Rentrée universitaire

Dossier Rentrée universitaire : le règne du bref

Etudiants devant la faculté de Jussieu, Paris. - Photo Olivier Dion

Dossier Rentrée universitaire : le règne du bref

Dans un marché universitaire structurellement en recul, qui voit les manuels à l’ancienne résister difficilement, les éditeurs continuent d’adapter leur offre en développant les petits ouvrages de révision et d’entraînement. Les expérimentations numériques se poursuivent, mais les étudiants restent fidèles au papier, dont ils ne se détournent que pour des services digitaux qui leur apportent une plus-value tangible.

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Par Charles Knappek,
Créé le 18.09.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 18.09.2015 à 10h34

Les éditeurs ne lâchent rien. Le marché universitaire reste toujours aussi tendu pour tous qui constatent de nouveaux reculs dans la plupart des disciplines. Mais de nombreuses initiatives sont prises pour contrecarrer la tendance. Cela passe par de nouvelles collections davantage tournées vers la révision et l’entraînement, mais aussi par une communication plus directe auprès de la cible étudiante pour tenter de la faire revenir en librairie. Le secteur s’est également remodelé : après l’intégration d’Armand Colin au sein de Dunod en 2014 et le rachat la même année de Belin par le réassureur Scor (déjà sauveur des Puf en 2013), le mouvement de concentration s’est poursuivi cette année avec la reprise de De Boeck Supérieur, branche universitaire de l’éditeur belge De Boeck, par le groupe Albin Michel. S’il est encore un peu tôt chez De Boeck Supérieur pour dresser un bilan de l’entrée de la marque dans le giron d’Albin Michel, le directeur éditorial Frédéric Jongen se réjouit d’avoir intégré "un groupe disposant d’un projet éditorial sérieux". "Nous avons identifié les complémentarités existant entre le catalogue de notre maison et celui du pôle éducation d’Albin Michel [Magnard-Vuibert, NDLR] ", précise Frédéric Jongen.

"Les étudiants demandent à la fois des ouvrages de référence et de révision. […] Ce qui est loin d’être toujours le cas dans l’universitaire."Marilyse Vérité, Foucher- Photo OLIVIER DION

Chez Dunod, le repositionnement de la marque Armand Colin s’oriente vers une plus grande place accordée à la méthodologie et à la révision avec des titres dont la lisibilité a été, ou sera, repensée. Sous sa propre marque, Dunod va dans le même sens. L’éditeur poursuit notamment le développement de la collection "Openbook", lancée l’an dernier et destinée au niveau licence/bachelor. De six titres à la rentrée 2014, la série passe à 10 pour cette rentrée 2015. "Le niveau bachelor est en expansion, même dans les grandes écoles de commerce comme HEC ou l’Essec, dépeint Florence Martin, directrice de la communication chez Dunod. "Openbook" est une collection nouvelle génération, qui se rapproche des livres scolaires, avec une mise en page très aérée, des focus, des points clés, ou encore des résumés."

 

Des collections resserrées

En droit (1), la tendance est plus que jamais aux petits formats. Ellipses, en particulier, crée la nouvelle collection "Plein droit", dont huit premiers titres ont été publiés en juillet. "Les ouvrages sont constitués de fiches scindées en deux parties. La première est consacrée à de la révision synthétique, la deuxième à de l’entraînement", indique Manon Savoye, directrice éditoriale chez Ellipses. Elle ajoute : "Le droit est un marché universitaire difficile, mais il fonctionne davantage sur la prescription et offre des possibilités intéressantes car les examens y sont discriminants. Pour leurs révisions, les étudiants sont à la recherche d’ouvrages moins académiques, plus digestes." Chez Gualino (groupe Lextenso éditions), éditeur spécialisé dans la publication de petits ouvrages de révision et d’entraînement, pas moins de trois nouvelles collections sont lancées pour cette rentrée 2015 : "Amphi LMD" propose des manuels destinés aux étudiants de licence, conçus pour faciliter l’acquisition des connaissances d’une matière en conformité avec le cours dispensé en amphithéâtre et le programme d’examen. Neuf titres sont à paraître d’ici à la fin de l’année. La collection "Annales d’examens & Sujets d’actualité Corrigés commentés", avec des titres vendus 7,90 euros, place quant à elle l’étudiant dans l’optique de ses partiels avec un ouvrage par unité d’enseignement semestriel de licence. Enfin, la collection "Carnet d’entraînement", avec beaucoup de titres publiés en éco-gestion, a pour vocation de préparer les étudiants aux épreuves.

