"On est dans la culture du tittytainment"

"On est dans la culture du tittytainment"

Pour le psychanalyste Roland GOri, auteur aux Liens qui libèrent de La fabrique des imposteurs, les succès des livres de Valérie Trierweiler et d’Eric Zemmour disent beaucoup sur notre société et son évolution.

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Par Anne-Laure Walter,
avec Créé le 24.10.2014 à 01h35 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

"Ces ouvrages répondent à un "marché", celui du voyeurisme dans un cas, celui de l’opinion réactionnaire dans l’autre. C’est davantage du spectacle que de la lecture."Roland Gori- Photo DR

Roland Gori - J’ai lu des extraits de ces livres et n’ai pas eu l’envie de les acheter. Je réagis donc sur leur réception plus que sur leur contenu. Le succès médiatique de ces deux titres me paraît symptomatique de notre culture. Ce sont des ouvrages qui répondent à un "marché", celui du voyeurisme dans un cas, celui de l’opinion réactionnaire dans l’autre. C’est davantage du spectacle que de la lecture, des images que des idées. Ils me semblent le symptôme d’une société où le spectacle et la marchandise occupent tout l’espace de la vie sociale, transforment la culture en industrie culturelle et le débat démocratique en spectacles d’opinion.

Ce sont des ouvrages qui sollicitent l’émotion, l’humeur, plus que les idées ou la réflexion. Produits du "marché", ils sont écrits par des auteurs dont la reconnaissance est celle des médias, et qui assurent d’ailleurs la promotion de leurs livres par les médias. Non par des conférences, des forums citoyens ou des débats d’idées, mais via le choc des photos et la couverture médiatique. Surtout pour Eric Zemmour, qui déteste les intellectuels, les "élites", les universitaires et autres "travailleurs de la preuve" ! C’est une logique d’audimat à tous les étages. Ils invitent les lecteurs à regarder par le trou de la serrure, cela relève de l’écriture du fait divers. Ce sont des "intellectuels médiatiques", comme disait Bourdieu, qui ne détiennent leur reconnaissance que de l’applaudimètre, des émotions collectives.

On est vraiment dans la culture du tittytainment, en référence au concept proposé par le démocrate américain Brzezinski, dont le mot est la contraction de tits (seins en argot américain) et entertainment (divertissement). Il faut divertir la population avec ces produits écrits de façon simple, alerte et efficace par des journalistes qui savent manier la plume, des biens de grande consommation périssables. Il s’agit de perfuser l’opinion publique pour la distraire de la crise économique, sociale et culturelle.

Oui et non. Ils sont semblables, comme je vous le disais, en tant que symptômes de la société marchande et de spectacle. Mais la source de ces livres n’est pas la même. L’un est un récit singulier de vengeance, réactionnel à une humiliation personnelle et publique, écrit sans doute pour se reconstruire. L’autre est un récit collectif de politique révolutionnaire restauratrice, visant à promouvoir des idées qui existent dans l’opinion et font le succès de l’extrême droite : des "opinions d’estomac", comme disait Alain, qui jouent sur la peur, le découragement et le ressentiment. Les bonnes ventes de ce livre donnent une météo de l’opinion. Quand il y a une crise du sens, quand le monde n’apparaît plus que de manière chaotique, les gens cherchent une grille de lecture simpliste. Ils tentent même sur un mode victimaire ou persécutif de fabriquer du sens.

Propos recueillis par A.-L. W.

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