Livres Hebdo : D'où vient l'idée de ce roman ? A-t-il une dimension personnelle et autobiographique ?
Feurat Alani : Oui, retrouver une personne disparue a aussi été une quête personnelle, j’ai cherché un oncle également. Mais tout n’est pas automatiquement récupéré dans le récit, le livre contient 80 % de fiction. Cet oncle a réellement existé, avec des trous et des questionnements dans ma famille. L’émission russe Zhdi menya (Attends-moi) est le point d'ancrage du livre, j’y ai aussi participé en 2011, mais elle n’a rien retrouvé pour moi.
Le contexte de la disparition est-il similaire entre le roman et votre oncle ?
C’est également une disparition familiale similaire. Un oncle dans l’armée qui disparaît en avion, des questions posées à l’enterrement, « Qui a vu l’accident ? » pas de réponses, « Qui a vu le corps ? » personne. Seule chose réelle, on lui demande de devenir russe et d'abandonner la nationalité irakienne. Cette réalité est de l’ordre du romanesque.
Comment votre entourage et votre famille ont-ils réagi à la sortie du livre ?
Ma mère, la sœur de cet oncle, est au courant. Elle est de mon côté et m’encourage dans mes recherches. J’ai un soutien appuyé de mes proches même si j’appréhende la traduction en arabe et les réactions de ma famille en Irak. Il faut du courage pour affronter le silence et la pudeur familiale.
« Toutes les familles possèdent des secrets »
Est-ce que vous le dénoncez ce silence ? C’est le bon terme ?
Le mot est trop fort, je décris à partir des silences pour retrouver la parole. Mais sans les dénoncer, même s’ils peuvent être parfois insupportables. Je fonctionne et écris sur ces dualités comme la vérité et le mensonge, et le silence et la parole. Je pars du principe que toutes les familles possèdent des secrets, qui engendrent souvent des déséquilibres et un socle pas souvent simple. Avec la parole, les familles peuvent se réconcilier avec ces tabous et ces non-dits. Les silences peuvent exister, mais la parole doit aussi être présente pour répondre aux questions. Il y a toujours un curieux qui pose des questions, et dans ma famille, c’est moi.
Pourquoi le choix de ces citations d’André Gide et Jean Giono au début du livre ?
J’avais déjà cité Jean Cocteau dans un précédent livre. Ces citations qui correspondent bien à la dualité entre la vérité et le mensonge dans les familles. C’est une thématique récurrente que l’on retrouve notamment dans cette rentrée littéraire. Mais ce n’est pas grave. Comme je le dis, les histoires de famille sont comme les chansons d’amour, il y en a plein et elles sont toutes singulières. C’est un recommencement nécessaire pour que tous les dires soient connus. Ce n’est pas grave, c’est même important, et c’est la vie.
On suit Taymour dans le récit qui écrit tout ce qui lui arrive pendant sa jeunesse. C’est vous aussi cet enfant aux carnets ?
Comme tous les écrivains, on est habité par ses personnages. Oui, Taymour c’est un peu moi. J’avais des carnets noirs quand j’étais enfant, j’écrivais mes journées avec les deux h, la hantise et la honte que d’autres personnes lisent. J’ai arrêté il y a longtemps maintenant. C’est aussi un hommage à ceux qui écrivent au quotidien leur vie, ça se perd et je trouve ça dommage. C’est également un hommage à cet enfant que j’étais.
« Je poursuis le rêve de mon père en écrivant ces livres »
Combien de temps a-t-il fallu pour l’écrire ? Depuis combien de temps y pensez-vous ?
Le ciel est immense m’habite depuis mon enfance. Ce fut très court à partir du moment où j’ai osé me lancer et commencer à écrire. Quand il y a eu cette urgence de l’écrire et de mettre sur papier cette histoire, ça m’a pris six mois… intenses (en riant). Et un an entre la signature du contrat et la fin de l’écriture.
Que ressentez-vous face à vos nominations dans des grands prix comme le Renaudot, les Deux Magots, et récemment, le prix Saint-Exupéry que vous avez remporté ?
Déjà, c’est une surprise, une joie, et de la gratitude d’être reconnu par mes pairs. Je peux dire pairs maintenant même si ce n’est pas mon premier livre. Je pense automatiquement à mon père, c’est lui qui m’a initié à la lecture. Je poursuis son rêve en écrivant ces livres. C’est déjà exceptionnel d’écrire, être reconnu, encore plus. Je voue une reconnaissance éternelle pour mon père, et chaque livre est un hommage.