De son côté, Nathan poursuit le renouvellement de la collection de 54 petits ouvrages de culture générale "Repères pratiques", dont les couvertures avaient fait l’objet d’une refonte en 2013. Pour cette rentrée, l’éditeur a publié 15 nouvelles éditions traitant de sujets aussi variés que la fiscalité, l’économie ou la géographie. Trois nouveautés sont également parues en août, parmi lesquelles deux titres destinés à accompagner l’étudiant au-delà de son cursus : Trouver un stage ou un emploi et Créer son entreprise. "Cette collection se situe dans une approche très pratique, mais elle conserve son aspect culture générale. Cela lui permet de transcender les programmes et de s’adresser à une cible plus étendue", explique Xavier Le Meut, directeur du département technique supérieur formation adulte chez Nathan. Si les ventes de "Repères pratiques" sont "plutôt satisfaisantes ", l’éditeur réfléchit encore à la meilleure façon de valoriser les titres. "On se demande s’il faut présenter la collection d’un seul bloc en librairie pour gagner en impact visuel ou au contraire répartir les titres dans les rayons en fonction de leur catégorie. C’est une vraie question pour nous." Aux frontières de l’universitaire, Nathan s’attache également à défendre la langue française avec Le guide de l’orthographe, dans la collection "Guide", essentiellement dédiée aux classes préparatoires. Ellipses n’est pas en reste et annonce pour novembre deux titres dans la même thématique : 20 minutes d’orthographe par jour et Français : premiers secours.

En sciences humaines et sociales (SHS), le marché est compliqué, mais présente quelques points de résistance. Au-delà des disciplines, c’est surtout la renommée d’un titre et ou celle de son auteur qui permettent à tel ou tel ouvrage de continuer à tirer son épingle du jeu. Dans la collection "Carré histoire", chez Hachette Supérieur, Absolutisme et Lumières se vend à "plus de 2 500 exemplaires par an depuis dix ans ", assure la directrice éditoriale, Julie Pelpel-Moulian. Dans les collections "HU Histoire" et "HU Langues", l’éditeur cultive la bonne assise de son fonds.

Evolution des potentiels

Mais Hachette Supérieur n’en annonce pas moins quelques nouveautés pour compléter son catalogue. La fin du Moyen Age paraît en "Carré histoire" tandis que deux nouveautés sont annoncées en "HU Géographie" : Etats et régions du monde, aussi bien destiné aux étudiants en université qu’aux élèves en deuxième année de prépa ; et Géographie urbaine, pour les étudiants de fin de licence et au-delà. " Géographie urbaine s’adresse à un public que nous avons encore peu touché, à savoir les filières intéressées par l’urbanisme, souligne Julie Pelpel-Moulian. Il peut s’agir d’étudiants en école d’architecture, mais aussi de candidats à certains concours administratifs." Aux Puf, Dictionnaire de l’historien et Dictionnaire de la pensée écologique sont des ouvrages lourds qui "font l’événement", assure Anne-Laure Genin, éditrice chargée des manuels universitaires.

Au-delà des indétrônables classiques, les éditeurs doivent aussi occuper le terrain avec des titres au potentiel plus réduit. Ellipses, notamment, maintient une présence significative en lettres, en philosophie et en langues, mais "moins en sociologie". Pour cette rentrée, l’éditeur publie par exemple en lettres classiques l’ouvrage hors collection 100 % latin. "Tant que nous le pouvons, nous continuons à proposer des nouveautés en lettres classiques, c’est important pour nous", insiste Manon Savoye. Pourtant, le segment est "sinistré", regrette Anne-Laure Génin, aux Puf. "C’est surtout vrai en licence où les étudiants achètent uniquement les œuvres et très peu les études littéraires. Certains de nos titres ont été retirés car il n’y a plus de marché."

