22 août > Roman France

Elle a vieilli, Solange. Et fait du chemin. On avait laissé l’héroïne du dernier roman de Marie Darrieussecq en pleine puberté à Clèves, son village du Pays basque, la voilà actrice à Hollywood. On était dans la province française des années 1980, bienvenue vingt ans plus tard dans les collines de LA chez les beaux, riches et célèbres. L’ancienne ado curieuse et dessalée « est payée cinquante mille dollars les deux jours de tournage », boit du champagne chez « George », fréquente les stars les plus bankables du moment. C’est Gala avec de vrais acteurs mélangés à des faux, des filmographies imaginaires, une mythologie chic et toc. Dans une de ces fêtes en vue, Solange rencontre le magnétique et silencieux Koukouesso Nwokam. Elle est captivée dans l’instant par cet acteur et sa « gueule de Jedi impassible », habité par « la grande idée » de tourner au Congo une adaptation de Au cœur des ténèbres de Conrad. Elle croit le film infaisable mais se verrait bien jouer la « Promise » » qui attend Kurtz en vain dans une très courte scène à la fin du roman. Un rôle que le réalisateur ne semble pas vouloir lui proposer… Mais le roman est écrit à l’imparfait, le temps des romances révolues. « Aujourd’hui encore elle frotte ce souvenir contre sa mémoire et il en sort du chaud, du rouge. »

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Il faut beaucoup aimer les hommes, titre extrait d’une formule de Duras, raconte quelques mois d’une histoire d’amour et d’envoûtement : l’homme est obsédé par son film, la femme est obsédée par lui. Elle est française. Il est noir. Avec lui, elle découvre la couleur. « Elle était blanche et elle ne le savait pas. » Elle ne connaît rien du Congo dont il lui parle quand elle voudrait qu’il l’embrasse après l’avoir laissée des jours sans nouvelles. Enjambant les océans, l’obsession court de Los Angeles à Paris jusqu’à la jungle congolaise.

Dans ce roman cinématographique, il y a le jeu tant prisé de la romancière sur les clichés, sur les stéréotypes - l’Afrique, Hollywood, les couples mixtes, le racisme… -, une nouvelle fois brassés, retournés, interrogés. Mais la formulation a changé : le parler direct de la Solange de Clèves, ses questions crues ont été remplacés par le vocabulaire plus chaste de l’intoxication amoureuse. Le corps est là bien sûr - il est toujours là dans les livres de Marie Darrieussecq -, mais il est question de peau plus que de chair, de dépendance sentimentale plus que de sexe. Il reste dans cette amante trentenaire quelque chose d’un peu midinette, dans les questions qu’elle se pose et auxquelles l’amant, homme-fantôme impossible à saisir, ne répond jamais, tandis qu’elle « bataille avec les lieux communs ». Dans cette conception de l’amour comme ravissement, comme extase (elle se voit transpercée de rayons comme la sainte Thérèse du Bernin), mais surtout comme attente, « elle l’avait tellement attendu qu’elle continuait à l’attendre ».

Le film se fera. Et le récit du tournage, épique, figure parmi les pages les plus intenses du livre, Darrieussecq lâchant les rênes de son inspiration-fleuve. Dix-sept ans après Truismes, elle s’impose spectaculairement comme la romancière de la métamorphose.

Véronique Rossignol

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