Reconfinement

Fatalité et inquiétude chez les libraires

Olivier Dion

Fatalité et inquiétude chez les libraires

Contraints de fermer leurs portes jeudi 29 octobre au soir, les libraires oscillent entre inquiétude, combativité et fatalité. Une majorité d'entre eux dégaineront dès vendredi des services de livraison, de drive et de conseils en ligne.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 29.10.2020 à 20h47

"Inquiet, remonté et volontaire". En trois adjectifs, Michel Méchiet, fondateur de L’Intranquille à Besançon, résume l’état d’esprit de la plupart des libraires au lendemain de l’annonce du reconfinement par Emmanuel Macron, qui les contraint à fermer leur magasin jeudi 29 octobre au soir.

Volontaires

Forts de leur expérience du printemps, les libraires sont néanmoins prêts à mettre en œuvre les solutions alternatives testées en avril. Drive et autre "click & collect", livraisons, dépôt des commandes dans des magasins de bouche, livraisons communes avec d’autres commerces parfois organisées par la municipalité, notamment pour les plus isolés, comme à Dreux, indique Frédérique Massot de la Rose des vents, tout est déjà dans les tuyaux. "Depuis mars, nous savons faire tourner une librairie en période de confinement, nous serons donc sur le pont dès demain matin", explique Elodie Bonnafoux d’Arcanes à Châteauroux.

Ce sera le cas dans la plupart des librairies, petites ou grandes comme Coiffard à Nantes, L’Intranquille à Besançon, La Librairie de Paris à Saint-Etienne, La Femme renard à Montauban ou les Oiseaux-Livre à Saint-Yrieix qui, depuis mai, bénéficie d’un site Internet flambant neuf. Pascal Auréjac, de Le Rouge et le noir, à Saint-Chély d’Apcher, s’apprête carrément à tenir une permanence le matin pour délivrer les réservations et commandes et prodiguer quelques conseils.

Pour garder le contact, les libraires s’apprêtent aussi à diffuser sur leur site et leurs réseaux sociaux leurs listes de recommandations et de sélections pour Noël, comme Alix Mutte et Fantine Gros de La Lison à Lille. Conseil personnalisé au téléphone ou par mail sont également au programme à La Fourmi rouge, à Cahors, où Sarah Philippe et Anne-Lise Y Leang ne disposent pas de solution de vente en ligne. Le "maximum sur la communication et les livraisons" va être assuré Au Temps livre, à Pontarlier. Ouverte depuis cet été, la librairie redoute quand même ce premier confinement.

Opérationnel dès le 17 mars, le système de livraison gratuite à partir de 30 euros d’achats dans les 27 communes de Bordeaux, mis sur pied par Matthieu Saint-Denis de Krazy Kat, est réactivé dès demain. "Mieux vaut envoyer un coursier à cent personnes que faire se déplacer cent personnes au même endroit", milite le libraire qui ne propose pas de drive et assurera une partie des livraisons à vélo ou en voiture, battant ainsi Amazon sur les délais.

Remontés

Si Matthieu de Saint-Denis trouve normal de fermer son commerce "alors que toutes les autres boutiques de la rue le sont aussi", la perspective de l’ouverture des rayons livres des hypermarchés et d’Amazon le révolte. "C’est un scandale, confirme Christophe Escoffier, qui dirige Arcadia à Marseille. C’est une concurrence déloyale. Il n’y a rien de mieux à faire si on veut tuer la librairie." Lui aussi mettra en place dès demain un système baptisé "AR comme appeler-récupérer, pour faire de la résistance".

"C’est une manière de donner les clés de la librairie aux géants d’Internet", confirme Anne Martelle, directrice générale de Martelle à Amiens et présidente du SLF. Totalement en accord avec ses confrères, Rémy Ehlinger (Coiffard) songe également aux magasins de jouets pour qui "cette distorsion de concurrence peut être fatale".

Inquiets

Relativement sereins si la fermeture ne dépasse pas la quinzaine de jours, comme a pu le laisser entendre Emmanuel Macron mercredi soir, les libraires redoutent toutefois un débordement du confinement au-delà du 1er décembre. "Catastrophe", "mort annoncée", les mots ne deviennent alors plus assez forts pour exprimer l’inquiétude.

"Décembre représente 17% du chiffre d’affaires et quoi qu’il arrive, le drive ne comblera pas la perte. Ce sera au mieux un pis-aller", témoigne Jean-Michel Blanc. "Nous étions partis sur un bel élan qui nous avait permis de réaliser le chiffre du mois avec quelques jours d’avance. Aujourd’hui, tous nos clients nous demandent si nous allons vraiment fermer, ils nous manifestent un tel élan de solidarité et de soutien que ce n’est pas possible de rester comme cela", s’emporte Alexandra Charroin-Spangenberg, à la Librairie de Paris (Saint-Etienne).

Constaté partout, ce soutien réconforte, un peu, les libraires qui explosaient jeudi les records de vente et vivent "encore mieux qu’un samedi de Noël". Ce record d’affluence se traduit aussi sur les sites Internet dont les chiffres de fréquentation ont bondi ces deux derniers jours, notamment chez Ravy. Voilà de quoi affûter les arguments d’Anne Martelle qui s’apprête à ferrailler pour que les librairies rouvrent dans quinze jours.

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