Avant-critique Essai

François Malye, "Smolensk. La cité du malheur russe" (Perrin) : Les clés d'une ville

François Malye - Photo © Thomas Goisque

François Malye, "Smolensk. La cité du malheur russe" (Perrin) : Les clés d'une ville

À travers l'histoire de Smolensk, François Malye nous invite à réfléchir sur la notion de guerre en Russie.

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Par Laurent Lemire
Créé le 11.12.2022 à 11h00

Qu'est-ce qu'un héros ? C'est peut-être quelqu'un qui ne meurt pas. En Russie, plus qu'ailleurs, on entretient le culte de ces soldats immortels ou de ces villes qui ont résisté après avoir été incendiées et ravagées. Smolensk appartient à ces cités qui ont tenu, une première fois en 1812 contre Napoléon, une seconde contre Hitler en 1941 et 1943. La Grande Armée comptait 500 000 grognards et hussards, les forces allemandes six fois plus de combattants. Et pourtant, dans les deux cas, à cent trente et un ans d'intervalle, les deux se sont cassé les dents. De cela, il reste des noms et un monument. Mais que commémore-t-on à travers eux ? Et pour quels types d'histoire ?

François Malye, grand reporter au Point, a voulu comprendre. À l'occasion de fouilles menées par un ex-légionnaire français pour exhumer le corps du général Gudin, tombé en 1812, il s'est rendu dans cette ville traversée par le Dniepr, fondée au IXe siècle, donc plus vieille que Moscou, et qui compte aujourd'hui un peu plus de 300 000 habitants.

Comme l'a fait Sylvain Tesson dans ses expéditions, il s'est immergé dans l'esprit d'un territoire pour partir à la recherche de son histoire. Il constate de prime abord un rapport particulier à la mort, à la guerre et à la victoire. La première est inhérente à la deuxième et presque indifférente à la troisième. Les Russes croiraient plus en la bataille qu'en son dénouement. C'est vrai qu'il y a une dimension quasi religieuse dans ce combat du bien contre le mal. Sauf que nous ne mettons pas la même chose derrière ce bien et ce mal. Pour eux aujourd'hui, c'est l'Occident. Hier, c'était les nazis. Napoléon, c'est autre chose. C'est pour cela que Vladimir Poutine a accepté ces fouilles, pour que le corps de Gudin soit rapatrié en vue d'une cérémonie aux Invalides. Mais ni le maître du Kremlin ni Emmanuel Macron ne seront présents. Trop de morts récents sont venus ternir ces obsèques diplomatiques.

Poutine a démontré combien il manipulait l'histoire. Il accepte des recherches pour retrouver un général de la Grande Armée, mais il refuse celles demandées par l'association Memorial au nom des morts de la terreur stalinienne. Deux poids, deux mesures. Ajoutons que dans cette enquête, la plupart des protagonistes russes se disent proches des idées politiques du Rassemblement national. Ce livre d'histoire, qui raconte formidablement la bataille de 1812 et revient sur les combats sanglants de 1941 qui ont stoppé l'opération Barbarossa, nous en dit en fin de compte plus que bien des analyses géopolitiques. Car ce Smolensk tente de saisir quelque chose de complexe sur ce « champ sacré » du plateau de Valoutina, cette âme russe qui perdure au fil du temps et que les tsars de la Russie, anciens ou nouveaux, entretiennent comme un poison qu'ils diffusent à doses homéopathiques. François Malye remarque aussi quelques points communs entre les conscrits russes d'hier et d'aujourd'hui, maltraités par leurs officiers, et qui martyrisent en retour les populations des territoires conquis. Certes l'histoire ne se répète pas, mais elle bégaie parfois...

François Malye
Smolensk. La cité du malheur russe
Perrin
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 22 € ; 304 p
ISBN: 9782262086060

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