Rentrée d'hiver 2022

Houellebecq et Beigbeder alias «Houell-beig» : Amicalement vôtre

Photomontage Michel Houellebecq et Frédéric Beigbeder - Photo Olivier Dion

Houellebecq et Beigbeder alias «Houell-beig» : Amicalement vôtre

Michel Houellebecq et Frédéric Beigbeder seraient-ils les deux faces d'une même pièce? Leurs parcours respectifs semblent similaires, des prix littéraires à leur histoire commune qui remonte à trente ans. Ils partagent surtout "des intuitions fortes sur les évolutions sociétales, un pessimisme nostalgique radical, une ironie acérée... et un certain sens de la stratégie" comme le souligne l'éditrice Juliette Joste.

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Par Sean Rose,
Créé le 20.12.2021 à 12h00 ,
Mis à jour le 22.12.2021 à 09h30

Cette rentrée d'hiver se fera sous le signe de « Houell-Beig » : en ce début d'année sortent concomitamment les nouveaux livres des auteurs d'Extension du domaine de la lutte et de L'amour dure trois ans. Tout a priori les oppose, le style littéraire comme vestimentaire, leur milieu d'origine - l'un, petite classe moyenne à l'idéologie communiste ; l'autre, haute bourgeoise catholique de droite. Ils ne sont même pas du même âge : Michel Houellebecq est né en 1956, et Frédéric Beigbeder en 1965. Ces deux-là se complètent pourtant et sont en vérité de vieux complices.

C'est « Amicalement vôtre » : Frédéric et Michel sont comme le Janus de la littérature française contemporaine, deux faces d'une même pièce qui vrille au bord du gouffre de notre postmodernité. Jean qui pleure de rire et Jean qui rit de désespoir, ils sont l'incarnation du dionysiaque sous ecstasy et de l'apollinien sous Prozac. Juliette Joste, éditrice chez Grasset, qui a travaillé sur leurs textes, tour à tour chez Flammarion puis dans la maison de la rue des Saints-Pères, dit retrouver dans l'œuvre de cette paire d'amis écrivains « des intuitions fortes sur les évolutions sociétales, un pessimisme nostalgique radical, une ironie acérée... et un certain sens de la stratégie ».

Parcours similaire du côté des prix littéraires

Faisant irruption quasi au même moment sur la scène littéraire, Beigbeder décroche en 2003 l'Interallié avec Windows on the World (Grasset) et Houellebecq le même prix en 2005 pour La possibilité d'une île (Fayard). En 2009, Beigbeder obtient le prix Renaudot pour Un roman français (Grasset), dont le nouveau Un barrage contre l'Atlantique (5 janvier, Grasset) est une suite ; mais Houellebecq est couronné l'année suivante par le jury Goncourt grâce à La carte et le territoire (Flammarion). Loin de se regarder en chiens de faïence, les deux auteurs se sont reniflés très tôt avec sympathie. Pour le prix de Flore qu'il crée en 1994, Frédéric Beigbeder repère alors le primo-romancier publié par Maurice Nadeau, mais c'est avec un recueil de poésie Le sens du combat (Flammarion, 1995), que le jury qu'il anime décerne à l'auteur d'Extension du domaine de la lutte le plus germanopratin des lauriers. « Comme un prix de rattrapage », explique à LH Le Mag Frédéric Beigbeder.

Le clan du Lucernaire

Leur rencontre remonte cependant à avant, dans les réunions de L'atelier du roman au Lucernaire, où viennent Milan Kundera, Dominique Noguez, Philippe Muray, Michel Déon... Le cadet de ce couple amical se souvient : « Je crois que c'est Benoît Duteurtre qui m'a présenté Michel. Il buvait beaucoup, connaissait super bien le rock, la poésie. Il m'a longuement parlé de L'amour dure trois ans. Ma théorie amoureuse devait titiller son côté scientifique. » Quelle épithète qualifierait le mieux Houellebecq selon Beigbeder ? « "Laconique". Un autre adjectif serait "bienveillant" : il m'a pris sous son aile. Il m'a donné des conseils. Je ne sais pas pourquoi mais il n'a jamais cessé de vouloir m'aider. C'est lui qui m'a suggéré d'écrire sur la publicité, lui qui a proposé à Flammarion de m'embaucher comme éditeur... C'est fou quand j'y pense. Ce type que les gens croient méchant ou "décliniste" m'a toujours voulu du bien. »

Même si l'un et l'autre vendent beaucoup, les chiffres de ventes des deux hommes ne sont toutefois pas tout à fait les mêmes : le tirage du nouveau Houellebecq est presque sept fois supérieur à celui d'Un barrage contre l'Atlantique. Et leurs projets littéraires respectifs diffèrent. Juliette Joste le souligne : « Le roman de Beigbeder recherche une forme de légèreté aérée et poétique, Houellebecq semble plutôt pencher pour un objet global, massif, dense ! » Et la face plus rieuse de cette gémellité improbable de confirmer : « Je n'ai pas son ambition d'écrire le roman total, de tout englober comme Balzac ou Tolstoï. Je suis peut-être moins travailleur... »

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