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Dossier Poche: capter la lumière

L’Ecume des pages à Paris - Photo Olivier Dion

Dossier Poche: capter la lumière

Pour mettre sous les projecteurs un maximum de livres, les éditeurs de poches renouvellent l’accompagnement promotionnel de leurs auteurs phares. Ils s’appuient sur l’engouement pour les séries télé afin de stimuler la curiosité des lecteurs et segmentent leur catalogue en labels pour mieux cibler leurs efforts.

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Par Isabel Contreras,
Créé le 04.05.2018 à 11h39

Redoubler d’efforts pour diriger l’attention du public vers encore plus de titres, voilà l’objectif des éditeurs de poche qui ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu en 2017. A 0% selon nos données I+C/ Livres Hebdo le rayon s’est même montré résistant aux effets négatifs causés par l’élection présidentielle et la concentration de best-sellers au deuxième semestre. Le secteur est à nouveau porté par une poignée de titres vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. C’est le cas des romans signés par les "reines du feel-good" comme Raphaëlle Giordano chez Pocket ou Aurélie Valognes au Livre de poche. Par les auteurs populaires ou classiques aussi, comme Marc Levy ou Guillaume Musso, tous deux chez Pocket. Chez Madrigall, Folio surfe sur la vague du succès de la tétralogie d’Elena Ferrante, L’amie prodigieuse. Depuis 2016, les trois premiers volets de la saga se sont écoulés à près de deux millions d’exemplaires en poche. Le quatrième et dernier tome paraîtra en 2019, mais "l’auteure n’est pas morte, elle continue à écrire !, s’amuse Anne Assous, la directrice des collections Folio. Surtout, le lectorat de cette tétralogie est en majorité féminin. La prochaine adaptation en série télé chez HBO et la réédition du 4e tome déclencheront de nouvelles ventes et nous permettront, peut-être cette fois, d’atteindre un public plus masculin."

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Capter partout et toujours plus de lecteurs, c’est bien le nerf de la guerre. Pour les auteurs phares du catalogue déjà sous les feux de l’actualité, il s’agit de renforcer leur visibilité en montant des opérations de promotion. Le Livre de poche, dont le logo a été légèrement modifié en début d’année, est d’autant plus reconnu que les initiatives commerciales sont nombreuses. Pour "aller chercher les lecteurs un par un", la maison se déplace depuis quatre ans tous les étés avec son Camion qui livre. Elle organise aussi des compétitions d’improvisation littéraire en partenariat avec Le Labo des histoires, et joue sur la renommée de ses auteurs pour se rapprocher de son lectorat. L’année dernière, à l’occasion du festival littéraire Saint-Maur en poche, elle a réuniautour d’un pique-nique, une centaine de lecteurs et quelques pointures comme Aurélie Valognes ou Gaël Faye. Cette année, Le Livre de poche a organisé un concours dont la récompense était un cours particulier de boxe avec Niko Tackian (Toxique, 2017). L’éditeur multiplie en outre les produits dérivés. "Après le sac ananas du Livre de poche et le fouta rose offert par notre label de semi-poches Préludes, nous offrons un foulard aux motifs de la couverture du dernier roman réédité d’Aurélie Valognes, Minute, papillon!" déclare Véronique Cardi, la directrice du Livre de poche. Car c’est en s’appuyant sur la notoriété de certains auteurs que les éditeurs parviennent à fidéliser les lecteurs à la marque et à tirer tout le catalogue. Ils soignent ces romanciers en relookant encore et toujours leurs livres. Chez 10/18, Anne Perry et John Fante ont récemment eu droit à un coup de neuf. Après le rechartage des livres de Christine Angot et d’Olivier Adam, J’ai lu a quant à lui recharté les romans d’Anna Gavalda à l’aide des dessins d’Olimpia Zagnoli. Tout comme Folio qui a aussi choisi des illustrations, celles de Soledad Bravi pour "reproduire" la personnalité de David Foenkinos. Ce même souci de cohérence anime les éditeurs qui s’affairent à récupérer les droits de l’œuvre de leurs auteurs. Sabine Wespieser a ainsi pu éditer des textes de Nuala O’Faolain qui étaient jusqu’ici chez 10/18. Chez "Babel", les droits des ouvrages du dernier Goncourt d’Actes Sud, Eric Vuillard, sont aussi en passe d’être récupérés.

