Economie et gestion

Dossier Economie et gestion : la crise en pratique

A la librairie Eyrolles, à Paris (5e). - Photo OLIVIER DION

Dossier Economie et gestion : la crise en pratique

La résurgence de la crise financière incite les éditeurs d'économie et de gestion à développer un panel d'ouvrages ajustés aux besoins d'un public qui recherche des réponses concrètes aux défis de la période plutôt que des théories générales. Ils peuvent aussi s'appuyer sur le marché universitaire, qui offre une bonne résistance aux difficultés de la conjoncture économique.

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Par Charles Knappek
Créé le 05.06.2015 à 15h31 ,
Mis à jour le 11.09.2015 à 16h13

D' une année sur l'autre, dans un environnement économique dégradé, la croissance reste atone dans les secteurs de l'économie et de la gestion. Les éditeurs ont constaté une légère amélioration au cours de l'année écoulée, sans pour autant sortir totalement du marasme qui touche le monde de l'édition à tous les niveaux. "Même si ses effets se font moins sentir que les années précédentes, la crise est toujours là », pointe Manuela Boublil-Friedrich, directrice éditoriale économie, gestion, management universitaire et grand public chez Dunod. Pour Emile Guchet, P-DG des éditions du Puits fleuri, "l'année a été relativement difficile, certains libraires sont à la peine et les offices diminuent ». "Nous n'enregistrons pas de croissance cette année, nous pensons terminer au même niveau qu'en 2010 », estime de son côté Sophie Courault, directrice éditoriale chez ESF.

En économie-gestion, l'impact de la crise varie considérablement en fonction des segments d'activité. L'universitaire, notamment, résiste bien à la morosité ambiante.- Photo OLIVIER DION

Si les éditeurs doivent composer avec une crise qui, relancée pendant l'été, s'installe dans la durée, l'impact de celle-ci varie tout de même en fonction des segments de l'activité. Les ouvrages universitaires résistent globalement bien à la morosité et constituent même un pôle de stabilité apprécié autour d'un marché étudiant qui se renouvelle tous les ans. "L'économie-gestion se porte plutôt mieux que la moyenne du secteur universitaire, car on s'adresse à des étudiants de classes préparatoires et de grandes écoles commerciales qui consomment plus de livres qu'à l'université et dont le pouvoir d'achat est globalement plus élevé », observe François Gèze, P-DG de La Découverte. Nonobstant l'inamovible succès des Plans comptables généraux de Foucher, Dunod, Nathan et Hachette (voir le palmarès des meilleures ventes, p. 102), l'universitaire est porté par les bons résultats de titres comme les trois ouvrages collectifs Management des unités commerciales (Nathan Technique), le Dictionnaire d'économie et de sciences sociales (Nathan) ou BTS AG PME-PMI, toutes les matières (Nathan Technique).

"L'économie-gestion se porte plutôt mieux que la moyenne du secteur universitaire, car on s'adresse à des étudiants de classes préparatoires et de grandes écoles dont le pouvoir d'achat est plus élevé." FRANÇOIS GÈZE, LA DÉCOUVERTE- Photo OLIVIER DION

Le secteur des livres professionnels poursuit de son côté la mutation amorcée ces dernières années avec une offre toujours plus à l'écoute des besoins spécifiques de lecteurs essentiellement demandeurs de livres pratiques. "Plus que le pourquoi, c'est le comment qui se vend le mieux », explique Odile Marion, directrice éditoriale pour le secteur entreprise chez Dunod. "Le marché de l'économie-gestion est arrivé à maturité, c'est une valeur sûre pour nous, avec toujours une forte demande de livres pratiques », renchérit Claudine Dartyge, directrice éditoriale, au sein du groupe Eyrolles, des Editions d'organisation.