En réaction, Ellipses s’appuie en parallèle, depuis plusieurs années, sur une ligne de biographies historiques qui séduisent tout autant les étudiants en histoire que le grand public cultivé. C’est ce positionnement que cultive également La Documentation française avec la petite collection "Doc’en poche", lancée en 2012 et "série la plus dynamique du catalogue", selon Julien Winock, responsable du département de l’édition à La Documentation française. Dans ses autres collections, l’éditeur a été conduit à revoir à la baisse le calibrage de ses titres. C’est notamment le cas pour la collection "Les études", passée de 400 pages en moyenne à seulement 250. La Documentation française y publie justement Enseignement supérieur et recherche en France : une ambition d’excellence. "C’est un ouvrage très lisible qui fait le point sur les nouveautés du système de l’enseignement supérieur depuis une quinzaine d’années et l’apparition du classement Pisa", indique Julien Winock. Dans la même logique, les Puf ont publié le 2 septembre Les historiens français en mouvement, qui dresse un état de lieux de la recherche historique dans l’Hexagone.

A contre-courant de la tendance générale, aux Puf toujours, la collection "Licence", créée en 2008, va être intégrée dans "Quadrige manuels". "La bascule se fait progressivement. Nous avons toujours des titres de "Licence" sur le marché, mais à terme cette collection va disparaître", annonce Anne-Laure Génin. Les Puf ont légèrement réduit la production pour se concentrer sur des titres à plus fort potentiel et développent les parutions hors collection depuis l’arrivée de Monique Labrune à leur tête en 2012.

L’expertise-comptable : un cas à part

Certains marchés, comme l’expertise-comptable avec le diplôme de comptabilité et de gestion (DCG) et le diplôme supérieur de comptabilité et de gestion (DSCG), restent relativement préservés. "En expertise-comptable, nous avons une vraie récurrence, avec des éléments d’actualité très forts qui obligent à refondre très régulièrement les titres", indique Xavier Le Meut, chez Nathan. "Les étudiants achètent encore massivement car il y a beaucoup d’échecs, confirme Florence Martin, directrice de la communication chez Dunod. Et comme il s’agit d’une profession assermentée, on ne peut pas descendre en deçà d’un certain niveau." Chez Foucher, la responsable de l’enseignement supérieur et du développement numérique, Marilyse Vérité, signale que "les étudiants demandent à la fois des ouvrages de référence et de révision". "Ce qui est loin d’être toujours le cas dans l’universitaire", précise-t-elle. Pour autant, l’éditrice note également un certain fléchissement des ventes de gros manuels en licence au profit des livres plus synthétiques. A l’inverse, les étudiants de master restent de gros consommateurs d’ouvrages plus complets.

Un nouvel acteur

L’attrait de l’expertise-comptable est tel que Vuibert se lance à son tour sur le marché avec six premiers titres couvrant le programme du DCG. "Cette collection repose sur un concept inédit de préparation complète à l’épreuve, indique François Cohen, directeur de Vuibert. Les titres proposent un cours visuel synthétique, un maximum d’applications, de cas et de sujets d’entraînement tous intégralement corrigés." Une manière pour l’éditeur de compléter une offre en expertise-comptable jusqu’à présent éclatée dans diverses collections ou sous la forme de livres publiés hors collection. L’an dernier, Vuibert avait par exemple misé sur La compta pour tous, qui a connu "un démarrage correct, mais sans rencontrer le succès de Comprendre toute la finance ", selon François Cohen.

Dans les filières courtes, Nathan avait lancé à la rentrée dernière une collection de tout-en-un intitulée "Réflexe", à destination des IUT en techniques de commercialisation, gestion des entreprises et administration. "C’était un challenge car nous nous adressons à une cible de plus de 100 000 étudiants répartis dans 115 IUT", indique Xavier Le Meut. Riche de quatre premiers titres, cette gamme a "bien fonctionné" pour sa première année et Nathan poursuit son développement pour cette rentrée avec quatre ouvrages supplémentaires. En revanche, Dunod annonce qu’il se concentrera sur les formats courts dans les BTS de comptabilité-gestion. "En BTS, l’étudiant ne s’achète pas un livre tout seul, il évolue dans un milieu scolaire et suit la prescription. Or, nous ne sommes pas un éditeur scolaire, c’est moins notre savoir-faire", avance Florence Martin. L’éditeur fait également valoir que ce BTS est réservé aux bacheliers STMG n’ayant pas les mêmes prérequis que les étudiants issus de bacs généraux. "C’est encore plus compliqué de les faire travailler sur de gros manuels. Nous préférons donc nous concentrer sur des formats qui leur conviennent."