Réalisation de booktrailers

 

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L’enjeu pour les éditeurs de ce secteur ultra concurrentiel est d’être bien identifiés par les libraires et les lecteurs. Chez Points, "on travaille sur notre identité, notre image de marque. Et on essaie de revenir vers ce ton décalé qui a toujours été le nôtre", explique la directrice éditoriale Alice Monéger. La filiale du Seuil s’est démarquée avec une PLV "canapé" où les lecteurs pouvaient s’allonger pour lire en librairie. Elle a aussi investi à Noël les couloirs du métro à l’occasion des deux nouvelles rééditions de Don Winslow, Cartel et La griffe du chien. Sous l’injonction "suivez la ligne", les voyageurs devaient reconnaître une ligne de cocaïne, la drogue omniprésente dans les thrillers de l’auteur américain. "C’était aussi un appel aux fans de Narcos (Netflix), explique Alice Monéger. Les amateurs de séries pratiquent souvent du binge-watching, ils regardent les séries d’une traite. Tout comme les lecteurs de polars qui sont généralement des grands lecteurs". Même idée chez Folio, qui citait la série Homeland pour mettre en avant les deux volumes de DOA, Pukhtu primo et Pukhtusecundo.

C’est un autre levier exploré par les maisons de poche: guider le lecteur vers l’œuvre d’un auteur aux ventes plus confidentielles par le biais d’univers audiovisuels, plus proches du divertissement. Folio s’est lancé, tout comme Le Livre de poche, dans la réalisation de booktrailers, des bandes-annonces de romans avec un tel souci cinématographique qu’on pourrait penser qu’elles présentent un film. Dans le teaser du dernier roman de Rebecca Lighieri, Les garçons de l’été, Folio met en scène des jeunes personnages qui défient la mer sur leurs planches de surf. Une voix off vous plonge dans l’intrigue. L’éditeur finit ce film court par une promesse: "Vous lirez loin." La vidéo est notamment diffusée sur les réseaux sociaux. "On cible surtout des jeunes parce qu’ils sont les lecteurs de demain. Nous explorons de nouvelles méthodes avec des moyens différents pour mettre en valeur le plus de titres possible", souligne Anne Assous.

Autre moyen d’apporter un éclairage à davantage de livres: découper son catalogue par thématiques et créer des labels pour chacune. Au lieu de défendre tous les titres de la maison ensemble, on se concentre sur plusieurs "mini-catalogues". Une démarche dans l’esprit de J’ai lu, la filiale poche de Flammarion. "Après la hausse spectaculaire des ventes du Pouvoir du moment présent d’Eckhart Tolle en septembre dernier, nous avons lancé une campagne nationale où nous revendiquions notre place de leader dans le segment bien-être en poche", donne en guise d’exemple Dorothee Rothschild, responsable éditoriale du développement personnel chez J’ai lu. La filiale de Flammarion a ainsi décidé de s’appuyer sur les branches éditoriales sur lesquelles elle est bien installée pour se développer. En romance notamment où l’éditeur a pris 15% de parts de marché en valeur en 2016. Il proposera en mai un nouveau label de comédies romantiques baptisé LJ, et en juin "#Exclusif", une collection de romance signée par des femmes qui rebondiront sur l’actualité comme la Gay Pride ou la Coupe du monde de football.

Coups de cœur

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Chez Pocket aussi, "nous nous appuyons sur ce que nous savons faire", dit Marie-Christine Conchon, présidente d’Univers Poche. Après avoir remarqué un engouement en librairie autour de la littérature de montagne, l’éditeur a présenté l’offre "Aventures humaines" avec les livres de l’écrivain voyageur Sylvain Tesson, de l’amoureux du Grand Nord Nicolas Vanier, et aussi ceux de l’explorateur et animateur sud-africain Mike Horn. "C’est un genre qu’on sait alimenter. Si la littérature de montagne a toujours été populaire, la profusion d’émissions d’aventures à la télévision l’a remise sous les projecteurs", explique Carine Fannius, directrice éditoriale de 10/18 et de Pocket. La maison de poche joue aussi sur son image d’éditeur à petits prix et proposera en juin des rééditions de classiques comme les 600 pages de Du côté de chez Swann de Proust à 5 euros ou Les rêveries du promeneur solitaire de Rousseau à 2,50 euros. De son côté, Babel segmente aussi pour multiplier les stratégies de conquêtes du public. La collection d’Actes Sud a identifié toute une partie de son catalogue comme apte à la prescription et commence à développer les dossiers pédagogiques. "Nous réfléchissons à systématiser les relations avec les professeurs après que plusieurs de nos romans ont intégré des programmes", indique Marie Desmeures, éditrice chez Actes Sud et responsable de la collection de poche, qui prend l’exemple de la réédition de Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud qui a été la 7e meilleure vente de son catalogue l’an passé.

