JEUNESSE

"C'était un petit milieu où créateurs et éditeurs se côtoyaient. Il y avait à la fois une véritable exigence dans la création et la volonté de toucher le plus grand nombre." CHARLOTTE RUFFAULT- Photo DR

Je suis une autodidacte. Cela n'avait jamais eu d'importance à mes yeux jusqu'à ce que Vivendi refuse mon projet de studio audiovisuel parce que je ne sortais pas d'une grande école. Après, je l'ai revendiqué", rappelle d'emblée Charlotte Ruffault. Avant tout, elle est une combattante. Et ce trait de caractère lui a valu un parcours atypique, depuis Le Sourire qui mord jusqu'au leader du secteur jeunesse, Hachette, dont elle a dirigé la branche Roman avant d'être nommée directrice du développement en janvier 2011.

"Une époque bénie"

Tout d'abord comédienne au Théâtre national pour la jeunesse, Charlotte Ruffault devient bibliothécaire à la Maison des enfants de Louveciennes, où on luidemande d'animer "l'heure du conte". Elle se forme sur le tas avec Roger Bocquié et Monique Bermond, animateurs d'une émission sur France Culture. Dès lors, sa carrière va accompagner l'explosion du secteur, à partir de l'apparition dans les années 1970 des grands acteurs de l'édition pour la jeunesse, comme L'Ecole des loisirs. "Une époque bénie" où, sous l'influence d'Etienne Delessert, de Robert Delpire et d'Harlin Quist, le livre de jeunesse ressemble à un livre d'art. "C'était un petit milieu où créateurs et éditeurs se côtoyaient. Il y avait à la fois une véritable exigence dans la création et la volonté de toucher le plus grand nombre", raconte-t-elle.

En 1980, elle rencontre Christian Bruel, fondateur du Sourire qui mord, son "premier patron dans l'édition", et se retrouve dans une atmosphère "très différente, plus intello et plus psy". Elle découvre ensuite Syros, dirigé par Madeleine Thoby, à qui elle propose la collection "Petits carnets".

Un projet pour les adolescents, chez Autrement, abandonné faute de moyens, lui ouvre la voie du journalisme chez Bayard Presse, où elle travaille de 1984 à 1992. "On parlait aux enfants de choses très adultes et très ardues. Je me suis amusée à faire le tour des régions françaises, en montrant leurs points forts, y compris industriels, mais j'écrivais aussi jeux et recettes de cuisine", se souvient-elle. Elle continue cette collaboration au cours de trois années passées à Londres, où elle a suivi son mari banquier, tout en écrivant des documentaires pour Gallimard Jeunesse et Larousse. La "culture Bayard", qui donne la priorité au lecteur, la marque durablement : "Il faut se corriger tout le temps, éviter les mots trop complexes, les phrases trop longues. Le style doit être limpide pour que l'enfant entre directement dans le livre."

En 1992, retour chez Syros comme directrice éditoriale. Elle rénove la collection "Souris noire" avec Gérard Lo Monaco, invente un Dictionnaire des émotions pour ados, lance L'Etat du monde Junior avec La Découverte et publie la très militante collection "J'accuse", qui aborde des thèmes comme le tourisme sexuel ou les enfants-soldats. "Nous voulions que les collégiens et lycéens aient conscience que d'autres enfants vivaient l'horreur. Mais en même temps, nous cherchions une présentation extraordinaire pour chacun des livres, il fallait que chacun soit un objet unique." Si Syros gagne l'estime des bibliothécaires et des enseignants, ainsi que la reconnaissance au-delà des frontières à travers des prix décernés à la Foire de Bologne, les livres ne se vendent pas, et la maison fait faillite.

"J'arrivais de la planète Mars"

>En 1998, deux ans après son entrée chez Bayard éditions, paraissent les "Chair de poule", qui introduisent la notion de pur divertissement dans un livre de jeunesse envisagé jusque-là surtout sous l'angle éducatif. "Avec Jean-Claude Dubost, explique-t-elle, j'ai appris ce qu'était l'édition populaire." La notion de série - dont elle se souviendra quand elle prendra en main les "Bibliothèque rose" et "Bibliothèque verte", chez Hachette - s'impose. Elle publie aussi les premiers grands formats de Marie-Hélène Delval, Annie Pietri, Anne-Laure Bondoux, et lance "Historia" et "Mysteria", écrites par une équipe de jeunes scénaristes.

Retoqué par Vivendi, son projet audiovisuel lui vaut d'être remarquée par Jean-Etienne Cohen-Seat, conseiller du président d'Hachette Livre, qui fait appel à elle en 2002 pour remplacer Marie Lallouët. "Ma première réunion avec les représentants a été une horreur : j'arrivais de la planète Mars. Michel Marmor, directeur de la branche Hachette Illustré, m'a initiée aux chiffres et aux comptes d'exploitation." Sous sa houlette, Cécile Térouanne, venue de Flammarion pour s'occuper de la direction éditoriale et de l'international, et l'agente Natascha Farant découvrent Twilight, acheté 5 000 euros, et lancent "Black moon". Charlotte Ruffault se forme au marketing avec Antoinette Rouverand et "va chercher le lecteur sur la Toile" grâce au site Lecture-academy. com. "Hachette m'a structurée, moi qui suis volatile. Je pouvais faire ce que je voulais, si le résultat était à l'équilibre, confie-t-elle en ajoutant, avec malice : Le livre pour la jeunesse permet aux éditeurs de rester jeunes."

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