Récit

Jean-Jacques Schuhl, "Les apparitions" (Gallimard) : Des vampires, saigner, écrire

Jean-Jacques Schuhl - Photo © J. Sassier/Gallimard

Jean-Jacques Schuhl, "Les apparitions" (Gallimard) : Des vampires, saigner, écrire

Victime d'un accident cérébral, Jean-Jacques Schuhl, l'auteur d'Ingrid Caven, offre un kaléidoscope de ses visions et obsessions. So chic. Tirage à 5000 exemplaires.

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Par Olivier Mony
Créé le 11.02.2022 à 17h00 ,
Mis à jour le 24.03.2022 à 17h32

« J'avais eu recours à des voiles, des masques, des subterfuges naïfs pour nier ou me divertir du temps qui passe [...] et je me voyais toujours "jeune homme", même quand je me regardais dans la glace, ce qui m'était facilité par la rareté de mes liens sociaux. Je ne voyais pas le changement, j'étais toujours le même, comme les personnages de bandes dessinées, les héros célèbres des épopées antiques, contes et légendes... Une folie comme une autre !... »

Puis vint un jour où le temps se rappela au bon et aux mauvais souvenirs de Jean-Jacques Schuhl. Une terrible hémorragie cérébrale qui le laisse exsangue et, dans la nuit d'un hôpital et de sa semi-inconscience, comme envahi par des images, des réminiscences (qui font sens), des apparitions... Il cherche à comprendre, la médecine l'y aide, avant que la littérature ne lui propose une méthode infaillible : en faire ce qu'il sait faire, un livre qui s'intitulerait alors Les apparitions. Après tout, depuis Rose poussière (Gallimard, 1972), a-t-il jamais fait autre chose que cela, chercher dans son cerveau comme autant d'éclats de beauté élégiaques et camp, convoquer son imaginaire (lui qui prétend n'en pas avoir), chasser le temps par la restitution poétique des temps ? Voilà donc qu'il remet son ouvrage sur le métier. Il traque ses ombres familières de pages en pages, à l'écriture aussi nocturne et paradoxalement allègre que d'habitude. Voici que passent un autoportrait de Dürer censé lui ressembler, New York, quelques anamorphoses à base de jeux de lumières sur des coupures de vieux journaux, les jardins de l'ambassade de Russie observés depuis son appartement parisien, des vampires surtout, celui de Dreyer... Le tout dans un désordre savamment ordonné. Pas de causes, pas de conséquences, mais des flashs trouant la nuit, une rêverie jouant à cache-cache avec les cauchemars. Des visages, des silhouettes, des personnages même, qui sont comme autant de mystères nés du sang perdu de l'écrivain, une invite à les déchiffrer. Il rentre là-dedans, comme chez Breton, comme chez Roussel, une part de jeu, même maléfique. La vraie vie n'est pas ailleurs, mais là, dans cette fantasmagorie bien plus réelle que ne l'est notre époque dominée par les technologies. Et tout le reste, bien entendu, n'est que littérature.

Jean-Jacques Schuhl
Les apparitions
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 12 € ; 96 p.
ISBN: 9782072967559

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