Le paradoxe est cruel. Alors que les festivals littéraires gagnent en reconnaissance institutionnelle et se structurent professionnellement via des réseaux comme Relief, leur modèle économique se fragilise. « On constate que c'est de plus en plus compliqué pour les collectivités territoriales de suivre l’augmentation des frais inhérents à la tenue des manifestations littéraires », détaille Maëlle Sagnes, évoquant un arbitrage « qui peut peser sur la partie artistique ». À 43 ans, cette Grenobloise d’adoption prend la coordination du Banquet du livre d'été à Lagrasse (Aude), en plus de la logistique des Correspondances de Manosque, avec l’ambition de faire grandir les rendez-vous malgré la conjoncture difficile.
Le symptôme Grenoble
Un sacré challenge, mais son parcours illustre les mutations du secteur. Après quinze ans au Printemps du livre de Grenoble où elle a occupé successivement les postes d'assistante, adjointe et coresponsable, elle rejoint l'Aude alors que la manifestation grenobloise bascule en biennale en raison de contraintes budgétaires. Après l'édition 2025 qui s'est déroulée du 2 au 6 avril derniers, il faudra donc attendre 2027 pour retrouver le Printemps.
À Lagrasse, le recrutement de Maëlle Sagnes révèle une autre tendance : la substitution des postes pérennes par des missions. Elle remplace une directrice de production et communication employée à temps plein sur l'ensemble des projets de l'EPCC (Établissement public de coopération culturelle) Les Arts de lire, dirigé par Sébastien Steil.
Désormais, elle coordonne le Banquet via une mission ciblée, tandis que les autres activités ont été redistribuées. « Cela illustre l’instabilité financière conjoncturelle, reconnaît-elle. Car s'il y a le moindre problème de financement, la mission n’est pas reconduite d’une année sur l’autre ». Pour cette hyperactive, en disponibilité de son poste du Printemps de livre, cette situation est acceptable mais elle reconnaît qu’elle est difficilement adaptable à nombre de styles de vie. Donnant également des cours dans le cursus métiers du livre à l’IUT 2 Université Grenoble Alpes et des formations pour MEDIAT Rhône Alpes, elle maîtrise plus d’un savoir-faire dans le secteur de l’édition.
L'inflation invisible
Ce côté couteau suisse est le bienvenu, tant l'équation budgétaire se resserre de tous côtés dans le milieu, avec des subventions qui stagnent « dans le meilleur des cas » et des frais qui explosent. Rémunérations des auteurs en hausse – « et c'est bien normal » –, coûts de déplacement et d'hébergement qui s'envolent, prix du livre qui augmente. « Beaucoup de festivals achètent directement les livres. À Grenoble, c'était 25 exemplaires minimum par auteur invité, achetés pour les diffuser dans les bibliothèques du réseau, dans les associations. Ça peut avoir l'air d'être une goutte d'eau, mais ce sont des gouttes d'eau qui s'additionnent ». Le réseau Relief, auquel la coordinatrice est affiliée à travers les différentes structures qui l’emploient, a publié en début d’année une tribune sur ces tensions structurelles.
Solidarité de filière
Paradoxalement, Maëlle Sagnes remarque que cette précarisation coexiste avec une meilleure reconnaissance. « Il y a une valorisation de ce que peuvent proposer les festivals, notamment dans la réflexion sur l'action culturelle qui va au-delà du temps évènementiel », estime-t-elle. Le CNL, la Sofia, les fondations du Crédit Mutuel ou Jan Michalski maintiennent leur soutien. Certains éditeurs, notamment en jeunesse, font le choix de la continuité : informés de l'annulation du Printemps 2026, plusieurs ont assuré continuer l'envoi de services de presse, permettant de « ne pas repartir de zéro » pour la prochaine édition.
Pour l’Ardéchoise de naissance, la réponse à ces préoccupations majeures pour le partage de la lecture passe par « une solidarité évidente » de la chaîne du livre. Elle appelle à « ne pas se désolidariser quand il y a des moments de difficulté ». Un plaidoyer pour une filière qui, malgré les tensions, continue à structurer la chaîne du livre : à Lagrasse, elle coordonnera en 2026 une édition avec une quarantaine d'auteurs et une centaine de propositions axées sur les sciences humaines et sociales.
« Continuer à faire des événements littéraires, y compris dans un moment où les conditions sont plus difficiles, c'est aussi un vrai militantisme sur la lecture publique », conclut-elle. Un militantisme qui se mesure désormais en capacité à maintenir l'exigence artistique dans un contexte budgétaire contraint.
