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Dossier Sport : nostalgiques et numériques

OLIVIER DION

Dossier Sport : nostalgiques et numériques

L'Euro de football et les jeux Olympiques de Londres n'y changeront rien : les éditeurs tournent de plus en plus le dos à l'actualité sportive, aux retombées éditoriales aléatoires, pour investir dans le traitement des valeurs sûres héritées du passé. Sur un marché somme toute plutôt porteur, l'innovation passe surtout par le développement des compléments numériques à l'offre imprimée.

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Par Alain Mercier,
Créé le 15.12.2014 à 13h03 ,
Mis à jour le 13.02.2015 à 11h57

Curieux hasard de l'histoire. A la mi-mars, alors que le XV de France version Philippe Saint-André se prenait les pieds dans le tapis du Stade de France face à une imprévisible équipe d'Angleterre (22 à 24), le recueil de souvenirs signé Marc Lièvremont grimpait quatre à quatre les marches du classement des meilleures ventes. Cadrages et débordements, sorti un mois plus tôt aux éditions de La Martinière, a constitué l'une des bonnes surprises de la fin de l'hiver en s'installant dans le Top 20 des meilleures ventes d'essais. "La preuve que l'ancien sélectionneur des Bleus bénéficie d'un réel capital sympathie auprès du public français, suggère Jean-Louis Fetjaine, l'éditeur de cet ouvrage réalisé avec la collaboration du journaliste Pierre Ballester. Nous sommes les premiers étonnés de sa réussite commerciale. Mais le bouquin sait mêler les révélations sur la Coupe du monde 2011, les valeurs du rugby, la tactique de jeu... Il a touché un lectorat qui dépasse le cadre du sport."

"Selon Ipsos, le sport et les jeux représentent 8,5 % en volume du secteur du livre pratique. Il nous a donc semblé pertinent d'y investir un peu plus, avec quatre nouveautés par an." ANNE LE MEUR, HACHETTE PRATIQUE- Photo OLIVIER DION

Le genre sportif deviendrait-il à la mode en librairie ? Il ne semble en tout cas pas touché par la crise, et résisterait même plutôt bien au gros temps. Hugues de Saint-Vincent, P-DG d'Hugo & Cie, fier de s'autoproclamer leader du marché avec 36 nouveaux titres au catalogue en 2012, revendique une croissance de 10 % l'an passé. "Et nous espérons tripler cette performance cette année", lâche-t-il. Grégorie Lartigot, directeur marketing-vente chez Amphora, se frotte les mains devant la courbe de ses chiffres. "La maison se porte bien, et même très bien, assure-t-il. Nous sommes en croissance régulière depuis dix ans, avec une hausse de 6 % l'an dernier."

"Nous avons la volonté très affirmée de fortifier nos collections, en les enrichissant par une approche novatrice." LOUIS DE MAREUIL, JACOB-DUVENERNET- Photo OLIVIER DION

Les performances du secteur ont même poussé Hachette Pratique à continuer, ces derniers mois, une percée sur un marché où la maison se montrait jusque-là plutôt discrète. Anne Le Meur, responsable de projet, explique : "Selon Ipsos, le sport et les jeux représentent 8,5 % en volume du secteur du livre pratique. Il nous a donc semblé pertinent d'y investir un peu plus, avec quatre nouveautés par an." Une présence que l'éditeur limite à des ouvrages de référence (voile, plongée, tennis, golf...), des ouvrages très pratiques (cyclisme) et des guides forme et détente (yoga, stretching) à petit prix.

"En foot, il faut trouver un joueur qui ait envie de s'exprimer. Ils sont rares dans ce cas. Et beaucoup n'ont rien à dire." JEAN-LOUIS FETJAINE, ÉDITIONS FETJAINE- Photo OLIVIER DION

DÉCONVENUES

La prudence est pourtant de mise chez tous les éditeurs, spécialisés ou plus généralistes. Selon Renaud de Laborderie, directeur de collection chez Solar, l'un des piliers du secteur, "les annuels, la collection des "Livres d'or" que nous déclinons tous les ans dans six sports différents (football, rugby, cyclisme, F1, moto et basket-ball), constituent un socle stable mais sans réelle progression. Le reste se révèle plus aléatoire. Les biographies, notamment, ne rencontrent pas toujours leur public (voir encadré p. 63)."

