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Foire de Bruxelles : tonique Belgique

La Foire de Bruxelles, dans le centre Tour & taxis. - Photo OLIVIER DION

Foire de Bruxelles : tonique Belgique

« Sex, books and rock'n'roll » : le thème de la Foire de Bruxelles affichait, avec un clin d'oeil canaille, l'énergie que les éditeurs et libraires belges francophones dégagent en ce début d'année malgré un marché difficile. Signe parmi d'autres : le développement des offres numériques en dépit de l'obstacle d'une TVA à 21 %.

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Par Catherine Andreucci
Créé le 04.02.2015 à 12h39 ,
Mis à jour le 20.02.2015 à 13h07

La Foire du livre de Bruxelles, qui a fermé ses portes le 5 mars après cinq jours de festivités autour du thème "Sex, books & rock'n'roll", est à l'image du marché belge francophone : dynamisme et innovation cohabitent avec une légère érosion des ventes. Selon la commissaire générale, Ana Garcia, environ 70 000 visiteurs ont fait le déplacement, contre 72 000 en 2011, année record. La manifestation a fait le plein en revenant à la fréquentation de 2010, mais les ventes des éditeurs ont été moins fructueuses.

Photo OLIVIER DION

Après une année 2011 qui a marqué une légère reprise, le marché entame 2012 en négatif selon les principaux distributeurs. Pourtant, Anne Lemaire, directrice commerciale d'Interforum Benelux, est "persuadée que la demande du marché est là. En période de crise, le livre est une valeur refuge. Le problème est de savoir comment les libraires vont pouvoir répondre à cette demande ». Les retours ont fortement augmenté au début de 2011 après une fin de 2010 paralysée par de fortes chutes de neige. "Les libraires ont eu des problèmes de trésorerie toute l'année », poursuit Anne Lemaire, qui a terminé 2011 à - 1,5 %.

Emmanuel Carrère sur un plateau de la RTBF.- Photo OLIVIER DION

Patrick Moller, directeur général de Dilibel (Hachette Belgique), évoque lui aussi "un ralentissement général du marché sur les premiers mois de 2012 ». Pour lui, "2011 a finalement été au même niveau que 2010. Cela montre la capacité de résistance du livre à la crise. Je reste toujours assez confiant pour le livre et notre métier ».

Des points de vente qui bougent

Chez Gallimard, le directeur de l'export Jean-Charles Grunstein évoque "une année 2011 en positif », et un début 2012 "un peu moins bon pour le moment, à l'image de la France, - 1 ou - 2 %. On assiste à un phénomène de retrait sur la consommation, mais qui n'est pas propre au livre. De plus, en Belgique, le taux d'épargne déjà élevé ne cesse de progresser ». Chez Média Diffusion Belgique, Michel Chabotier, directeur des ventes, parle de légère hausse en BD pour 2011, "essentiellement sur les ventes de fonds. Les chaînes nous ont clairement tirés vers le haut ».

Ana Garcia, commissaire générale de la manifestation- Photo OLIVIER DION

Les points de vente font en effet preuve de dynamisme. Les chaînes Club ont renouvelé leurs magasins. Carrefour s'est redressé avec un nouveau concept, les Carrefour Planet, qui offrent des espaces livre plus accueillants et conviviaux. Du côté des indépendants aussi, la dynamique est en route. A Liège, Pax s'est agrandi et Livre au trésor a déménagé dans un espace plus vaste (1). Filigranes va ouvrir en avril les portes de Corman qu'il a repris à Knokke-le-Zoute et lance le chantier de l'agrandissement de son magasin principal de Bruxelles. Fin août, il passera de 1 700 m2 à 2 600 m2, avec un bar à caviar et à champagne, des fours pour des démonstrations culinaires, un coin scrapbooking, un rayon gadgets... "Il faut vendre encore plus ce qu'on ne vendait pas avant, estime Marc Filipson. Un agrandissement au moment d'une méga crise, c'est un challenge, mais j'y crois. » En revanche, il ne croit pas à la vente en ligne, mais propose des livres numériques sur son site. "J'en vends 40 par mois. Il faut conseiller le livre numérique aussi. » L'essentiel des ventes en ligne échappe pour l'instant aux acteurs belges, car les internautes passent par les sites français. Sans prix unique et alors que la production française représente près de 70 % des ventes, les prix peuvent différer en Belgique, surtout sous l'effet de la tabelle, ce surcoût encore appliqué par Hachette et Interforum au grand dam des libraires.

