Pour sa 41e édition placée sous le signe de l’empathie, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil fait de l’accessibilité un axe majeur, au cœur de sa programmation comme de sa scénographie. Qu’il s’agisse de publics empêchés, de lectorats éloignés géographiquement ou de familles en situation de précarité, l’événement déploie une série d’initiatives pour élargir l’accès au livre et repenser la place de la lecture dans tous les territoires.
Pensé pour les publics empêchés, l’espace « Bulle » accueille ainsi les visiteurs en quête d’un environnement calme et apaisé. Renouvelé pour la deuxième fois consécutive, il permet la découverte de livres adaptés aux personnes en situation de handicap ou présentant des troubles neuroatypiques comme sensoriels. Livres tactiles, albums en FALC (Facile à lire et à comprendre), ouvrages en braille ou encore livres audio immersifs, sont donc consultables dans cet espace confiné, préservé du chahut de la manifestation.
« La lecture adaptée doit devenir un secteur comme un autre »
Lors d’une rencontre animée par l’Alliance pour la lecture, qui réunit 70 organisations œuvrant à « trouver ensemble des chemins d’accès à la lecture », professionnels et médiateurs ont échangé sur les dispositifs permettant de faire de l’accessibilité un prérequis éditorial. « Aujourd’hui, 13 millions de personnes en France n’ont pas ou mal accès à la lecture », a rappelé sa coordinatrice générale, Florence Blanchi, en présentant la série d’ateliers Fresque lancée en 2025.
Au SLPJ, un espace dédié aux personnes en situation de handicap ou atteintes de troubles du développement.- Photo ECPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
À ses côtés, Kiléma Éditions a défendu son travail de traduction en Falc (Facile à lire et à comprendre), une méthode visant à simplifier les textes pour les rendre compréhensibles de tous. « Nous avons à cœur d’être un éditeur traditionnel pour que la lecture adaptée devienne un secteur comme un autre », a expliqué sa fondatrice, Cécile Arnoult, tout en soulignant que si la forme progresse - plus de titres en braille, essor du livre audio -, le contenu éditorial reste un angle mort : « Une personne sur dix est atteinte de troubles du neurodéveloppement et 99 % des nouveautés ne sont pas adaptées. »
Souvent coûteux à produire comme à commercialiser, le livre adapté peine par ailleurs à entrer en librairie. Dans ce contexte, les médiathèques et les bibliothèques demeurent des acteurs clés. À la Bibliothèque publique d’information (Bpi), un service dédié propose un fonds consultable sur place. « Par exemple, nous disposons d’un espace appelé les Loges, avec deux postes de travail, du matériel spécialisé, des logiciels agrandisseurs, une imprimante braille et de la synthèse vocale », a énuméré Adélaïde Boulanger, cheffe du service Lecture et handicap.
"Une fois que le livre adapté est créé, faut-il encore que les acteurs du livre s'en emparent" - Adélaïde Boulanger (Bpi).- Photo ECPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Un jeune sur huit présente des fragilités de lecture
Malgré leur engagement, les deux structures se heurtent pourtant à l’indisponibilité d’un grand nombre de titres en version adaptée, à des moyens financiers restreints et à un manque de passerelle entre public, professionnels du livre et acteurs spécialisés. Pour répondre à ces difficultés, Kiléma éditions a donc choisi de prendre les choses en main en ouvrant, début janvier, un lieu hybride, entre librairie et tiers-lieu, dans le XVIIe arrondissement de Paris. De son côté, la Bpi poursuit l’élargissement de son offre, intégrant de nouvelles thématiques comme la santé mentale et les troubles psychiques.
Dans le prolongement de cette réflexion sur l’inclusion, l’accès à la lecture dans les territoires ruraux s’est également invité au cœur des débats. En marge d’une autre rencontre, Virginie Lamontagne, membre de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, a dressé un tableau plutôt préoccupant puisqu’aujourd'hui, en France, un adulte sur dix, soit 3,7 millions de personnes, connaît de fortes difficultés avec les compétences de base. De la même façon, un jeune sur huit présente des fragilités importantes en lecture. Un phénomène deux fois plus marqué dans les zones rurales et les quartiers politiques de la ville.
Aujourd'hui encore, les zones rurales sont les plus touchées par les fragilités et difficultés de lecture.- Photo ECPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Pourtant, la France dispose d’un maillage dense de bibliothèques : 16 500 établissements de lecture publique, dont 72 % en milieu rural. « Or, si l’on regarde la moyenne des horaires d’ouverture, on est à 9 heures hebdomadaire pour les zones rurales contre 20 heures pour les villes », a argué Philippe Faroy, membre de l’ONG Biblionef, laquelle a imaginé le programme « 1 000 nouveaux lieux pour l’accès à la lecture – Lire c’est Grandir », et lancera en 2026 « la grande cause de la filière graphique ».
« La dignité des personnes passe aussi par l’accès à la lecture »
Le Salon renforce aussi sa dimension sociale en officialisant son partenariat avec la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Soutenue par plusieurs mécènes, cette collaboration permet d’accueillir des groupes d’enfants et des familles accompagnées par une centaine de structures membres, auxquels sont remis environ 1 500 Chèques Lire de 12 euros. « C’est génial, surtout avant Noël ! s’est enthousiasmé Tiphaine Guérin, responsable des actions culture à la Fas. Grâce à ce partenariat, nous réaffirmons, dans un contexte budgétaire et une époque compliqués, que la dignité des personnes passe aussi par l’accès à la culture, à la lecture, qu’il s’agit d’un droit fondamental. »
En misant sur l’innovation, la coopération interprofessionnelle et la solidarité, le SLPJ dépasse son rôle de simple vitrine de la création jeunesse pour réaffirmer son engagement en faveur de nouvelles politiques de lecture publique. Un rappel opportun, en période de tensions économiques, que l’avenir du livre dépend aussi de la capacité collective à accueillir tous les publics.