Enfin, pour se démarquer, les maisons de poches reprennent une pratique issue de la librairie, en estampillant certains titres comme "coups de cœur". Un sticker accolé à certains romans, comme Les enfants de Venise de Luca Di Fulvio, vient présenter aux libraires et aux lecteurs "les coups de cœur éditoriaux" de Pocket. J’ai lu propose un livre coup de cœur par mois à l’occasion de son 60e anniversaire, opération accompagnée d’une PLV dédiée. Le Livre de poche s’est, lui, associé au Furet du nord de Lille pour présenter en juin dernier "les 100 coups de cœur Livre de poche des libraires". Marie Desmeures, chez Babel, annonce les bons résultats obtenus après une "campagne informelle" menée par les représentants qui ont défendu leurs titres préférés auprès des distributeurs. Les nombreuses mises en avant des librairies ont remis en lumière des titres du fonds, dont Unna de Youri Rytkhéou qui a été réimprimé pour servir les réassorts.

Le poche en chiffres

Michel Bussi: "Les lecteurs reconnaissent mes livres grâce aux couvertures des poches"

 

Depuis quelques années, de gros vendeurs de livres, comme Gilles Legardinier ou Michel Bussi, publient des inédits en poche, souvent sous forme de recueils de nouvelles. Une manière d’assouvir la soif de leurs lecteurs, en proposant des nouveautés moins chères. Les explications de Michel Bussi.

 

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Michel Bussi - J’avais les droits de deux nouvelles qui avaient déjà été publiées. J’ai donc décidé de les rééditer tout en ajoutant quatre textes inédits afin d’en faire un livre. C’était la première raison. La deuxième relève du format lui-même, le poche étant moins cher et accessible. Si j’avais proposé ce titre en grand format, les lecteurs auraient pu penser que je les prenais en otage ou que je raclais les fonds de tiroirs.

Le recueil de nouvelles est un format qui se prête bien à l’édition de poche. Et il peut aussi, grâce à son prix, être un moyen de faire découvrir un auteur. Je l’ai remarqué lors des séances de signatures, les gens venaient avec trois, parfois quatre exemplaires à offrir à leurs proches et amis. Même phénomène avec les éditions collector de fin d’année, le soin apporté par les éditeurs est attirant, et le prix aussi. Ce format participe à l’échange, au partage. C’est d’ailleurs au poche que je dois mon succès. Le petit format d’Un avion sans elle a propulsé ma carrière.

L’exposition médiatique est moins intense lors d’une parution en poche. Il y a sûrement une volonté de ne pas suroccuper le terrain et de laisser ce travail au grand format. Néanmoins, des initiatives ciblées sont mises en place. Dans T’en souviens-tu, mon Anaïs ?, l’action se situe en Normandie. Un voyage de presse a été organisé là-bas et la couverture médiatique a surtout été locale.

Je suis un auteur comblé chez Pocket. Ils ont très vite compris mon univers et l’ont décliné dans une gamme d’origamis qui serpentent sur la couverture et qui sont facilement identifiables. D’ailleurs, les lecteurs reconnaissent mes livres grâce aux couvertures des poches. La charte graphique est aussi bien adaptée.

Les petites collections: elles ont tout d’une grande

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Si le marché du poche est dominé à 80% par les grands groupes, les collections des petits éditeurs ne se laissent pas abattre. Pour conforter leur catalogue en grand format, ces derniers mettent en avant leurs propres rééditions mais aussi des inédits. Laure Leroy, directrice de Zulma, réédite son fonds dans sa collection "Z/a", lancée l’année dernière. Elle revendique la vente de 60 000 volumes à petit prix signés par Hubert Haddad, Kei Miller ou Audur Ava Olafsdóttir entre autres. "La part du fonds est de 50 % environ, ce qui marque l’installation de la collection", estime-t-elle. Publier ses propres poches permet surtout de renforcer l’implantation de la maison d’édition en librairie. "Nous voulions gagner en visibilité, être sur les tables des libraires toute l’année, ce que le poche rend possible", indique Jérôme Dayre, directeur d’Inculte, qui a lancé fin 2017 sa collection de poche "Barnum" et lui-même ancien libraire.