Cette année, Foucher publie une nouvelle édition d’Exporter, qui est un ouvrage de référence pour les étudiants en commerce international. "C’est la bible de son secteur, que nous mettons à jour tous les deux ans, indique Marilyse Vérité. Il est réalisé en partenariat avec Business France [ex-Ubifrance, NDLR]." De son côté, Vuibert répond présent avec de nouvelles éditions attendues de plusieurs de ses manuels de référence comme Ressources humaines, somme de plus de 600 pages dont la 15e édition est parue en juillet. L’éditeur compte aussi sur la 2e édition du Dictionnaire des ressources humaines, qui s’est "vite imposé comme une référence" selon François Cohen. Chez Dunod, les "livres en or" Manageor et Communicator font à nouveau l’événement. De la même façon, les nouvelles éditions d’ouvrages de référence comme Principes d’économie ou Marketing management, renforcés par l’offre en ligne MyLab (lire par ailleurs) permettent à Pearson de toucher une large audience.

Dans les domaines scientifique et médical, les grosses sommes continuent de tirer les ventes. De Boeck publie en septembre la 5e édition de Neurosciences. "Il coûte 75 euros, c’est la locomotive de sa collection. On en vend plus de 2 000 par an", assure Frédéric Jongen. Chez Dunod, un titre comme Chimie organique figure toujours sur la liste des best-sellers. Ellipses, de son côté, conserve des positions fortes sur plusieurs marchés de niche. "Nous avons pour spécificité d’être présents sur des créneaux peu couverts par les éditeurs, rappelle Manon Savoye. Ce sont notamment les sciences à l’université avec la collection "Références sciences" qui comprend maintenant près de 100 titres. Ce sont aussi les filières technologiques de l’enseignement supérieur à travers "Technosup"."

 

Réformes de la filière santé

Si le marché de la Paces (2), en première année de médecine, est morose, celui des Epreuves classantes nationales (ECN) devrait être porté par la réforme du concours qui se déroulera sur tablettes dès 2016. Pour autant, "les étudiants sont frileux, on les sent un peu perdus, observe Manon Savoye. Tout le monde attend de voir la manière dont les choses vont évoluer." Ellipses a noué un partenariat avec la société e-Formed autour du site Easyecn.com. Opérationnelle depuis la fin de l’hiver, cette plateforme est perçue comme un "outil complémentaire" du papier.

Le P-DG de Vernazobres-Grego, , Patrick Bellaïche, signale tout de même que la réforme des ECN, qui s’est aussi traduite par une modification des programmes, "a conduit à refondre l’ensemble des ouvrages" et devrait donc dynamiser les ventes. Un sentiment que partage Manuela Boublil-Friedrich, directrice du pôle livres-acquisition chez Elsevier Masson. La maison d’édition médicale a anticipé la réforme en inaugurant l’an dernier la collection "ECN intensif", adaptée aux nouveaux programmes. Elle va lancer un nouveau site consacré aux ECN permettant aux étudiants d’évaluer leurs scores et qui proposera des dossiers en ligne. Développée en interne, cette plateforme dont le nom n’avait pas encore été finalisé durant l’été sera adaptée aux examens sur tablette, ce qui n’est pas le cas du site existant (e-ecn.com). Ce dernier est accessible en couplage avec les ouvrages de la collection "Les référentiels des collèges".

"Le marché du diplôme infirmier se développe très bien", assure pour sa part Marilyse Vérité, chez Foucher. Pour la rentrée, l’éditeur publie des nouvelles éditions dans la série Tout le semestre, dont l’objectif est de permettre aux étudiants de réviser l’intégralité de leurs unités d’enseignement par semestre. Foucher complète cette année son offre avec des fiches mémo, également par semestre. "Nous avons installé en librairie des présentoirs qui rassemblent les Tout le semestre, avec d’un côté les fiches mémo et de l’autre côté les QCM et les QROC", souligne Marilyse Vérité.

(1) Voir le dossier "Droit" publié dans LH 1052, du 4.9.2015.

(2) Première année commune aux études de santé.

Le livre universitaire en chiffres

Chez Dunod, Armand Colin entame sa mue

 

Plus d’un an après la fusion d’Armand Colin avec Dunod au sein du groupe Hachette, la marque spécialisée dans les sciences humaines connaît ses premières évolutions.