"Nous proposons aussi des livres accessibles qui peuvent faire l'objet d'un cadeau de Noël, dans une veine légère et instructive." MANUELA BOUBLIL-FRIEDRICH, DUNOD- Photo OLIVIER DION

SOLUTIONS CLÉS EN MAIN

En librairie, la collection "La boîte à outils" de Dunod, organisée sous forme de fiches synthétiques, fonctionne ainsi très bien, allant "jusqu'à éclipser les autres collections du même éditeur, observe Jean-François Rossi, responsable du rayon management de la librairie Eyrolles à Paris. Le titre le plus récent, La boîte à outils de la créativité, est l'une de nos meilleures ventes de la rentrée ». La collection sera encore enrichie le 19 octobre d'un titre supplémentaire : La boîte à outils de l'intelligence économique. Dans le même esprit, Dunod a lancé début octobre une autre collection intitulée "J'ouvre ma boîte", qui propose des solutions clés en main aux jeunes entrepreneurs, avec quatre premiers ouvrages traitant du Web, des médias sociaux, du financement de l'entreprise et de la fidélisation client. "Avec un livre professionnel/opérationnel, le lecteur ne perd pas son temps à comprendre ce qu'on veut raconter. Nous lui proposons une offre structurée d'informations pratiques qui lui permettent d'atteindre rapidement ses objectifs », souligne Odile Marion.

"Le livre d'Olivier Seban, Tout le monde mérite d'être riche, se vend indéfiniment, on a atteint les 25 000 exemplaires grâce à une bonne présence dans les Relais H." LAURENT DU MESNIL, MAXIMA- Photo OLIVIER DION

Emile Guchet va dans le même sens : "Les lecteurs d'ouvrages d'entreprise ont des besoins concrets, ils veulent des informations pratiques exploitables immédiatement, sans forcément avoir à chercher plus loin. » Le Puits fleuri propose par exemple en novembre Comment devenir formateur occasionnel, à destination des professionnels non-enseignants ayant à former du personnel à côté de leur fonction principale. Réussir votre reconversion professionnelle, paru cette année, a également bien démarré. "C'est un ouvrage qui s'inscrit dans le contexte actuel de crise et de difficulté pour les actifs à trouver ou retrouver un emploi », décrypte Emile Guchet.

Aux Editions d'organisation, l'efficacité professionnelle a également tiré les ventes vers le haut avec des ouvrages comme Mind map pour managers, Créer une entreprise sur Internet et Réaliser son business plan en 48 heures. Dans la même veine, ESF propose Construire son projet professionnel, paru à la fin du mois d'août dans la collection "Formation permanente". L'éditeur a vécu une "année très dense, avec une cinquantaine d'ouvrages parus et à paraître », selon Sophie Courault.

Dans un contexte qui reste difficile, toutes les ficelles sont bonnes pour tirer son épingle du jeu : les éditeurs ciblent notamment les marchés de niche. Le Puits fleuri a publié en septembre Informatique & numérique à l'usage des seniors, qui connaît un début encourageant. Sur un secteur de l'économie très concurrentiel, Gualino a publié en janvier dernier Travailler et vivre en Allemagne, après Travailler et vivre en Angleterre, paru en mai 2010. Chez Maxima, la tendance aux sujets de niche est la même avec de nouvelles éditions de La location meublée, à jour des dispositions annoncées en août par le gouvernement concernant la réduction des déficits, et de Moins d'impôts pour les professions libérales de Rémi Dumas. Pearson a publié en juin La présentation mise à nu, un ouvrage expliquant comment toucher un auditoire en communiquant le message essentiel.

RETOUR DES LIVRES DE FOND

Cette faveur pour les livres pratiques ne remet pas pour autant en question les ventes de titres plus exhaustifs. "On assiste aussi à un retour des livres de fond, avec des ouvrages durs qui proposent un tour complet d'un sujet », note Laurent du Mesnil, directeur de Maxima. L'éditeur publie en novembre, et pour la première fois en librairie, la 32e édition des Ressources des collectivités locales. Cette référence du financement des collectivités était auparavant éditée par Dexia. "Il a toute sa place en librairie, mais ce n'est pas un livre plaisir, on n'est vraiment pas dans le domaine des paillettes », assure Laurent du Mesnil. Maxima lance également en octobre Performance et création de valeur dans la fonction achats, une somme de 504 pages vendue 69 euros.

