«Je suis une vieille de 13 ans (rires). » Une « Boulette » espiègle qui n'a rien oublié de son enfance, où elle « courait pieds nus dans la poussière » de son village natal, Tiszabercel en Hongrie. Malgré le dénuement et l'antisémitisme ambiant, Edith s'accroche à l'école et à ses mille et uns questionnements. Sa famille nombreuse ne cultivait que l'amour biblique. « Or je préférais la poésie aux prières. J'ai toujours voulu écrire sur l'injustice du monde. » Elle ignorait alors qu'elle allait être frappée de plein fouet par celle de l'Histoire.

En 1944, l'adolescente est déportée avec les siens dans plusieurs camps de concentration, où elle perd notamment ses parents. « L'expérience d'Auschwitz enseigne tout et conditionne l'ensemble de l'existence. J'y ai découvert que le Mal est à l'intérieur de nous. L'Homme est capable de tout, même d'insuffler de la compassion, de l'espoir et de la lumière dans les ténèbres. Soudain, je suis devenue adulte », comme elle l'évoque dans un récit autobiographique si poignant et lyrique, Le pain perdu. Elle a failli se perdre à nouveau après la guerre. Difficile de renouer avec la vie ou avec sa fratrie restante. Comment trouver sa place ? Edith enchaîne les pays, les langues, les cigarettes et les maris, avant de trouver son nid en Italie.

Star en Italie

Nous la rencontrons d'ailleurs dans son appartement rempli de livres, au centre de Rome. Meublé avec goût, il correspond à cette femme chaleureuse, élancée et élégante, d'une dignité rare. Cette personnalité étonnante y a vécu avec son amour disparu, le réalisateur Nelo Risi, mais elle y a aussi reçu le Pape François, touché par son combat contre l'oubli et sa « Lettre à Dieu ».

En Italie, Edith Bruck est une star. Journaliste, scénariste, dramaturge, écrivain ou poétesse, cette femme libre, incarnant le courage, renaît en français grâce à la superbe traduction de René de Ceccatty − qui est d'ailleurs venu avec nous à sa rencontre. Son nom de jeune fille prémonitoire, Steinschreiber, désigne « celui qui écrit sur les pierres tombales ». À l'image de son œuvre et de son engagement infaillible envers la transmission de la mémoire aux jeunes générations. « Mon témoignage a changé la pensée des gens et des enfants, depuis soixante ans, mais il reste hélas d'actualité. L'antisémitisme, la discrimination et le fascisme existeront jusqu'à la fin des temps. » Un constat partagé par son ami qu'elle chérissait, Primo Levi. « De par notre admiration réciproque, on se lisait mutuellement. J'étais devenue sa mère consolatrice », mais cela ne l'a pas sauvé. Edith lui dédie un poème suscitant la chair de poule. Il s'inscrit dans le sublime recueil Pourquoi aurais-je survécu ?, qui unit ses morts à son goût immodéré de la vie. « Tout était en moi, mais c'est l'écriture qui m'a permis d'accoucher de moi-même. C'était une façon de me libérer du poison et du poids de la Shoah. Il me fallait aussi respecter une promesse sacrée : raconter cette histoire si je survivais. J'ai failli mourir dix fois, mais je suis toujours revenue à la vie. Et oui, je suis une vraie survivante (rires) ! »

 

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