 

Florence Martin- Photo OLIVIER DION

Au n° 5 de la rue Laromiguière, à Paris, siège historique de Dunod où les équipes d’Armand Colin ont emménagé après leur fusion avec l’"éditeur de savoirs", les premiers effets du rapprochement sont désormais visibles. "Nous commençons à nous approprier les fonds Armand Colin, indique la directrice de la communication de Dunod, Florence Martin. Avec les deux marques, nous touchons désormais 9 étudiants sur 10, et toutes les matières hormis le droit et la médecine après la Paces." Le site Web d’Armand Colin a été refondu en mai dernier tandis que l’espace sur lequel les enseignants peuvent commander leurs spécimens en ligne est commun aux deux marques depuis le mois de juin. "Les enseignants Armand Colin avaient besoin d’être captés, or nous disposons d’une équipe pédagogique que n’avait pas Armand Colin et qui va voir les professeurs d’histoire, de lettres, etc., explique Martine Pierrard, responsable communication chez Dunod. Nous nous efforçons de dynamiser la prescription par ce biais et on observe que beaucoup de professeurs s’inscrivent."

Sous la marque Armand Colin, les collections "Cursus" et "128" ont bénéficié d’une nouvelle charte graphique pour leurs couvertures. Seule la collection "U" a été laissée en l’état, du moins pour le moment. L’éditeur a également consenti un effort financier en baissant de "10 % en moyenne" le prix des "Cursus". "C’est davantage en phase avec ce que l’on peut observer sur le marché, c’était nécessaire", commente Florence Martin. En revanche, les "128" ont conservé leur tarif d’origine, déjà inférieur à 10 euros. A moyen et à long terme, de plus grands bouleversements sont à prévoir, en particulier pour "Cursus". "Cette collection propose aux étudiants ce qu’ils ont besoin de savoir en licence, mais on n’y trouve pas de méthodologie telle qu’elle se rencontre dans des manuels de type scolaire. Nous allons certainement renforcer cet aspect car les étudiants ont changé, ils ont aujourd’hui de nouveaux besoins." La refonte de "U" s’annonce en revanche plus ardue. "On trouve en "U" de très grands auteurs. C’est une collection qui a une valeur patrimoniale ; ses titres ne sont pas des manuels au sens classique du terme, mais proposent plutôt l’état de l’art d’une discipline à un moment donné. Nous réfléchissons beaucoup avant d’y toucher", souligne Florence Martin.

Enfin, en direction des classes préparatoires, Armand Colin a lancé une nouvelle collection intitulée "Destination grandes écoles". Deux premiers titres sont parus en mai. Pour la rentrée, l’éditeur a porté la production à une dizaine d’ouvrages couvrant essentiellement les programmes des IEP et des classes préparatoires scientifiques.

Le marketing passe à la vitesse supérieure

 

L’étudiant est un client difficile à capter. Les éditeurs multiplient les initiatives pour aller à sa rencontre et le faire venir en librairie.

 

"C’est la première fois que nous lançons une campagne de cette importance."Emmanuelle Filiberti, Lextenso éditions. - Photo OLIVIER DION

Les éditeurs rivalisent d’imagination pour tisser ou continuer d’entretenir des rapports privilégiés avec les étudiants. Dunod avait lancé à la rentrée 2014 la communauté Défi Campus, réunissant les marques Dunod et Armand Colin, qui propose des animations autour du monde universitaire. "L’idée est d’attirer les étudiants et de leur faire connaître nos livres. Nous recevons des étudiants qui montent des projets humanitaires et nous leur proposons de les aider", indique Martine Pierrard, responsable communication chez Dunod. Plutôt que de parler de livres aux étudiants, l’éditeur préfère "les amener à découvrir" ses valeurs. "On s’inscrit dans une logique communautaire. C’est compliqué à faire parce que les étudiants sont très sollicités et parce que la démarche doit être suffisamment distanciée pour être bien perçue", ajoute Martine Pierrard. Dunod organise également un jeu concours et incite les étudiants à y participer à travers des opérations d’emailing et d’affichage dans les universités. Les affiches, pourvues d’un QR code, sont également disposées dans les librairies.

