
Le groupe Vivendi développe donc un pôle culturel à part entière ?
FH : La culture est un des piliers du groupe Vivendi, au même titre que le divertissement. Tous les métiers de la création s’y retrouvent : des scénaristes, des acteurs, des gamedesigners, des auteurs, des créateurs de publicité et maintenant, des libraires qui, eux aussi, participent de la création. Cela crée une émulation culturelle et c’est ce que nous cherchons à faire. C’est la raison d’être de Vivendi : creation unlimited.
Charte de L'Écume des pages
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