De corps et d'esprit. L'intérêt des jurés du Booker Prize pour David Szalay, écrivain né en 1974 d'un père hongrois et d'une mère canadienne, et diplômé d'Oxford, ne date pas d'aujourd'hui. En 2016, son quatrième roman figurait déjà parmi les finalistes du prestigieux prix. En neuf portraits, Ce qu'est l'homme (Albin Michel, 2018) proposait neuf saisissantes réponses à la question : qu'est-ce que vivre, au xxie siècle, dans une Europe en crise, avalée par le nouvel ordre mondial ? Avec Chair, David Szalay approfondit cette réflexion, non plus au travers de neuf personnages mais d'un seul, István, que le lecteur suit de son adolescence au déclin de ses jours. Une existence en montagnes russes qu'István traverse en tentant de comprendre ce que ces soubresauts impriment dans sa chair. À commencer par la découverte de sa sexualité.
À 15 ans, István emménage dans une nouvelle ville du sud de la Hongrie. Timide, il peine à s'intégrer. Quand sa mère lui demande d'aider leur voisine à faire ses courses, l'adolescent rechigne. Quand cette voisine, dont le mari « ne peut plus faire de tâches physiquement contraignantes », lui demande si elle peut l'embrasser, István ne comprend pas. « Comme il ne répond pas, elle l'embrasse sur la bouche. Ce n'est rien : leurs lèvres ne se touchent que légèrement, l'espace d'un instant. » De ce rien découlent les premières fois du jeune homme, qui se découvre bientôt des sentiments pour cette « dame » de trente ans son aînée. Lorsqu'elle tente de mettre fin à leur relation clandestine, István bouscule son époux, qui tombe et se tue dans les escaliers de leur immeuble. « Qu'est-ce qu'il a fait ? Il a volé une bouteille de lait ? » demande un passant quand un policier menotte l'adolescent. « Non, il a tué quelqu'un. » Après avoir purgé sa peine, István sert en Irak, déménage à Londres où il devient le chauffeur de « gens de la haute », avant de faire fortune à son tour.
Chair est bien plus que le roman d'un parvenu. Cobaye d'une expérience qui le dépasse, celle d'une existence vécue par le biais d'une enveloppe charnelle qui en limite la compréhension, István en explore les splendeurs et les misères, mais qu'en retient-il vraiment ? À travers ce récit mêlant détachement et sensualité, David Szalay souhaitait interroger « ce que signifie être un corps vivant dans le monde ». Le résultat fascine, déstabilise et exprime, quand nombre de romans ne font que l'effleurer, ce vertige que nous ressentons tous un jour face aux choix, conscients ou non, qui nous déterminent.
Chair
Albin Michel
Traduit de l'anglais par Benoît Philippe.
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 22,90 € ; 384 p.
ISBN: 9782226445995