"Il faut vendre encore plus ce qu'on ne vendait pas avant. Un agrandissement au moment d'une méga crise, c'est un challenge mais j'y crois. " MARC FILIPSON, FILIGRANES- Photo OLIVIER DION

80 téléchargements par mois

L'offre de livres numériques, elle, s'organise progressivement. Mais elle se heurte à un taux de TVA à 21 %, contre 6 % pour le papier. La Fnac, qui avait pris cette année pour la première fois un stand à la Foire du livre, devrait lancer en mai son offre de livres numériques pour la Belgique, selon le quotidien économique L'Echo. La chaîne Libris-Agora a, quant à elle, créé un site spécifique, Meslivresnumériques.be. Depuis la fin de 2011, la chaîne Club propose un catalogue numérique de près de 75 000 titres. "Nous avons signé avec Eden, Numilog, Interforum et Izneo », se félicite Alexis Chaperon du Larrêt, responsable du back-office librairies et new business. "Le premier mois a bien fonctionné, avec près de 200 téléchargements. Puis les ventes ont commencé à baisser, et nous nous sommes stabilisés à 80 par mois. »

"Le marché du numérique éducatif est nettement plus dynamique en Flandre qu'en Wallonie. Nous avons vendu 80 livres projetables pour tableaux numériques l'an dernier, un ou deux côté francophone." VINCENT SIMONART, DE BOECK- Photo OLIVIER DION

Mais pour tous, la TVA est un frein. "Vis-à-vis de l'acheteur, on ne peut pas pratiquer des prix différents d'un pays à l'autre. Donc c'est à nous d'absorber les différentiels de TVA... », relève Vincent Simonart, administrateur délégué du groupe De Boeck. "Quelle est la place pour la distribution numérique en Belgique ?" s'interroge Chantal Lambrechts, directrice marketing, communication et développement de De Boeck et présidente de la commission numérique de l'Association des éditeurs belges (Adeb). Et elle précise : "Un lecteur belge peut acheter son livre numérique au même prix en passant par un site français ou belge. Mais l'éditeur va se rendre compte qu'il est plus facile de valoriser les ventes sur un site français avec une TVA à 7 %. La situation devient absurde, il faut relancer le lobby européen pour harmoniser les taux de TVA. »

Vendus par parties

En dépit de cette entrave, les offres se dessinent, surtout dans l'édition professionnelle, traditionnellement en avance sur les questions numériques. Anthémis va proposer à partir d'avril des ebooks sur le portail Jurisquare, dont il est actionnaire minoritaire depuis le rachat de Bruylant par De Boeck (avec La Charte et l'éditeur flamand Intersentia). "Jusque-là, il n'y avait que des revues. Pour commencer, nous allons proposer les versions numériques d'une centaine d'ouvrages des différents éditeurs, à un prix équivalent à environ 80 % du prix du papier. Les livres seront aussi découpés pour être vendus par parties », détaille Olivier Cruysmans, administrateur d'Anthemis, qui prévoit aussi des offres "bundle" couplant papier et numérique.

Racheté en avril 2011 à Editis par le groupe Ergon Capital, De Boeck investit dans le développement numérique, après avoir acquis Bruylant (via Larcier) et Promoculture au Luxembourg. "Le marché n'explose pas, il y a encore des barrières dans la phase où nous sommes. Mais à un moment, elles vont tomber et la croissance sera exponentielle, analyse Vincent Simonart. En 2011, nous avons fait un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros avec le numérique, pour un CA global de 45 millions d'euros. Les revenus sont générés par les portails professionnels, mais peu par les ebooks. Je suis confiant pour les éditeurs : la différence dans le numérique se fera sur la qualité des contenus et la valeur ajoutée des éditeurs. » De Boeck a lancé en octobre dernier ses premiers ebooks via Amazon et inaugure une offre numérique fin mars pour l'édition professionnelle via ses propres sites : dans l'année, 500 à 1 000 titres seront proposés à des prix inférieurs à 15 % (parfois 25 %) à ceux du papier. L'éditeur va aussi créer courant 2012 une plateforme participative dans le juridique.

« Le revenu est quasi nul"

Pour l'éducatif, Vincent Simonart juge que "le marché est nettement plus dynamique en Flandre qu'en Wallonie. Nous avons vendu 80 livres projetables pour tableaux numériques l'an dernier, un ou deux côté francophone. Mais dans l'éducatif, aujourd'hui, le revenu est quasi nul ». Peu à peu, les professionnels s'organisent. Incités à se regrouper par les pouvoirs publics qui leur ont accordé un budget de 100 000 euros pour 2012, l'Adeb, Espace livres & création (voir encadré), le Syndicat des libraires belges francophones et la Maison des auteurs ont créé en fin d'année une association afin de réfléchir à la formation des acteurs du livre pour le numérique et mener une veille sur ces questions.

(1) Voir LH 885 du 11.11.2011, p. 18, "Liège repousse ses murs".

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