Portrait

David Pearson, la « British touch » des éditions Zulma

David Pearson - Photo DR

David Pearson, la « British touch » des éditions Zulma

Ses couvertures au graphisme abstrait signées d'un sobre triangle ont fait tripler les ventes de la maison. Rencontre avec un « book designer » très inspiré, formé à la Central Saint Martins de Londres, qui a aussi collaboré avec Wes Anderson.

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Par Marie-Hélène Martin,
Créé le 05.01.2022 à 11h30

La couverture est la bande-annonce d'un livre. « Entre ici toi qui passes ! » Bandeaux, photos, typos clignotent comme des lumières de Noël et confinent parfois à l'agression visuelle. Dans les piles, une maison, qui souffle ses trente bougies, se distingue toutefois : des couvertures graphiques, abstraites, avec un triangle signature sobre, un temps embossé, et le fameux « Z » qui veut dire... Zulma. Cette identité forte doit beaucoup au savoir-faire d'un graphiste anglais : David Pearson.

Couverture David Pearson pour Zulma- Photo © PRESSE

Tout commence en 2006, lorsque Laure Leroy - la cofondatrice (avec Serge Safran) de Zulma - décide de refondre « de fond en comble » l'identité visuelle de la maison. Lors de visites régulières à Londres pour son travail - la maison française dispose alors d'une collection de classiques en langue anglaise, disparue depuis -elle repère un jeune graphiste.

David Pearson fait ses premières armes chez Penguin Books pour la collection « Great Ideas » (une collection d'essais philosophiques, politiques, scientifiques...). Laure Leroy tombe en arrêt devant ces « couvertures très typographiques, avec une texture de papier extraordinaire qui font référence à l'histoire du livre, au savoir-faire du maître-imprimeur ». Il les lui faut ! « Laure m'a appelé un soir, tôt dans ma carrière, pour me proposer de redessiner leur collection de littérature contemporaine », confirme à Livres Hebdo David Pearson, « book designer », aujourd'hui la petite quarantaine (il est né en 1978). Suivront deux premiers titres : Comment va la douleur ? de Pascal Garnier et La vie rêvée des plantes, avec cette patte immédiatement reconnaissable, qui a valu à la maison Zulma (10 à 12 grands formats français et étrangers par an tous désormais conçus par lui) d'être encensée pour son « graphisme tranquillement efficace » jusque dans les pages du New York Times. L'effet Pearson n'explique pas tout mais, d'après Laure Leroy, « quand nous avons opéré ce changement, nous avons bien triplé les ventes ».

Laure Leroy, directrice des éditions Zulma.- Photo OLIVIER DION

Collection Penguin

Son art, David Pearson l'a appris au très réputé Central Saint Martins (College of Arts and Design) de Londres. On lui a démontré par A plus B - avec ou sans empattement - ce qui est beau ou laid en graphisme, un ensemble de règles qu'il faut connaître pour, dit-il, mieux s'en affranchir. Un talent en liberté qui l'a amené à collaborer hier avec le réalisateur Wes Anderson (pour Le Grand Budapest Hotel, 2014) ou à concevoir ces jours-ci des unes poétiques pour la prestigieuse revue littéraire britannique Granta, sans oublier des John le Carré vintage revisités.

Couvertures de David Pearson pour Zulma.- Photo PRESSE

Les livres n'étaient jamais loin dans son enfance dans une ville côtière du Lincolnshire : « Ma mère était institutrice si bien qu'elle nous a toujours inculqué l'importance de la lecture. Mes parents possédaient un coffret multicolore de livres de la collection Penguin et je m'en servais comme de blocs dans un jeu de construction. »

Comment travaille-t-il pour Zulma ? Sa mère y trouverait sans doute à redire mais, « shocking ! », il « ne [lit] pas les livres ». « C'est un processus de création unique : Laure Leroy, Evelyne Lagrange ou Héloïse Bailly me décrivent le style de l'écriture, le ton, la température, le symbolisme, la situation géographique, historique et surtout pourquoi elles aiment le livre. Pour un graphiste, cette information "émotionnelle" est incroyablement utile et déclenche l'inspiration. Je ne trouve pas toujours la bonne solution bien sûr, mais cela conduit simplement à plus d'échanges entre nous pour trouver, de façon collective, la réponse adéquate. Et lorsque nous trouvons, nous sommes tous ravis. » Il poursuit : « Je suis bien sûr aidé pas la nature de l'imagerie que nous créons - c'est abstrait et symbolique - elle parle du contenu en général plutôt que dans le détail. »

Couverture David Pearson pour Zulma- Photo PRESSE

Pas de règles

Ainsi, explique David Pearson, dans Le silence des dieux, de l'Algérien Yahia Belaskri, le schéma de couleurs et la composition traduisent le rayonnement incandescent du soleil et une montée de la révolte. Dans La sirène d'Isé, d'Hubert Haddad, « la couleur et la composition évoquent les échos de l'océan et de souvenirs récurrents ».

S'il ne possède pas de téléphone portable - « Je n'en ai jamais acheté et ce que vous n'avez pas connu ne vous manque pas » -, il ne se définit pas non plus comme technophobe : « Je dépends de la technologie chaque jour quand je travaille sur mon ordinateur. » Chaque motif est conçu par David Pearson de manière radicalement différente. « Il n'y a pas de règle, soit il prend des photos, soit il fait des collages, de la gravure sur bois ou des tampons », complète Laure Leroy.

Si l'attelage a si bien tenu jusqu'à aujourd'hui, c'est sans doute « parce que j'habite dans un autre pays ! » Plus sérieusement, David Pearson attribue le succès et la longévité de cette relation de quinze ans avec Zulma « à la confiance que Laure a placée en moi » et au fait que le look de ces couvertures n'a pas subi trop d'interventions ni de changements au fil des années et a pu ainsi lentement grandir en stature. C'est extrêmement rare, conclut-il, ce respect mutuel dans un monde où les créateurs comme lui « sont soumis à une pression constante pour rafraîchir les couvertures et pour se repositionner pour des gains à court terme ».

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