"Nous avons lancé une page Facebook dédiée à l'un de nos derniers livres. Avant même sa sortie officielle en librairie, il enregistrait déjà près de 500 amis." GRÉGORIE LARTIGOT, AMPHORA- Photo OLIVIER DION

Ces déconvenues ont pour conséquence une approche plutôt frileuse, voire méfiante, des deux événements majeurs de l'été à venir, l'Euro de football et les jeux Olympiques de Londres. En d'autres temps, ces deux mastodontes du calendrier sportif international auraient fait saliver les éditeurs, tous prêts à parier leur chemise sur des ventes historiques. Cette fois-ci, l'heure est à l'abstention ou, au mieux, à l'indécision. Jacob-Duvernet a osé un épais travail très encyclopédique, L'aventure des Jeux olympiques, paru dès novembre dernier et signé Guy Benamou, mais l'éditeur ne prévoit rien de plus contemporain à l'approche de l'événement. Calmann-Lévy, un acteur "historique" dans l'ouvrage d'actualité sportive, se recentre désormais sur sa seule collection, "L'année du...", sans chercher à s'aventurer sur un terrain moins balisé. Rien n'est prévu, et rien ne sera fait sur les JO comme sur le Championnat d'Europe des nations de football.

Aux éditions du Moment, Yves Derai évoque la sortie d'un recueil de chroniques sur les Anglais, dans la collection "Ils sont fous...", une façon décalée mais lointaine d'aborder les Jeux de Londres. Aux éditions du groupe L'Equipe, Laurence Gauthier assure n'avoir rien de prévu pour coller au plus près de l'actualité des Jeux et de l'Euro de football. Dans les bureaux de Solar, Renaud de Laborderie s'interroge encore sur l'opportunité de traiter a posteriori la quinzaine olympique. "Le choix dépendra des résultats des athlètes français, explique-t-il. Mais aussi de la personnalité des médaillés."

La même méfiance enveloppe l'Euro de football, prévu en juin prochain en Pologne et en Ukraine. Les éditeurs avouent ne pas beaucoup croire à un parcours triomphal des Bleus. Et beaucoup s'interrogent sur l'impact médiatique d'une équipe de France au profil trop lisse pour faire se lever les foules. Yves Derai annonce à demi-mot la sortie, pour la fin du premier semestre, de deux ouvrages "un peu sulfureux et subversifs" sur le football, dans la ligne de La face cachée de Franck Ribéry, publié l'an passé. Mais le patron des éditions du Moment ne souhaite pas en dire plus, soucieux de préserver l'effet de surprise. Jean-Louis Fetjaine veut aborder lui aussi l'événement par une voie détournée, avec une biographie non autorisée de Laurent Blanc, La face cachée du Président, signée Arnaud Ramsay, en librairie depuis le début du printemps, ainsi qu'un guide pratique du tournoi continental, à 12 euros, détaillant sans réelle prétention les équipes, les stades et les rencontres.

À DEUX VITESSES

A défaut de prendre à bras-le-corps les temps forts de la saison sportive, désormais jugés trop éphémères pour un traitement éditorial, l'édition se partage entre valeurs sûres et coups d'essai. Deux approches pas forcément incompatibles, certaines maisons jouant à plaisir d'un même mouvement la carte de l'innovation et celle du conservatisme. Meilleur exemple : L'Equipe. Le groupe a revu à la baisse ses ambitions dans l'édition pour concentrer ses efforts et ses moyens dans la télévision HD, mais sa production reste régulière et ambitieuse. En 2012, son catalogue devrait s'enrichir de deux ouvrages de qualité consacrés au cyclisme, l'un des piliers historiques de la marque : en avril, La grande encyclopédie du maillot jaune, une somme très historique enrichie d'un poster en frise des 257 porteurs de la célèbre tunique ; puis, en octobre, une somme de 400 pages consacrée au centenaire de la Grande Boucle, qui sera célébré en 2013. A cette orientation très prévisible (le groupe organise le Tour de France via sa filiale ASO), L'Equipe ajoute une pointe d'audace avec la création d'une bande dessinée, dans le style de Largo Winch, réalisée en collaboration avec Casterman. Le tome 1, London running, en librairie à partir du 23 mai, raconte les aventures du reporter sportif Matt Peterson, amené à déjouer un complot pendant les Jeux de Londres.

Solar emprunte la même voie, revisitant le passé et se tournant vers l'avenir. En plus de ses annuels, l'éditeur propose une version actualisée de l'un de ses succès, La légende de la F1, paru en 2010 à l'occasion des 50 ans du Championnat du monde, et traduit depuis en espagnol et en allemand. "La nostalgie est plus forte que tout", avance Renaud de Laborderie, coauteur de l'ouvrage et directeur de collection. Dans le même temps, il ose un Abécédaire du rugby, signé Bernard Laporte et résolument novateur.

