Avant-critique Essai graphique

Igort, "Les cahiers d'Ukraine. Journal d'une invasion" (Futuropolis)

Journal d'une invasion_ - Photo © Igort/Futuropolis

Igort, "Les cahiers d'Ukraine. Journal d'une invasion" (Futuropolis)

Dans cette BD documentaire puissante, l'auteur italien Igort a rassemblé des témoignages glaçants sur la guerre en Ukraine.

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Par Anne-Claire Norot,
Créé le 18.02.2023 à 11h00

Sous les bombes. En 2010, l'auteur italien Igort publiait Les cahiers ukrainiens, une enquête au cœur de la population ukrainienne qui rendait notamment compte de la crise dans laquelle était plongé le pays. En 2012, dans Les cahiers russes, il s'intéressait à la guerre en Tchétchénie et à la journaliste et opposante russe Anna Politkovskaïa assassinée en 2006. Actualité dramatique oblige, ce qui devait être un diptyque est désormais complété par un troisième volume, Journal d'une invasion.

Igort, qui a vécu en Ukraine où réside toujours la famille de son épouse, s'appuie largement dans cet album sur des témoignages directs recueillis au cours des premiers mois de la guerre. Et ce qu'il nous montre est glaçant. Ces « gens qui vivaient une existence normale » se sont retrouvés d'emblée confrontés au danger, à la peur, la faim, la misère, l'isolement, la mort. À Boutcha, la guerre « n'a plus rien d'humain, si ce n'est ses victimes ». À Marioupol, certains en sont réduits à boire l'eau des radiateurs pour étancher leur soif. D'autres quittent tout pour partir sur les routes, sous les bombes. La population oscille entre actes de résistance, découragement, solidarité, débrouille, méfiance (on craint les Russes infiltrés). La vie d'avant n'existe plus. Il s'agit de survivre, physiquement et moralement. Igort souligne d'ailleurs particulièrement les ravages psychologiques de la guerre : il y a ceux qui abusent de psychotropes, ceux qui se barricadent et vivent dans le noir... Igort ne se soucie pas ici de mise en scène, de dramatisation particulière, d'effets narratifs. Le cœur de ses préoccupations, c'est l'humain, et c'est par cette parole brute qu'il expose la détresse d'un peuple. Entrecoupés de réflexions de l'auteur et d'éclairages historiques, ces témoignages qui se succèdent en vrac laissent l'impression que personne ne maîtrise rien, que les événements portent les gens.

Si Igort livre des anecdotes d'une violence inouïe, où l'on voit des Russes aux abois se livrer à la pire sauvagerie, il sait aussi faire la part des choses. On apprend ainsi que l'on doit se méfier des soldats ukrainiens pour ne pas être pris pour un saboteur sur un malentendu et que sur le chemin de l'exil on peut être aidé par des volontaires russes. Il évoque aussi l'extrême droite et les nationalistes ukrainiens, rappelant qu'en 2014, plus de quarante manifestants pro-Russes furent tués à Odessa.

Le travail documentaire d'Igort est d'autant plus fort qu'il s'exprime par ses dessins sobres, pudiques, jamais spectaculaires, qui ne font que laisser sourdre l'angoisse, la noirceur. Un album puissant qui regarde la guerre à hauteur d'homme.

Igort
Les cahiers d'Ukraine. Journal d'une invasion Traduit de l’italien par Laurent Lombard
Futuropolis
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 24 € ; 168 p.
ISBN: 9782754835169
18.02 2023

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