Directeur de l'Agence régionale du livre et de la lecture des Hauts-de-France, François Annycke fait partie des premiers signataires d'une tribune publiée dans Le Monde le 12 décembre dernier. Avec de nombreux professionnels du livre et de la lecture, il dénonce le paradoxe d'un gouvernement qui fait de la lecture une « grande cause nationale » tout en programmant une baisse drastique des crédits affectés au secteur dans le projet de loi de finances 2026. Entre la mobilisation affichée lors des États généraux de la lecture pour la jeunesse il y a quelques jours et les coupes budgétaires annoncées, le coprésident de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (FILL) s'interroge sur la cohérence des politiques publiques.
Livres Hebdo : Le projet de loi de finances 2026 prévoit des baisses importantes pour le secteur du livre. Pouvez-vous nous en préciser l'ampleur ?
François Annycke : Le Centre national du livre (CNL) voit ses crédits diminuer de 22 %, mais c'est une baisse plus générale qui touche plusieurs dispositifs. Il y a aussi une réduction de 25 % des crédits déconcentrés, ceux qui passent notamment par les DRAC et vont directement en aides aux acteurs du livre sur les territoires. Plus inquiétant encore : les enveloppes concernant le développement de la lecture et des collections passeraient de 12,9 millions d'euros à 5,4 millions. Là, on n'est même plus dans le quart, c'est considérable. Quand on affiche la lecture comme une priorité nationale et qu'on veut développer l'accès au livre, passer de 12 millions à 5 millions pour l'achat de livres, c'est tout simplement incompréhensible.
« Un secteur peu soutenu où chaque euro est fortement valorisé »
Concrètement, quelles seraient les conséquences sur le terrain ?
Ce qui nous inquiète, c'est que tout l'équilibre fragile de cet écosystème, déjà en difficulté, va vaciller. On a déjà des alertes fortes sur nos territoires, notamment en matière de librairie. On retrouve des niveaux de ventes en librairie proches de ce qu'ils étaient avant 2020. Cette année, c'est la première fois depuis le Covid que le nombre de fermetures de librairies dépasse le nombre d'ouvertures en Hauts-de-France, par exemple. Autre exemple : l’arrêt de certaines manifestations littéraires. Ce sont des signes inquiétants. Si on réduit du quart les aides publiques au livre, on va fragiliser encore davantage les acteurs les plus fragiles – les petits éditeurs, les librairies indépendantes, les festivals – qui sont pourtant en première ligne pour aller chercher et inventer des lecteurs et des lectrices. Ces structures sont aussi la tête chercheuse de la création française. On a besoin qu'elles soient particulièrement aidées, et non pas affaiblies.
Comment réagissez-vous face à l'argument de la contrainte budgétaire généralisée ?
Si on met en avant la lecture et l'accès au livre comme grande cause nationale – ce qui est le cas depuis 2021 par le président de la République –, si on s'inquiète de l'état des lecteurs et du nombre de personnes qui lisent, si on s'alarme de l'espace grandissant donné aux écrans, peut-être faut-il suivre les préconisations du Sénat qui disait qu'il fallait conserver les moyens dédiés au livre. Le rapport de Jean-Raymond Hugonet et de la commission des finances du Sénat soulignait d'ailleurs que le livre est un secteur peu soutenu par rapport à d'autres secteurs culturels, mais que chaque euro dépensé est fortement valorisé. C'est d'autant plus aberrant de réduire les moyens d'un secteur dont la gestion a été reconnue comme efficace. La vraie solution, c'est peut-être d'essayer de trouver les moyens pour soutenir davantage, ou au moins maintenir le niveau de soutien actuel.
Quelle est maintenant votre marge de manœuvre ? Le budget n'est pas encore définitivement voté…
Le pire n'est jamais sûr. Pour l'instant, on nous a présenté cela comme une piste fort possible, voire plus. Si jamais il y a effectivement des baisses aussi énormes qui se confirment, ce ne sont pas des réductions de frais qui permettront d’y faire face ; c’est tout un écosystème à repenser. Il est donc nécessaire de travailler les choses autrement. Ce qu'on demande, c'est que les décisions ne soient pas actées définitivement. Comme l'écrit François-Xavier Petit en bas de la page du Monde où figure notre tribune : « La crise que nous vivons est d'abord une crise de l'imaginaire. » L’urgence est donc de se donner le temps d’imaginer d'autres scénarios. Et de les construire collectivement.