Cette stratégie à deux vitesses a également inspiré les éditions Fetjaine dans leurs choix éditoriaux pour l'année 2012. Concernant les valeurs sûres, en mai, un très beau livre sur le Tour de France composé pour l'essentiel par les clichés du photographe Mike Powell, une Histoire secrète de l'OM, signée David Garcia, et une poignée de guides de l'Euro de football. Plus téméraires, mais aussi plus originaux : un document de l'ancien boxeur Stéphane Ferrara sur les coulisses du noble art et un Dico rebelle du handball écrit en collaboration avec Nikola Karabatic, le plus médiatique des experts.

La tendance se révèle encore plus marquée chez Jacob-Duvernet. L'éditeur parisien se félicite d'avoir investi dans le livre de sport, ces dernières années, avançant fièrement que 70 à 80 % de ses ouvrages se révèlent "plus que rentables". Pour 2012, il prévoit une hausse de 10 % de sa production. "Avec la volonté très affirmée de fortifier nos collections, en les enrichissant par une approche novatrice", explique Louis de Mareuil, le directeur du marketing. La collection "Hommage du sport", où se croisent déjà Raymond Poulidor, Michel Platini, Raymond Kopa et Jean-Pierre Rives, accueille cette année l'ancien cycliste Laurent Jalabert. Michel Guérin, directeur adjoint de la Direction centrale du renseignement intérieur, complète ses Lieux mythiques du vélo, publiés l'an dernier, par un recueil des Equipes mythiques du cyclisme. Toujours pour la "petite reine", Bernard Hinault s'est prêté à l'écriture d'un dictionnaire façon abécédaire. Enfin, Jean-Michel Larqué fait revivre les années 1970 du ballon rond, prenant ainsi la suite de son ancien partenaire de commentaire Thierry Roland, auteur l'an passé d'un premier tome sur les années 1980.

L'URGENCE D'INNOVER

Convaincus de l'urgence à innover, les éditeurs n'hésitent plus à bousculer les habitudes de la profession en faisant appel au numérique. Amphora, l'un des pionniers, a amorcé le mouvement au cours des deux dernières années. En 2012, il accélère l'allure avec l'ambition, selon Grégorie Lartigot, de "créer un écosystème autour du livre". En clair, envelopper la version papier de l'ouvrage d'un généreux habillage de sites Internet, blogs, pages Facebook, vidéos de l'auteur interviewé... "Dans le domaine du livre technique et de conseils, il devient indispensable de mettre en place tout un environnement afin d'accompagner l'acheteur dans sa pratique, poursuit-il. L'auteur devient ainsi un véritable chef de produit." Amphora a recruté cette année un responsable du développement multimédia. L'éditeur alimente régulièrement son propre blog avec des articles d'experts afin de donner à ses productions une plus grande visibilité. Il a créé un univers autour de chacune de ses disciplines les plus fortes : musculation, forme, running, équitation... "Nous avons lancé une page Facebook dédiée à l'un de nos derniers livres, consacré au MMA, un art martial inspiré du full contact, indique Grégorie Lartigot. Avant même sa sortie officielle en librairie, il enregistrait déjà près de 500 amis."

Hugo & Cie a opté, à son tour, pour une même approche multimédia. L'éditeur propose cette année un DVD en accompagnement d'au moins deux de ses nouveautés, consacrées respectivement aux 100 plus beaux buts de l'Olympique lyonnais et aux 100 plus beaux joueurs du PSG. Le P-DG, Hugues de Saint-Vincent, croit dur comme fer à cette évolution : "Le lecteur, surtout en sport, veut pouvoir compléter sa lecture par des images, des vidéos et des liens Internet. A l'ère du numérique, nous devons mélanger les genres et trouver des axes pour traiter le sport de façon plus moderne et vivante." Signe des temps : Solar a tenté une expérience à la fin de l'année en proposant aux acheteurs du Livre d'or de la F1 une puce électronique leur permettant de récupérer, en format numérique, le chapitre consacré au dernier grand prix de la saison, disputé en même temps que l'impression du livre.

Suivant les traces d'Amphora, Chiron se lance à son tour dans l'aventure de la combinaison des supports. L'éditeur, plus que centenaire, a été racheté à la fin de 2011 par Rémi Guichard, jusque-là spécialisé dans les ouvrages pour la jeunesse. Un changement de propriétaire accompagné d'une politique commerciale plus agressive. "Nous gardons notre savoir-faire dans le domaine de la pratique et de la technique, explique Rémi Guichard. Mais avec une approche plus grand public. Nous associons désormais un DVD à chaque livre, sans hausse du prix, en réalisant nos propres tournages, avec la volonté de nous appuyer sur l'image pour expliquer un geste." Avec une production d'une quinzaine de nouveaux titres par an, Chiron espère profiter de la vogue de la forme et du sport pour le bien-être. A cette occasion, il a quitté Vincennes pour ouvrir sa propre librairie dans ses nouveaux locaux parisiens du boulevard Saint-Germain.

