Mémoires

Daniel Cordier, «La victoire en pleurant. Alias Caracalla 1943-1946» (Gallimard) : Les chemins de la liberté

CORDIER Daniel - Photo © Catherine. Hélie Gallimard

Daniel Cordier, «La victoire en pleurant. Alias Caracalla 1943-1946» (Gallimard) : Les chemins de la liberté

Dans un texte posthume, Daniel Cordier livre la suite d'Alias Caracalla. Une plongée dans la Résistance après l'arrestation de Jean Moulin. Tirage à 25000 exemplaires.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 01.06.2021 à 18h20

Un héros ordinaire dans un monde pas ordinaire, un monde en guerre. Daniel Cordier (1920-2020) s'est battu, comme d'autres, pour préserver sa liberté. C'est par souci de responsabilité envers les autres que, paradoxalement, il a désobéi, risqué sa vie. Dans ce texte posthume qui fait suite à Alias Caracalla (Gallimard, 2009), l'ancien secrétaire de Jean Moulin évoque le monde d'après, celui de l'arrestation de son patron à Caluire avec d'autres résistants en juin 1943.

Daniel Cordier ne sait pas encore que celui-ci était Rex, chargé par de Gaulle de coordonner les mouvements de résistance, mais il voit l'unité de façade s'effondrer devant les revendications et les divisions. Comme en témoigne ce mot de Georges Bidault sur le général : « sa légende, c'est nous ». Toute son énergie, Daniel Cordier la mettra au service de l'homme du 18 juin et de l'ancien préfet pour montrer au contraire que sans eux, il n'y aurait pas de statues à légende.

On retrouve dans ce texte posthume, présenté et annoté par l'historienne Bénédicte Vergez-Chaignon, ce sens du portrait qui avait contribué au succès d'Alias Caracalla. On y voit l'élégant Claude Bouchinet-Serreulles, le successeur de Moulin, qui sort de la librairie Delamain en face de la Comédie française au risque d'être arrêté, les tractions de la Gestapo qui traquent les agents, et aussi ceux qu'ils nomment les Boches - il employait toujours ce terme par la suite lors des entretiens qu'il accordait. Il y raconte également ses rencontres avec Sartre et Malraux à Paris ou avec Aron à Londres.

La victoire en pleurant dit bien la douleur qui accompagne le succès. Tout simplement parce que le courage ne supporte pas de demi-mesure. Avancer à moitié, c'est rester en arrière. On retrouve ici l'engagement de Daniel Cordier, sa simplicité pour dire les choses telles qu'il les a ressenties, en ne cherchant pas à enjoliver le réel pour le rendre plus présentable. Les résistants ne furent pas des saints, tant s'en faut. Mais quelque chose les a rassemblés, au-delà des désaccords politiques, malgré les jalousies et les crocs-en-jambe : le refus de céder un pouce de leur liberté. Et alors que l'ombre de Rex enveloppe encore ce récit d'une lueur indélébile, c'est bien à Charles de Gaulle, encore et toujours, qu'il revient d'avoir dit non. La victoire en pleurant, parce que la liberté retrouvée a quelque goût amer après tant d'épreuves, tant de sacrifices. « Ce premier jour de ma liberté, je l'ai vécu sans projet et surtout, sans avenir... » C'est la dernière phrase du livre. Difficile de chanter quand tous les amis morts vous serrent la gorge, quand ces combattants glorieux revenus des camps ressemblent à des fantômes, quand les mots s'effacent devant la douleur. C'est cela Cordier. Un drôle de type qui a suivi avec quelques-uns un autre drôle de type et qui ont fini par rendre à la France son honneur perdu.

Daniel Cordier
La victoire en pleurant. Alias Caracalla 1943-1946 
Gallimard
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 21 € ; 336 p.
ISBN: 9782072688775

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