Fièvre romaine. Selon le dictionnaire le Robert, plusieurs définitions sont associées au mot « chimère », dont « monstre imaginaire (à tête de lion et queue de dragon) qui crache des flammes » et « idée sans rapport avec la réalité ». Chimère, c'est aussi le titre du nouveau roman de Julie Wolkenstein, cette femme de toutes les échappées belles, romancière bien sûr, mais aussi traductrice, d'Edith Wharton et Francis Scott Fitzgerald, et professeure de littérature comparée à l'université. Ces deux définitions, se répondant l'une l'autre, forment comme une allégorie de ce dont il est question ici. Le monstre, c'est - ou plutôt c'était - un certain Osmond. Cinq femmes, tour à tour, qui lui ont été liées de diverses façons - l'argent, le désir, le mariage, la famille, l'intérêt - vont évoquer son souvenir, sa mémoire. Car Osmond est mort, victime d'un meurtre où celle qui l'a commis aurait agi en état de légitime défense, et les circonstances de sa disparition ne laissent pas d'intriguer. C'était un jour, un soir des années 1990, à Rome. Osmond était un peintre, collectionneur, membre à part entière de l'aristocratie culturelle de la ville. Trente ans plus tard, en Italie, en Suisse ou en France, alors que l'épidémie de Covid isole un peu plus celles que les aléas de la vie plus ou moins mondaine avaient de toute façon déjà séparées, voici que sonne peut-être l'heure des derniers aveux, des ultimes comptes.

Il y a dans ce Chimère, comme dans nombre de précédents livres de Julie Wolkenstein, une absolue et très plaisante jubilation romanesque. L'idée que ses héroïnes se font d'Osmond et de ses possibles forfaitures est peut-être sans rapport avec la réalité. Peut-être pas... Au fond, peu importe, seul demeure ce que le temps a fait d'elles, des êtres à qui tout était promis et à qui, par peur, par orgueil, par goût du désastre, rien n'aura finalement été accordé. À l'heure où le soir tombe, la vérité et le mensonge ne sont que les deux faces interchangeables d'une même pièce de fausse monnaie. Marionnettiste, montreuse d'ombres, Julie Wolkenstein s'en donne à cœur joie. Le plaisir est tout à fait partagé.