En droit, plus particulièrement, les initiatives sont nombreuses. Les Puf organiseront par exemple des rencontres avec leurs auteurs au Salon du livre juridique le 10 octobre prochain. La manifestation donnera lieu à la remise de packs étudiants offerts lors de jeux concours pilotés par les organisateurs du salon, le Club des juristes et le Conseil constitutionnel.

Opérations séduction

LexisNexis a organisé cette année une trentaine de salons du livre juridique dans les facultés de droit. "Le principe est de monter un partenariat avec les librairies locales, lesquelles viennent avec l’ensemble de leur offre en droit à la rencontre des étudiants. Tous les éditeurs sont conviés à cette initiative", explique Caroline Sordet, directrice éditoriale chez LexisNexis. De son côté, Lextenso éditions déploie une campagne de communication auprès des étudiants de première année en leur offrant un ouvrage qui reprend la Constitution et les fondamentaux de la Ve République. "C’est la première fois que nous lançons une campagne de cette importance", précise Emmanuelle Filiberti, P-DG de Lextenso éditions. Enfin, Dalloz organise un jeu concours réservé aux acheteurs de ses codes juridiques classiques (par opposition aux codes en édition limitée, vendus moins cher) : tous ceux qui auront activé les services numériques de leur code entre le 19 août et le 31 décembre participeront à un tirage au sort pour gagner 50 iPad. L’éditeur renouvelle également le Dalloz Tour, qui lui permet de visiter une trentaine de facultés en partenariat avec un libraire. L’an dernier, Dalloz offrait un sac et un carnet aux étudiants. Cette année, il s’agira à nouveau d’un carnet, mais complété par des Post-it et un Stabilo.

Pour Xavier Le Meut, chez Nathan, il est primordial de communiquer auprès de ses cibles, à condition de respecter certaines règles : "Les réseaux sociaux nous permettent de dialoguer en direct avec les étudiants, mais ce sont des outils à manier avec beaucoup de précaution quand on est une entreprise." Il ajoute : "C’est pour cette raison que Nathan parle aux étudiants via des étudiants ou, si ce n’est pas le cas, via des personnes qui sont restées proches de cet univers. Nous avons des pages Facebook animées par des populations très proches des étudiants : des stagiaires, de jeunes salariés…, qui connaissent les préoccupations de notre cible."

Bundle or not bundle ?

 

Le couplage papier-numérique est encore diversement apprécié, voire compris, par les étudiants. Les éditeurs ajustent leurs offres en conséquence.

 

"On essaie de comprendre pourquoi certains livres suscitent un engouement dans leur version numérique et pas les autres, nous sommes toujours dans une phase d’apprentissage."Xavier Le Meut, nathan- Photo OLIVIER DION

Les éditeurs sont de plus en plus nombreux à proposer leurs ouvrages en bundle, c’est-à-dire avec une version numérique incluse dans le livre papier. Mais ils peinent encore à identifier dans quelles circonstances une telle offre est considérée par les étudiants comme apportant une réelle plus-value. Ainsi, précurseur sur le bundle, Nathan a abandonné la terminologie "Livre nomade" et opte désormais pour un nouveau logo sur les couvertures de ses ouvrages qui indique simplement "Offert livre en ligne". "Nous passons d’un livre nommé à un livre désigné car nous nous sommes rendu compte que le concept de "Livre nomade" n’était pas toujours compris", décrypte Xavier Le Meut, directeur du département technique supérieur formation adulte chez Nathan. Il ajoute : "Le taux d’activation s’élève à 14 % en moyenne, mais quelques titres atteignent 50 %. On essaie de comprendre pourquoi certains livres suscitent un tel engouement dans leur version numérique et pas les autres, nous sommes toujours dans une phase d’apprentissage."

 

Des stratégies composites

La méthode empirique est également de rigueur chez Dunod qui a décidé, pour le moment, de ne pas systématiser l’offre bundle sur ses "Livres en or". Si le Mercator paru l’an dernier comprenait bien une version numérique incluse, ce n’est pas le cas cette année pour le Manageor et le Communicator. Malgré un taux d’activation moyen "plutôt satisfaisant", l’arrêt - provisoire - du couplage papier-numérique est justifié pour diverses raisons par Dunod : "La principale est que les lecteurs ne sont pas toujours satisfaits de la version numérique, explique Florence Martin, directrice de la communication. Ils trouvent que c’est compliqué à télécharger, de plus l’accessibilité reste un souci, surtout en fac. Enfin, cela coûte cher d’insérer un code à gratter dans le livre. "