Chez Dunod, des valeurs sûres, comme le Mercator et le Communicator, continuent de faire leurs preuves. L'éditeur inaugure aussi, début novembre, sa nouvelle collection "Pratiques en or", avec RH au quotidien en 100 fiches comme premier titre. "Ce devrait être la bible des ressources humaines, espère Odile Marion. Autrefois, la RH était un service isolé dans une entreprise, maintenant elle doit travailler à tous les niveaux de la société. » Cet épais volume de 650 pages sera suivi par d'autres ouvrages sur le marketing et le commercial.

La collection "Atlas", lancée il y a trois ans par Eyrolles, a de même trouvé son public. L'éditeur a publié en mai dernier la première édition de L'atlas du marketing, ouvrage à vocation encyclopédique pour les professionnels, qui se présente sous la forme de 80 dossiers thématiques. Il fait suite à L'atlas du management, paru en 2010, et à L'atlas du développement durable, sorti début 2011.

La thématique Internet mobilise particulièrement des éditeurs, avec toute une série d'ouvrages se rapportant à la problématique du e-business. "C'est une tendance de fond qu'on observe depuis deux ou trois ans. Le secteur s'enrichit en permanence de nouveaux titres qui viennent nourrir une forte demande du public », explique Jean-François Rossi, de la librairie Eyrolles. En la matière, Internet marketing 2011, chez EBG, est l'un des succès de cette rentrée. A destination des annonceurs, des agences et des étudiants, cet ouvrage théorique et pratique explique aux entreprises comment optimiser leur présence sur la Toile.

Dunod compte notamment sur ses livres consacrés à l'économie numérique pour doper son activité de la rentrée. Le marketing 3.0 de Samuel Mayol et E-marketing & e-commerce de Thomas Stenger et Stéphane Bourliataux-Lajoinie ont enregistré de bons résultats. La maison d'édition publie deux titres supplémentaires sur cette thématique à l'automne : E-réputation de David Réguer et Le Webmarketing, un ouvrage collectif.

"Des savoir-faire nouveaux et des connaissances nouvelles sont apparus avec Internet, les fonctions évoluent avec le temps, et des métiers inédits se développent, tel le "community manager", qui gère les communautés sur le Web. C'est aussi notre rôle de leur consacrer des ouvrages dédiés avec une offre éditoriale appropriée », juge Odile Marion. Dunod se penche également sur le phénomène de la génération Y, celle des jeunes actifs nés à partir des années 1980 et adeptes des réseaux sociaux et d'Internet. Dans la collection "Best practices", Manager la génération Y est sorti en octobre. Les auteurs, Marie Desplats et Florence Pinaud, y distillent leurs conseils aux anciennes générations pour adapter les techniques de management à une jeunesse mue par d'autres codes. Sur le même sujet, la 2e édition de Génération Y, mode d'emploi est également parue en juin chez De Boeck.

COMPRENDRE LE MONDE DE L'ENTREPRISE

Ce besoin de comprendre de l'intérieur les évolutions du monde de l'entreprise se vérifie avec le succès d'ouvrages consacrés aux techniques de management. Dunod a publié au mois d'août la 3e édition de son best-seller Comprendre et appliquer Sun Tzu, dans sa collection "Stratégies et management". Le stratège chinois fait aussi les beaux jours de Maxima avec Sun Tzu, leçons de stratégie appliquée, l'un des titres phares de la collection "Master class".

Lost in management du sociologue François Dupuy, paru en février dernier aux éditions du Seuil, est l'un des meilleurs succès de l'année en la matière. L'auteur pointe une dispersion du pouvoir de l'entreprise au niveau des intermédiaires et des exécutants tout en montrant la difficulté pour les dirigeants à reprendre les commandes.

