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Etre bibliothécaire après la crise sanitaire

Etre bibliothécaire après la crise sanitaire

Le virus s’éloigne mais la crise sanitaire a laissé des traces. Les usagers reviennent timidement. Certains ont perdu le réflexe de la visite et d’autres apprécient le « click & collect ».  On peut voir dans cette configuration historique l’opportunité d’ouvrir des possibles.

Plus que les bibliothécaires, les libraires ont fait l’actualité lors de la crise dont nous sortons. Après un moment de sidération, ils ont fini par accéder au rang de « commerce essentiel ». Ils en ont tiré un profit symbolique et économique qui les ont renforcés à l’issue de cette épreuve.

Les bibliothécaires ne sont pas dans ce cas et il règne parmi eux un flottement voire une dépression que l’on peut chercher à comprendre. Eux aussi ont connu un premier temps de sidération. Alors que depuis plus d’une dizaine d’années, ils avaient intériorisé la nécessité de penser leur offre pour leurs publics et de ne plus réduire les bibliothèques à leurs collections mais à les penser en tant qu’espace (voire troisième lieu), ils ont été coupés des interactions ordinaires avec les usagers. Comme privés d’oxygène… Certains ont maintenu très vite un lien à distance à travers des vidéos, newsletter, post sur les réseaux sociaux, etc. Ils ont su s’adapter sans recevoir un large écho médiatique. Mais une grande part des professionnels est restée éloignée de la bibliothèque et des publics dont elle est pourtant proche. Puis est venu le temps du « click & collect ». La bibliothèque est alors redevenue un stock de documents et les publics étaient tenus à distance par des mesures barrières qui portent bien leur nom.

Des bibliothèques récentes, construites pour un accueil sur place, ont été transformées en château-fort et, d’étroites meurtrières, rentraient des documents mis en quarantaine et en sortaient d’autres délivrés par des bibliothécaires véritables gardiens du temple. On se serait crus dans les bibliothèques d’avant la lecture publique quand le prêt était indirect. Pendant des mois, les professionnels ont fait cette expérience difficile d’un monde depuis longtemps révolu. Une véritable dystopie !

Le sens de l'action

Le virus s’éloigne mais la crise sanitaire a laissé des traces. Les usagers reviennent timidement. Certains ont perdu le réflexe de la visite et d’autres apprécient le « click & collect ». Certains élus sont tentés de réduire la bibliothèque à leurs collections matinées de numérique comme ce président d’une intercommunalité qui propose comme établissement central une sorte d’ « Amazon » à savoir un stock de documents auxquels les habitants pourraient accéder via un portail et un système de livraison.  Dans ce nouveau contexte, les bibliothécaires peinent à construire du sens à leur action. Ceux qui ont eu du mal à se rallier à la nouvelle définition de la bibliothèque par ses usagers peuvent chercher à trouver dans ce contexte des raisons d’espérer un retour en arrière. La mise en avant médiatique des discours conservateurs voire réactionnaires sur « c’était mieux avant » peut les encourager dans cette voie. Mais, comme le pense une grande majorité de professionnels, il s’agit d’une chimère. Il n’est pas possible de revenir à un monde où les usagers seraient d’accord pour renoncer à leur autonomie. Ils sont pétris de ce désir pour leurs choix de vie personnelle (conjoint, enfant, activité professionnelle, mort, etc.) et ont fait leur des instruments leur permettant de faire l’expérience effective de cette autonomie (voiture, téléphone portable, etc.).

Coincés entre un monde révolu et un présent qui a perdu son évidence, les bibliothécaires flottent dans une sorte d’anomie propice à la procrastination et à la dépression. Y sont-ils condamnés ? Aux élus, aux instances professionnelles, au ministère d’apporter des éléments. On peut aussi voir dans cette configuration historique l’opportunité d’ouvrir des possibles. Voici ma contribution personnelle à ce débat nécessaire.

Re-socialiser

La crise sanitaire a contraint les individus à se couper des autres. Certains en ont pris l’habitude, d’autres y ont pris goût. Le succès du commerce en ligne témoigne de la capacité de nos contemporains à découpler accès aux biens ou services et socialisation. La numérisation de notre société présente une limite forte. Les individus connectés sont en partie coupés des autres. Ils ne vivent pas l’expérience charnelle de l’altérité or c’est aussi par le corps (si possible non masqué) que l’on fait société. Le numérique permet la maîtrise de l’interaction. Il est toujours possible de se déconnecter ou de quitter un échange. Les interactions physiques sont plus impliquantes et sont l’occasion de frottements qui participent à la construction d’un monde commun. Un espace public matériel est indispensable pour faire société. La solidarité ne se décrète pas, elle se construit par la fréquentation de lieux publics et par le partage d’émotions et de valeurs communes dans des instants vécus ensemble. La bibliothèque n’est pas une cerise sur le gâteau des politiques publiques, elle participe à la construction de la collectivité locale. Les bibliothécaires ont la noble tâche de mettre ensemble, dans la paix mais pas sans débats, des individus qui se pensent autonomes. Dans l’image du lien social, ils sont le métier à tisser d’une maille idéalement souple, chaude et solide. Oui, noble métier !
 

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