Chez De Boeck, le directeur éditorial Frédéric Jongen dresse pour sa part un bilan "satisfaisant" de l’offre bundle "Noto" lancée l’an dernier, même si "le Noto a encore une valeur d’outil marketing, promotionnel, convient Frédéric Jongen. On ne sent pas une véritable demande des étudiants, ils achètent l’ouvrage pour sa version papier avant tout. Le code à gratter ouvrant droit à la version numérique est davantage perçu comme un bonus." Environ 175 titres du catalogue De Boeck comprennent une version Noto, la plupart du temps homothétique, mais seuls 10 % proposent des versions numériques enrichies.

Pour Florence Young, directrice marketing chez Pearson, c’est précisément quand un ouvrage propose des services numériques complémentaires qu’il prend tout son sens. Même si cela dépasse alors le cadre du simple bundle pour se traduire par l’accès à un site compagnon. L’éditeur a ouvert depuis mai 2013 la version en langue française de sa plateforme MyLab, laquelle concerne désormais une quinzaine d’ouvrages (contre plusieurs dizaines en langue anglaise). MyLab contient une classe virtuelle en ligne qui permet aux étudiants de communiquer avec leur enseignant, des quiz d’autoévaluation, des outils d’apprentissage et de révision ou encore des cas vidéo. "Le taux d’activation est très élevé quand l’ouvrage est utilisé en cours, en particulier quand l’enseignant met en place une classe inversée, explique Florence Young. Les étudiants doivent lire le livre et utiliser les compléments pédagogiques du MyLab avant de se rendre en cours. "

Ressources additionnelles

L’offre MyLab, qui concerne surtout des ouvrages prescrits dans les écoles de management et de commerce, ouvre droit à une licence de durée variable. Pour Marketing management de Philip Kotler, "bible dans son domaine" et dont la 15e édition est parue le 4 septembre, la partie MyLab est par exemple accessible pendant trois ans. "Cela correspond à la période d’utilisation pendant les études, décrypte Florence Young. En général, on ne descend pas en dessous de deux ans. " De la même façon chez De Boeck, des sites compagnons peuvent être préférés à la seule version bundle. "Nous publions beaucoup de traductions et, quelquefois, l’éditeur d’origine préfère conserver le site Web associé plutôt que de passer dans le système Noto", indique Frédéric Jongen. Il faut dire que les sites compagnons constituent un argument de vente autrement plus visible pour les étudiants, mais aussi leurs enseignants.

Avec la nouvelle édition du Ramses, Dunod y vient à son tour : "Nous proposons des vidéos téléchargeables via un QR code présent en quatrième de couverture, c’est une première pour ce livre, explique Florence Martin. On constate que les gens se connectent beaucoup aux vidéos proposées avant l’achat car ils voient le QR code dans la librairie. C’est un livre qui devient hybride." Chez Pearson, Florence Young conclut : "Nous préférons investir davantage de ressources sur un même ouvrage en proposant non seulement des ressources complémentaires mais aussi de vrais outils d’e-learning. Les investissements sont plus importants, mais ils permettent d’obtenir de meilleurs résultats. Nos consultants dans les écoles se démènent, la prescription atteint un bon niveau et les MyLab sont bien utilisés. L’an dernier, c’était moins dynamique."

Les éditeurs publics visent plus large

 

Les éditeurs publics cherchent à enrichir leur catalogue avec des titres susceptibles d’attirer une audience plus large, en particulier étudiante. Certains s’appuient sur des collections de vulgarisation et développent dans le même temps les coéditions avec des éditeurs privés.