Le marketing n'est pas en reste et s'en remet à ses têtes de gondole. Maxima organisera début 2012 une opération en librairies avec de nouvelles éditions des ouvrages du "grand gourou" du marketing, l'Américain Seth Godin. "On reste dans le domaine professionnel, mais ce sont des livres de fond sur des sujets qui existent encore aujourd'hui et que les étudiants demandent beaucoup », indique Laurent du Mesnil. Seth Godin permet aussi à Diateino d'enregistrer de bonnes ventes avec son livre Tribus. L'éditeur a également publié en avril L'art de l'enchantement, le dernier livre de Guy Kawasaki.

L'effervescence qui entoure le livre professionnel ne remet pas pour autant totalement en question la vitalité des livres d'actualité. La crise économique, financière et sociale occupe à ce titre encore cette année une place de choix dans les rayons des librairies. Economica surfe notamment sur la vague du marasme économique avec des ouvrages comme La crise de cent ans de Jean-Louis Gombaud, Les financiers détruiront-ils le capitalisme ? de Robert Boyer, Les produits dérivés et les désastres financiers de Laurent L. Jacque, ou encore Les comportements financiers des Français d'André Babeau, tous publiés entre l'été dernier et la rentrée. Le fondateur de la maison d'édition Jean Pavlevski constate malgré tout un affaiblissement structurel des parutions de livres d'économie, au profit des articles dans les revues anglo-saxonnes. "On publie moins dans toute la France qu'un seul gros éditeur américain. Les jeunes économistes se contentent de rédiger des articles en guise de thèse, et ce sont les vieux professeurs qui publient aujourd'hui l'essentiel des ouvrages académiques », déplore-t-il. Economica n'en publiera pas moins prochainement Une théorie des incitations pour les achats publics et la réglementation de Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole. Cet ouvrage, rédigé en anglais par les deux économistes français il y a une quinzaine d'années, vient seulement d'être traduit. "Tirole est nobélisable, son livre est un classique pour cinquante ans, et c'est un honneur pour nous de le publier », se félicite Jean Pavlevski. L'éditeur lancera également en janvier l'ouvrage d'un autre économiste éminent, Jean-Luc Gaffard, dont le titre provisoire est Capitalisme et cohésion sociale.

Chez De Boeck, les stars de la collection "Ouvertures économiques", Paul Krugman, Joseph Stiglitz ou Gregory Mankiw, assurent à l'éditeur belge une bonne présence dans les rayons. La 3e édition de Politique économique de Jean Pisani-Ferry, Agnès Bénassy-Quéré, Pierre Jacquet et Benoît Coeuré paraîtra en 2012.

LÉGER ET INSTRUCTIF

Aux Editions d'organisation, les titres de la rentrée Sortir de l'euro ? d'Evariste Lefeuvre et La France, la faillite de Philippe Herlin collent clairement à l'actualité de la crise grecque et du financement de la dette européenne. "Le public a toujours envie de comprendre et de se protéger », estime Claudine Dartyge. Ellipses a également publié fin septembre un ouvrage intitulé La dette. Les éditions de la Découverte parient, elles, sur une mise en perspective historique de la crise actuelle avec un essai de Christian Chavagneux à paraître en octobre, Une brève histoire des crises financières, de la crise des tulipes du XVIIe siècle au krach de 1929. Maxima prend quant à lui le contre-pied du best-seller de Stéphane Hessel Indignez-vous ! avec un essai d'Hervé Sérieyx et André-Yves Portnoff, Aux actes citoyens ! De l'indignation à l'action, recommandé par Edgar Morin, qui a pourtant publié fin septembre avec Stéphane Hessel un court texte de soixante pages sur le même thème chez Fayard, Le chemin de l'espérance.