Alice Déon, à La Table ronde, constate l’impact du poche sur la découverte d’un écrivain, ce qui permet de porter toute son œuvre. Elle applaudit les bonnes ventes des livres à petit prix dans sa collection "La petite vermillon" signés par Michel Bernard. L’auteur s’est fait remarquer avec son dernier livre, sur Jeanne d’Arc, Le bon cœur, paru en grand format en janvier, en même temps que le poche Deux remords de Claude Monet. Dans cette logique, Cambourakis récupère les droits de titres de Nikos Kazantzakis pour sa collection de poche. L’éditeur a publié cinq romans en grand format de l’écrivain grec disparu en 1957 et trois reprises en poche le 6 juin, dont Le jardin des rochers initialement paru au Rocher en 1991.

Systématiser l’inédit

Malgré un prix réduit, le poche peut contribuer sensiblement aux résultats d’une maison. La Découverte a réédité L’odyssée d’Homère traduit par Philippe Jaccottet, qu’il avait publié initialement en 2000 et qui était épuisé. L’éditeur enregistre une percée de 5 points dans le rayon grâce à ce texte, inscrit au programme des prépas scientifiques, qui s’est vendu à près de 60 000 exemplaires en 2017 selon GFK. Dans un autre registre, Bragelonne attribue sa progression en volume aux poches des labels Milady et Castelmore. Outre son chouchou feel-good, Jojo Moyes, le roman de Nadia Hashimi, La perle et la coquille, et le premier tome de la saga fantasy du Sorceleur dépassent chacun les 20 000 exemplaires vendus.

Ce potentiel du poche fait que les éditeurs de grands formats soignent de plus en plus les opérations de marketing et promotion de leurs petits volumes. Frédéric Martin au Tripode se félicite de l’organisation de ses "tapas littéraires". Autour d’un apéritif, les libraires présentent leurs cinq livres préférés en format poche de cette maison d’édition. "Le catalogue reste ainsi actif dans la durée", souligne-t-il.

Comme les grosses maisons de poches, les petites collections proposent des textes directement dans le format. Minuit a publié le 5 avril en "Double" un inédit de Laurent Mauvignier, Voyage à New Dehli, offert pour l’achat de deux ouvrages de cette collection de poche. Ces inédits sont plébiscités par les lecteurs, souligne Christophe Guias à "La petite bibliothèque Payot". Il cite la belle performance du Wagon plombé de Stefan Zweig, vendu à près de 12 000 exemplaires. Paru au moment des commémorations des révolutions de 1917, ce livre donne la version de l’auteur biographe sur le retour de Lénine en Russie.

Enfin, si l’inédit émaille de façon ponctuelle un catalogue, certains ont choisi de le systématiser. Le Sonneur a opté pour le format poche pour la collection d’inédits d’écrivains "Ce que la vie signifie pour moi", dirigée par Martine Laval, qui a publié avec succès en mars C’est aujourd’hui que je vous aime, de François Morel. Alexandrines constate aussi une belle implantation de sa collection "Le Paris des écrivains", créée en 2015, qui a trouvé son rythme de croisière et accueille son 20e titre le 9 juin, Le Paris d’Apollinaire de Philippe Bonnet.

Meilleures ventes: cartes redistribuées

Le classement GFK/Livres Hebdo des 50 meilleures ventes montre un recul de Pocket qui place 15 titres contre 21 l’année précédente. La maison d’Editis prend toutefois les deux premières marches du podium avec le livre phénomène de Raphaëlle Giordano (plus de 900 000 exemplaires vendus) et le dernier succès de Guillaume Musso, La fille de Brooklyn. C’est Le Livre de poche qui lui arrache la première place dans le classement avec 17 titres. Parmi les plus vendus, les livres d’Aurélie Valognes certes, mais aussi des titres du fonds comme La porte de Magda Szabo (47e) ou Une vie de Simone Veil (13e). Folio inscrit 6 titres au palmarès dont l’un de ses enjeux, En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, au 14e rang. J’ai lu tire son épingle du jeu avec son auteur phare Gilles Legardinier et son Premier miracle (33e) puis son fonds en développement personnel. Points affiche deux titres dont Le grand marin de Catherine Poulain. Parmi les outsiders, Robert Laffont fait son entrée avec La servante écarlate de Margaret Atwood (28e), remise au premier plan grâce à la série sur HBO. De Fallois se maintient toujours avec les rééditions de Joël Dicker, en 19e et 38e positions.

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