Le sport en chiffres

La biographie en perte de vitesse

Les chiffres ne trompent pas. Au classement des meilleures ventes de livres de sport en 2011, seules deux biographies pointent dans le top 10 : la version poche chez J'ai lu de la vie d'Andre Agassi, Open, dont l'édition brochée était sortie en décembre 2009, et le recueil de souvenirs de Sébastien Chabal, Ma petite étoile, paru chez Flammarion. Il faut ensuite chercher au-delà du 35e rang pour dénicher une biographie de l'ancien gardien de but Grégory Coupet (Arrêt de jeu), une autre signée par Sébastien Loeb (Ma ligne de conduite) ou encore un ouvrage de Robert Pirès, l'ancien milieu de terrain d'Arsenal.

Les éditeurs le suggèrent d'une même voix : la biographie de sportif, autorisée ou non, est en perte de vitesse. Faute de combattants, pour l'essentiel. Un constat surtout marqué dans le football, terrain de jeu traditionnel des auteurs. "En équipe de France, je ne vois pas un seul joueur à la personnalité assez forte pour intéresser les lecteurs", avoue Renaud de Laborderie, chez Solar. "Les candidats ne se bousculent pas, explique Louis de Mareuil, chez Jacob-Duvernet. Nous avons contacté Franck Ribéry, après la parution d'un livre à charge contre lui (La face cachée de Franck Ribéry, aux éditions du Moment). Il n'a pas donné suite." A L'Equipe, où le genre a longtemps été en vogue, Laurence Gauthier regrette : "Robert Pirès n'a pas pu consacrer le temps qu'il avait prévu à la promotion de son livre. Les ventes s'en sont ressenties."

Conséquence : les catalogues des éditeurs ne devraient pas s'enrichir de biographies de poids cette année, malgré un calendrier sportif dominé par l'Euro de football et les jeux Olympiques de Londres. Jean-Louis Fetjaine, directeur des éditions du même nom, l'admet : "Le genre est devenu risqué. En foot, il faut trouver un joueur qui ait envie de s'exprimer. Ils sont rares dans ce cas. Et beaucoup n'ont rien à dire."

Jean-Denis Walter : "Aller chercher l'âme du sport"

Rédacteur en chef de Hobo, Jean-Denis Walter justifie le lancement le 21 mars par L'Equipe de ce premier "mook" consacré au sport, inspiré par le succès de XXI et de 6 Mois.

Hobo by L'Equipe est-il plus proche du livre ou du magazine ?

Il se situe entre les deux. Son contenu est plus proche du magazine, mais son contenant en fait un véritable produit d'édition. Il est vendu en librairies, n'inclut pas la moindre publicité et restera trois mois en vente. Vendu 20 euros, il est tiré pour ce premier numéro à 20 000 exemplaires et compte 208 pages. Nous visons une clientèle de passionnés du sport, fidèles à la marque L'Equipe, mais aussi de lecteurs aux préoccupations plus éloignées des seuls résultats sportifs.

Quel est le concept de ce premier "mook" consacré au sport ?

A la différence de XXI, par exemple, nous accordons la priorité à l'image et non au texte. Nous voulons aller chercher l'âme du sport, bien au-delà du factuel et du résultat, par des grands reportages de 20 à 25 pages où l'histoire est d'abord racontée par la photo. Dans le n° 1, nous avons au sommaire un sujet sur le FC Union, un club de football de Berlin qui rassemble les nostalgiques de l'Allemagne d'avant la chute du Mur, un autre sur la pratique du sport par les militaires en Afghanistan, un troisième sur ces mères de famille boliviennes adeptes de la lutte... L'histoire est racontée par le photographe, mais les légendes sont assez denses et riches pour donner du corps à l'histoire.

Quelle est la signification du titre, Hobo ?

Nous cherchions un nom qui ne colle pas trop au sport, car le contenu est plus orienté vers le grand reportage que vers la narration sportive. Hobo est un mot anglais qui désignait ces vagabonds américains, au XIXe siècle, qui allaient de ville en ville, en sautant d'un train à l'autre, vivant de petits boulots par goût de la liberté. L'expression nous a séduits car Hobo by L'Equipe est, à sa façon, une forme de vagabondage dans l'univers du sport.

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