Dans un registre plus grand public et moins anxiogène, Dunod enrichit encore cette année son catalogue avec 25 génies des affaires qui ont changé le monde, paru début octobre. L'éditeur annonce également pour la fin du mois Ces journées qui ont changé le monde. "Ce sont des livres accessibles qui peuvent faire l'objet d'un cadeau de Noël, on est dans une veine légère et instructive », explique Manuela Boublil-Friedrich. De son côté, Maxima profite à plein de la 2e édition de Tout le monde mérite d'être riche d'Olivier Seban. "Ce livre se vend indéfiniment, on a atteint les 25 000 exemplaires grâce à une bonne présence dans les Relais H », se réjouit Laurent du Mesnil.

Les éditeurs ne peuvent toutefois pas tous se positionner sur le livre d'actualité. Chez Gualino, le directeur, Philippe Gualino, précise : "Sur le plan éditorial, nous n'avons pas les moyens de produire des ouvrages d'actualité sur les tenants et les aboutissants de la crise. Notre stratégie consiste surtout à proposer des ouvrages de fond, essentiellement pour les étudiants. On fait moins de grosses ventes, mais c'est plus rentable sur la durée. » L'éditeur prévoit tout de même de lancer en 2012 une collection à destination d'un public élargi intitulée "100 pages pour comprendre". Une dizaine de titres sont annoncés en finance, en économie, en droit ou en gestion.

Le marché en chiffres

LES LIVRES RESTENT MOINS LONGTEMPS EN RAYON

« On est dans une situation de course effrénée à la parution de nouveautés », constate Sophie Courault chez ESF.- Photo OLIVIER DION

Très sollicités par les nouveautés en économie-gestion, les libraires ont tendance à conserver moins longtemps les titres en rayon. Pour vivre, un ouvrage doit donc très rapidement trouver son public, sous peine de retour à l'éditeur. Mais la réduction des linéaires n'a pas les mêmes conséquences pour les éditeurs selon le segment d'activité concerné. Pour le livre professionnel et pratique, elle entraîne une concurrence accrue entre les acteurs. "On le constate de plus en plus, la durée de vie des ouvrages professionnels est de plus en plus courte. On est dans une situation de course effrénée à la parution de nouveaux titres qui se chassent les uns les autres, c'est un changement dans la manière d'appréhender notre activité", déplore Sophie Courault, chez ESF. Dans la collection "Formation permanente", les ouvrages de l'éditeur vivent deux à trois ans en rayon. "Mais pour les nouveautés, c'est parfois moins de douze mois", souligne Sophie Courault.

D'autres facteurs entrent en ligne de compte cette année, qui amènent au contraire certains acteurs à réduire la voilure. "En période d'élection, le marché est perturbé par les livres politiques, nous allons donc nous concentrer sur les ouvrages qui répondent à un besoin et dont la demande est détectée", prévient Emile Guchet, du Puits fleuri. Pour exister en librairie, Maxima parie de son côté sur l'achat d'impulsion avec des titres accrocheurs. "L'économie-gestion est plutôt en baisse en ce moment, les rayons sont petits. Comme nous ne sommes pas leaders sur le marché, il faut arriver à la visibilité pour trouver une clientèle. Le public ne s'arrête que s'il est interpellé", explique Laurent du Mesnil.

La diminution des linéaires en gestion est aussi une conséquence du développement de la vente en ligne dans ce secteur. En économie, en revanche, les mises en place d'essais dans les librairies continuent de jouer un rôle important dans le démarrage des titres. "Les livres d'actualité se vendent bien la première année alors qu'en gestion on a souvent affaire à des long-sellers qui ont moins besoin d'être poussés pour trouver leur public", conclut Claudine Dartyge, des Editions d'organisation.

Une offre numérique en gestation

 

Conscients de l'évolution des attentes et des pratiques, les éditeurs recherchent la pertinence de leurs produits numériques et la complémentarité avec le papier.