 

"Nous sommes là pour publier les textes qui ont besoin de l’impression publique pour exister, et aussi pour faire émerger les auteurs."Emmanuel Désveaux, éditions de l’EHESS- Photo OLIVIER DION

Tiraillés entre leur mission de service public, qui les conduit à publier des ouvrages aux tirages confidentiels réservés aux chercheurs et aux doctorants, et leur désir de toucher une plus large audience avec des titres plus accessibles, les éditeurs publics de sciences humaines et sociales (SHS) s’efforcent de développer de nouvelles collections ou de multiplier les coéditions. Ce dernier biais, en particulier, leur permet de conserver une partie de leurs auteurs. "Ceux qui savent vulgariser préfèrent en général publier ailleurs, par exemple dans la collection "Science ouverte" du Seuil. La coédition nous permet parfois de conserver un lien avec leurs publications plus grand public", décrypte Jean-Marc Rohrbasser, président du comité de lecture des collections aux éditions de l’Ined (Institut national des études démographiques). L’éditeur, par exemple, a coédité avec Armand Colin en 2011 un Dictionnaire de démographie et des sciences de la population. Aux éditions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), la coédition est aussi, de longue date, entrée dans les mœurs. Avec Gallimard et le Seuil, la maison publie régulièrement dans la collection "Hautes études" les auteurs de son catalogue qui jouissent du meilleur potentiel commercial. Depuis l’an dernier, elle collabore également avec Dalloz autour de la collection "Grief". "Nous sommes une maison d’édition publique et nous n’avons pas vocation à faire des bénéfices, rappelle Emmanuel Désveaux, directeur des éditions de l’EHESS. Nous sommes là pour publier les textes qui ont besoin de l’impression publique pour exister, et aussi pour faire émerger les auteurs. Si ceux-ci trouvent ensuite leur place dans l’édition privée, c’est que nous avons rempli notre mission."

 

La recette gagnante

Cependant, "la volonté des éditeurs publics de toucher une cible plus étendue, à la fois universitaire et généraliste, est une tendance de fond", juge Agnès Belbezet, nouvelle directrice des éditions de l’Ined. A tel point qu’ils sont de plus en plus nombreux à vouloir se doter de leur propre collection grand public. Mais publier de la vulgarisation sans s’adosser à un éditeur privé reste compliqué. "Nous avons récemment tenté de créer une collection de vulgarisation, mais les chercheurs n’ont pas suivi, ils préféraient publier ailleurs", regrette le directeur d’une maison. Aux éditions de l’Ined, le projet d’une série de livres d’entretiens avec des chercheurs du catalogue a été un temps d’actualité, mais n’a pas encore abouti. "Nous n’avons pas abandonné l’idée, mais nous cherchons encore la bonne formule, précise Jean-Marc Rohrbasser. Il faut du savoir-faire, la vulgarisation est un métier."

Une telle stratégie est pourtant possible. En témoigne CNRS éditions qui a adopté un nouveau positionnement avec l’arrivée à sa tête en 2011 de Jacques Baudouin et le lancement de la collection de poche "Biblis". L’éditeur y a publié une centaine de titres, dont beaucoup d’inédits, qui se vendent en moyenne entre 1 000 et 2 000 exemplaires. "Il y a un public pour des livres d’accès relativement aisés sur des thèmes ou des personnages pas toujours bien explorés", jugeait en janvier dernier Jacques Baudouin (1). Les dernières publications (L’Amérique des frères Coen, Les emblèmes de la République ou encore Vies et morts d’Antonin Artaud) témoignent de l’éclectisme de la production.

Dans la collection "En temps & lieux", les éditions de l’EHESS travaillent à la conception de livres qui seraient des "readers" très volumineux, avec un papier plus fin, autour d’un auteur. En janvier, elles publieront dans cette optique Abbott et l’école de Chicago. "Notre analyse est que la prescription sera plus forte pour ce type d’ouvrages, explique Emmanuel Désveaux. Je ne pense pas que l’étudiant ait toujours envie d’aller sur Internet, c’est bien d’avoir quelque chose de ramassé sur un auteur. Ce sont des ouvrages plus polyvalents, avec plusieurs portes d’entrée, à l’américaine."

Les éditions de l’Ined confirment elles aussi leur "forte envie" de développer les publications vers un public élargi (étudiants plus jeunes et grand public cultivé), "car la démographie traverse les problématiques de la société autour de thématiques comme le mariage ou la santé publique, contextualise Agnès Belbezet. Ma mission est d’accroître la diffusion via de nouvelles lignes éditoriales, la coédition, le numérique, tout en développant notre présence sur les salons et les congrès de démographie." Illustration de cette volonté d’ouverture, les éditions de l’Ined célèbrent en 2015 les 70 ans de l’institut et publient à cet effet en novembre Bébés, familles et cartes postales de 1900 à 1950.

(1) Voir le dossier "Histoire" dans LH 1027, du 30.1.2015.


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