20 OCTOBRE - ESSAI France

Obsessionnelle, répétitive, insatiable, Garance, petite fille aux yeux très bleus, au "regard traversant", ne fait rien comme les autres enfants. Et ses parents nous la racontent dans ce livre délicat publié dans la collection "Connaissance de l'inconscient", dirigée par J.-B. Pontalis, portrait en fragments d'un être "hors des normes", journal d'observation lucide et aimant. Le monde de Garance est en effet une contrée lointaine, sauvage, avec sa langue et ses coutumes, ses chemins escarpés et ses clairières enchantées : Scarlett et Philippe Reliquet, qui vivent depuis des années à ses frontières, font les éclaireurs. Chroniqueurs de la vie sans mots de leur enfant, ils donnent à entendre "sa voix inhabituelle", comme l'ont fait Sandrine Bonnaire dans le film sur sa soeur, Elle s'appelle Sabine, ou Jean-Louis Fournier évoquant ses fils dans Où on va papa ?.

Ecouter Haendel est la requête insistante, impérieuse que formule tous les soirs, à 6 ou 7 ans, la fillette, la clé indispensable pour entrer dans la nuit. C'est un air d'opéra particulier et plus tard, à d'autres occasions, un fado d'Amalia Rodriguez et une morna de Cesaria Evora que Garance écoute et redemande sans fin. "Troubles envahissants du comportement", sa maladie qui n'a pas vraiment de nom n'a pas non plus de cure. Garance a des "difficultés", comme dit son jeune frère avec plein de guillemets précautionneux. Mais elle a aussi la grâce. Des dons : son humour, son accès direct à des sensations primitives, sa mémoire si précise, un rapport singulier aux sons, aux odeurs, aux matières, des qualités de photographe, le sens de l'orientation...

Particulièrement touchant est ce "nous" narrateur, solidaire, l'écriture des parents main dans la main. Ce couple qui dit si peu de lui, de cette "souffrance étrange, inconnue, inattendue qui s'est installée en nous et ne nous quitterait plus jamais". De leur vie propre, de leurs activités (lui, conseiller culturel, elle, historienne de l'art, auteurs ensemble d'un livre sur Henri-Pierre Roché), il n'est rien décrit d'autre dans ce récit que les lieux où cette famille différente a vécu - Lisbonne, Barcelone, Paris... -, les gens qui ont croisé Garance... Ils laissent toute la place à leur fille, enveloppée au coeur de mots doux qu'elle ne pourra jamais lire.

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