 

"La solution passe certainement par des initiatives conjointes des fabricants de tablettes et des écoles permettant de fournir des offres packagées aux étudiants." MARIE ALLAVENA, EYROLLES- Photo OLIVIER DION

Pas simple pour les professionnels du livre universitaire de s'adresser à l'étudiant du XXIe siècle. Cette fameuse génération Y, née avec une souris dans la main et un écran d'ordinateur sous les yeux, n'entretient pas les mêmes rapports avec le livre imprimé que les générations qui l'ont précédée. "Les étudiants d'aujourd'hui utilisent Google et Wikipédia pour se documenter, ils cherchent des informations sur un point précis et moins une vue d'ensemble sur un sujet donné", constate Philippe Gualino, des éditions Gualino.

"En expertise comptable, ce n'est pas pertinent de télécharger un ouvrage de 850 pages. Il est plus intéressant de récupérer en ligne des corrigés d'exercices. En offrant un service complet aux étudiants, on les fidélise aussi pour nos ouvrages papier." MARILYSE VÉRITÉ, FOUCHER- Photo OLIVIER DION

Sur un marché du numérique balbutiant et occupant encore une place marginale dans le chiffre d'affaires des éditeurs, la tendance est donc à la recherche d'un modèle économique capable de répondre aux besoins d'étudiants moins enclins à investir dans d'épais manuels tout en étant viable. "Le marché universitaire de l'économie-gestion a ses particularités, remarque Marilyse Vérité, responsable des projets éditoriaux enseignement supérieur chez Foucher. On ne peut pas proposer le même service numérique selon qu'il s'agit d'ouvrages de droit, lesquels se prêtent par exemple très bien au format numérique, car la matière est mouvante et les mises à jour nécessaires en permanence, ou d'ouvrages d'économie-gestion." Leader sur le marché de l'expertise comptable, Foucher commercialise des ouvrages papier de cours, d'application et de révision, complétés depuis 2007 par une offre gratuite de corrigés en ligne. «En expertise comptable, ce n'est pas pertinent de télécharger un ouvrage de 850 pages. Il est en revanche beaucoup plus intéressant pour les étudiants de récupérer en ligne des corrigés d'exercices. D'autant qu'en pratique ils achètent peu les corrigés papier. En leur offrant un service complet, on les fidélise aussi pour nos ouvrages papier."

Gualino annonce de son côté pour 2012 la commercialisation de certains ouvrages exclusivement sous forme numérique. "Les contenus seront enrichis et utiliseront toutes les forces du support numérique (interactivité, recherche, liens, vidéos...) », indique Philippe Gualino, qui ne propose pour l'heure que des livres numériques homothétiques.

Chez Eyrolles et à La Découverte, on croit surtout aux vertus du B2B pour le livre universitaire. "Nous savons bien que les étudiants aiment pirater tout ce qu'ils peuvent, nous sommes donc très vigilants sur les ouvrages numériques. La solution passe certainement par des initiatives conjointes des fabricants de tablettes et des écoles permettant de fournir des offres packagées aux étudiants. 2012 s'annonce de ce point de vue comme une année charnière avec l'émergence de nouveaux acteurs", indique Marie Allavena, directrice générale d'Eyrolles.

B2B

"Tous nos titres de la collection "Repères" sont disponibles sur la plateforme Cairn.info. Il s'agit d'un portail où les ouvrages sont publiés sous forme de licences conclues avec les bibliothèques universitaires en France et à l'étranger", indique François Gèze, P-DG de La Découverte, qui réalise 4 % de son chiffre d'affaires dans le livre numérique, essentiellement en B2B. Pour ce qui est de la relation B2C, l'éditeur préfère décaler la version numérique des ouvrages six mois après la sortie du livre papier. "Cela permet d'éviter une cannibalisation trop rapide du numérique sur le papier, qui subit actuellement une érosion certaine, précise François Gèze. L'équilibre économique des éditeurs restera menacé tant que cela ne sera pas compensé par les livres numériques, qui rapportent encore très peu aujourd'hui."

"Il y a une attente de gratuité de la part des étudiants, concède Dominique de Raedt, directrice éditoriale chez De Boeck, mais je pense que la qualité des contenus proposés et aussi le rôle prescripteur des enseignants pour une bonne préparation aux examens vont jouer en notre faveur." L'éditeur lancera d'ici à la fin de l'année une plateforme d'apprentissage de la comptabilité, pour le marché belge dans un premier temps. «Certains ouvrages auront des sites compagnons multimédias payants (avec vidéos et exercices interactifs, glossaires interactifs...). L'idée est d'apporter un enrichissement pédagogique à l'ouvrage papier, à l'instar des sites compagnons des grands manuels anglo-saxons", précise Dominique de Raedt.

Chez Dunod, qui a numérisé 1 500 titres de son catalogue depuis 2009, dont un tiers en économie-gestion-management, les interrogations sont identiques. Pour le trentième anniversaire du Ramsès, l'éditeur commercialise cette année une offre unique qui comprend l'ouvrage papier et un code à gratter personnalisé permettant de télécharger une version numérique du livre sur tablette. "Nous avons fait l'effort d'associer les deux supports pour le prix d'un seul, mais on ne pourra pas se le permettre pour tout le catalogue. Le travail de mise en forme de la version numérique, sa commercialisation sont lourds et nécessitent un travail double. Dans le même temps, le chiffre d'affaires n'est pas doublé", rappelle la directrice éditoriale Manuela Boublil-Friedrich.

LE PAPIER RASSURE

Si la plupart des acteurs s'accordent à considérer que le livre numérique est l'avenir de l'édition dans le secteur de l'économie, ils n'enterrent pas le papier pour autant. "Un livre d'économie se lit avec un stylo pour prendre des notes. Le numérique n'a d'intérêt que s'il y a des mises à jour régulières, ce qui ne se fait jamais en pratique avec les traités académiques", estime Jean Pavlevski, chez Economica. "En expertise, le papier rassure encore », renchérit Marilyse Vérité, des éditions Foucher. "Pour le moment, on ignore surtout quand le marché du numérique va décoller, rappelle Manuela Boublil-Friedrich. A l'heure actuelle, les propriétaires de tablettes lisant régulièrement des livres numériques ne sont pas si nombreux que cela. Si vous les ramenez à la proportion de population qui nous intéresse sur le livre universitaire, on se retrouve avec un marché très réduit." En attendant le décollage du numérique, chacun fourbit ses armes. Pour ne pas manquer l'avion.

VIVENT LES CONCOURS  !

Une offre importante se développe pour la préparation aux nouveaux concours.- Photo OLIVIER DION

Facteur de stress pour les étudiants, les concours représentent au contraire une chance pour le livre. Depuis l'entrée en vigueur de la certification professionnelle des connaissances réglementaires par l'Autorité des marchés financiers (AMF) en juillet 2010, par exemple, les éditeurs ont développé une offre considérable d'ouvrages permettant de réviser ce concours. Dunod avait publié l'an dernier le tome 1 de sa Préparation à l'examen certifié par l'AMF, qui a été suivi en avril dernier par un second tome. Les deux sont maintenant commercialisés dans un pack unique. "La rentrée est surtout maintenant, les titres se vendent bien. Nous avons un partenariat avec le Cnam, qui est l'un des gros pôles d'enseignement pour la préparation à cet examen. En achetant notre ouvrage, le lecteur accède à la plateforme d'entraînement numérique du Cnam", se félicite Manuela Boublil-Friedrich.

Réussir l'examen certifié AMF, paru chez Pearson, s'est également imposé sur le créneau dès l'an dernier. D'autres éditeurs ont depuis rejoint le mouvement, tel EFE avec L'AMF en poche, les clés pour réussir sa certification, paru en février dernier. Les Editions d'organisation ont quant à elles lancé L'examen de certification AMF dès octobre 2010.

Du côté de la préparation au DSCG, sur lequel sont notamment implantés Foucher et Hachette, le partenariat conclu l'an dernier entre Dunod et les éditions Francis Lefebvre a porté ses fruits, selon Manuela Boublil-Friedrich. "Cela donne une image bénéfique auprès des enseignants prescripteurs, nous avons conquis des parts de marché."


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